La danse est brisée, mais ce n'est pas sa faute. C'est elle qui a brisé le silence et l'armure de verre qu'il a enfilé bien des années plus tôt. Ce n'est pas de se faute. Ce n'est pas de sa faute et pourtant, il s'en veut. Il n'a pas su la protéger, et il n'y arrive toujours pas. Il devrait fuir, fuir très loin d'elle, ou avec elle. La mettre en sureté, loin du Directeur et du pensionnat. "Et Juliette dans ce cas ? Que lui arriverait-il ?"
Mieux vaut ne pas y penser Zachary, mieux vaut ne pas y penser.
Le dilemme lui donne envie de se rouler en boule, de se construire une prison d'acier, de s'isoler du monde entier, d'oublier. De se prendre la tête entre les mains, pour protéger son esprit torturé ou bien de s'éclater la boîte cranienne contre un mur.

Il devrait partir. Il devrait rester. Il devrait lui dire. Il devrait se taire. Il devrait vivre. Il devrait mourir.

Pour tout simplifier, pour sauver tout le monde, pour aimer sans enfer, vivre en paix, il doit faire l'impossible.
Mais contrairement à ce qu'on essaie de vous croire, l'impossible n'est pas possible. Jamais. N'espérez pas. Zachary le sait lui. Il n'espère pas. Il désespère tandis que son poignet est pris dans l'étau de la main si douce de Sélène.

Ce n'est pas sa faute. "Mais si, bien sûr que c'est de ma faute."

Elle parle, puis attends. Et lui, que peut-il dire ? Que peut-il répondre à cela ?
"Bien sûr que tu sais qui je suis." Il le voit dans ses yeux. Il a cette lumière, cette compréhension profonde, encore innaccessible. Mais lui la voit et elle lui fait peur. Une seule évidence : Elle ne doit pas savoir. Et il ne peut pas lui expliquer, il ne peut pas taire la vérité. Il n'oserait pas lui mentir.
Quoique qu'il fasse, ce ne sera pas la bonne solution. Quoiqu'il fasse, tout ira mal et ce sera de sa faute.

Elle semble se rendre compte qu'elle a fait une erreur. Ses expressions changent si vite. On dirait une petite fille, une enfant. Sa petite soeur. Ce n'est pas avec elle qu'il a supporté les épreuves. Il ne l'a jamais taquiné, ou consolé. Il ne lui a jamais raconté d'histoires pour lui faire peur ou pour l'aider à s'endormir. Il n'a jamais construit de fort avec ses couvertures ni caché son ours préféré. Pourtant quand il la regarde, c'est comme si tout cela avait été fait des millions de fois pendant leur enfance.
Il lui doit la vérité.
Zachary n'a pas prêté attention à ses paroles. Elle n'a pas besoin de se présenter, il l'a connais par coeur. Il est son grand frère. Et il a pris sa décision. Le Directeut peut bien le faire souffrir, le tortuer, ou l'obliger à tuer. Il ne touchera pas à Sélène. Et s'il essaie, Zachary sera là, statue d'acier, bouclier d'argent, soldat prêt au sacrifice. Il sera pour elle.
Mais pour l'instant, il faut la prévenir.

Zachary se penche doucement vers sa soeur. Leur corps se touchent presque - presque. Ils se frôlent. Rien de plus. Un léger créptement électrique se répand dans sa colonne vertébrale. Il doit mobiliser toutes ses forces pour ne pas avancer plus, pour ne pas aller trop près et la serrer enfin dans ses bras. Il amène sa bouche près de son oreille. Il se penche un peu plus et les cheveux de Sélène lui caressent le visage. Et alors, d'une voie douce et ferme et aimante et claire et triste et beaucoup d'autres choses à la fois, d'une voix qui veut dire "Je suis là pour toi." "Mon ange." "Attention !" "Ne pleure pas" "Sauve-toi !" et "Je suis ton frère.", de cette voix qui veut tout dire et qu'il sait qu'elle comprendras, Zachary lui murmure un avertissement.
"Rédemption n'est pas sûr. Tu dois fuir. Si tu veux vivre. Tu dois fuir. Et surtout...Surtout tu dois m'oublier. Tu dois oublier que tu me vois, que tu me connais. Je suis une ombre, je suis une ombre et tu n'auras pas peur, plus jamais, car je serais là. Comme avant. Ne t'inquiètes pas. Seulement..."
Il prend longuement sa respiration. Il en a sûrement dit trop. Peu importe, il faut qu'elle sache toutes ces choses, le reste n'est rien. Seuls les mots de Zachary, les mots de ce soir, seuls ceux-là, comptent vraiment.
"Je ne peux pas rester, je ne peux pas rester avec toi Sélène." Et ce prénom est comme une prière, un poème et un éclair, sortant de sa bouche en un murmure que seule sa soeur et quelques anges perdus entendront.

" Qui es-tu Zachary ? "
" Qui es-tu Zachary ? "

Des échos, des échos d'un voix trop connue mais qui semble si faible, si indécise, si lointaine.
Veux-tu vraiment savoir, chère Sélène ?
Des mots qui rebondissent dans sa boîte crânienne et reviennent et reviennent.
Il ne pense plus à rien d'autre.
Etourdi. Perdu.

Il n'y tient plus. Le combat entre le coeur et la raison est harassant. Il ne veut pas, pourtant, il le fait.
Il s'éloigne alors, s'arrache à l'étreinte qui n'existait pas encore mais venait, venait à grands pas.
Zachary tourne le dos à sa soeur. Il se doute que leurs regards à tous les deux sont brisés par ce pas en arrière.
Il le fallait pourtant.
Il sait qu'il ne pourra pas s'empêcher de le dire. Mais il ne se sent pas la force de le dire, de prononcer ces mots, en la regardant dans les yeux.
Es-tu sûre de vouloir savoir, Sélène ?

Il voit déjà un monde nouveau s'ouvrir dans ses yeux. Une vie nouvelle et des souvenirs changés. En une poignée de secondes.
Sa vision de l'univers ne peut que changer à la lueur de cette information, de cette révélation. Elle saura qu'elle n'a jamais été seule. Elle ne sera plus la même. Elle sera complète.
" N'est-ce pas la mettre en danger ?" demande une voix dans sa tête.
Certes mais il sait, il sait, qu'elle n'en sera que plus heureuse. Et lui aussi, même si cela importe peu, tellement peu.
Bientôt.
Oui, bientôt les mots viendront. Préparez-vous, élèves de Rédemption, le monde va changer.
Et toi, es-tu prête à savoir, Sélène ?

"  Sélène... "
Il a la voix qui pleure, les yeux qui crient.
Une voix si faible? Une voix, pas une vois d'enfant, pas une voix coupable. Une voix d'adulte, une voix qui connaît le danger et la torture et le risque.
C'est une voix qui abandonne. Dépose les armes et baisse la tête.

Pourtant, ce n'est pas ce que Zachary fait. La tête haute, les yeux à nouveau fixés sur la pluie et le noir. Les ténèbres.
Il sent sa présence dans son dos, comme elle respire, comme elle attend. Une larme coule sur sa joue. « Elle ne la verra pas. » pense-t-il, décidé. C'est plus une promesse qu'un espoir. Il a déjà trop faillit. Pas cette fois. Il est prêt à prendre son Destin en main. Son corps respire la confiance, non la force. Sa voix n'est que tristesse, défaite.
Paradoxal.
Es-tu prêt à prendre ce risque, Zachary ?


Sur ce, Zachary se retourne.
Le secret est brisé, la vérité jetée à la face du monde.
Un monde dangereux et sans pitié.
Comme elle a l'air faible, dans cette noirceur crépusculaire.
Mais qu'est-ce qu'il a fait ?!

Zachary, Zachary... N'en as-tu pas déjà trop dit ? N'en as-tu pas déjà trop fait ? Tout cela, Sélène, Juliette, vaut-il encore la peine de se battre, de se sacrifier ? Ne vois-tu pas, voyons, les ténèbres qui t'entourent, qui te gagnent ? Tu vas t'y perdre, un jour, tu vas t'y perdre.
Zachary, mon pauvre Zachary...Regarde-toi, cette larme à peine séchée sur la joue, ce visage si grave, si mort déjà. Ne veux-tu pas abandonner ? Abandonner, enfin...T'allonger sans peur, tomber dans un sommeil sans rêve, vivre sans secret.
Tes dernières paroles sur le bout des lèvres, à peine sorties de ton coeur, tu les as perdues. Tu ne pourras jamais les reprendre. Qu'est-ce que ça fait Zachary ? Est-ce que ça fait mal ? Est-ce que ça fait peur ? Regarde-la. A peine tes mots la frappe que déjà tout change. Ne te paraît-elle pas plus faible, plus perdue, plus triste ? Regarde bien Zachary...Regarde comme tu la brises. Par. Tes. Simples. Mots.
Tes mots, tes mots perdus à présent, les regrettes-tu ?
Il ne font pas de toi un hérostu sais...


Zachary se précipite vers sa soeur avant même qu'elle ne touche le sol. Ses bras l'enveloppent délicatement tandis qu'elle tombe, sans parvenir à ralentir sa chute. Elle ne semble pas s'apercevoir du geste qu'il a eu vers elle, protecteur comme toujours, et tout de suite, Zachary retire ses mains.
Que voit-il sur son visage ? Il ne comprend pas mais attend. Il attend calmement, comme il l'a toujours fait. Il attend car c'est son Destin. La protéger, l'aimer et attendre qu'elle soit prête à entendre la vérité. Il n'avait jamais pensé que ce jour arriverait pourtant il est là, juste là. Etait-ce le bon moment ? Trop tard, tu ne sauras jamais Zachary.
Mais il n'a pas le temps de se préoccuper de cela, d'avoir des remords. Les remords, il les garde pour quand il sera seul, dans la nuit, comme toujours et que les rêves l'assailleront. Pour l'instant n'est pas le temps de se plaindre, de penser à soi. Sa mission l'appelle. Sélène a besoin de lui. Alors il est là. Il ne peut faire autrement.

Que voit-elle ? Que pense-t-elle ? Son coeur s'est-il arrêté, comme le sien ? Que faire ? Attendre, parler, se taire, partir ? Que pense-t-elle ? Comprend-elle ?
"  Stop, stop. Arrête de penser Zachary, arrête, concentre-toi sur ta soeur qui a besoin de toi. "
Il lui faudrait des milliers de mots pour expliquer, et encore des milliers pour s'excuser assez.
Avait-il le choix ? Là n'est pas la question.
Des milliers de mots...Mais il n'a pas des milliers de mots. Il est l'ombre et le silence, il est l'invisible, le loup, l'ange gardien. Il n'a pas de mots, il en a déjà dit trop.

"  Je ne suis pas un héros. "
Sélène ouvre les yeux et c'est là que l'horreur le frappe. Ces yeux...Cet air...Si démuni, suppliant, aimant et triste...Indescriptible mais reconnaissable entre mille. C'est Juliette. C'est Juliette qui lui vient à l'esprit, en un éclair, un seul éclair fourdoyant qui arrive, passe et le laisse comme mort. Cet air et ces yeux, ce sont ceux que Juliette porte parfois sur lui, dans la nuit, dans la peur. Il ne sait jamais ce que signifie ce regard, il ne saura jamais. Et le retrouver là, dans les yeux de Sélène, c'est un choc.
"  Je suis ne suis pas un héros. Les héros sauvent tout le monde. "
Oui, les héros sont forts et braves, ils n'ont pas que les mots à leur disposition pour frapper l'ennemi, ils n'ont pas que l'amour pour les empêcher de devenir fous. Les héros sont tout le contraire de Zachary.
Les héros sauvent tout le monde, les héros se sacrifient. Lui, le loup, l'ange de la mort et l'ange gardien, il a déjà fait une de ces chose...Qui lui dit qu'il ne parviendra pas à accomplir la seconde ?

Sélène se lève et Zachary la contemple d'en bas. Cette fois, elle lui paraît forte. Assez pour vaincre.
Son visage n'est plus vide comme à l'ordinaire, un doux sourire s'épanouit sur ses lèvres tandis qu'il se lève à son tour et plonge ses yeux dans ceux de sa soeur.
"  Je me souviens de ton sourire. "
Elle se souvient. Mais l'a-t-elle déjà vue ?
Ce ne sont que des mots, des mots qui ne veulent rien dire mais renferment un secret. Elle veux se souvenir, elle accepte cette révélation.
A présent, elle le voit.
Zachary, alors, la prend dans ses bras et la serre contre son coeur. Sans un mot. Il se sent revivre, il sent la chaleur se son corps contre le sien se répandre en lui, l'illuminer de l'intérieur. Tout va bien à présent.
" N'aie pas peur, Sélène. Je serais là. "
Le Directeur ne peut rien contre eux, ils sont trop forts. Ils sont les héros de leur propre existence. Ils ont pris leur Destin en main et ils n'ont plus peur.
"  Ensemble, on est plus fort. On y arrivera. "
Des mots encore. Il aimerait promettre mais pour l'instant, il essaie juste de rassurer ce petit bout de chose qui tremble entre ses bras. C'est bien à cela que servent les grands frères, non ?
"  Je ne te laisserai pas. Ne crois pas ce qu'on te dit, crois-moi. "
Il n'ose pas mettre fin à leur étreinte, de peur que se séparer signifie se perdre encore une fois.


N'en as-tu pas trop dit, Zachary ? Regrettes-tu tes mots ? Tu n'es pas un héros, tu le sais ça ?

Cette nuit, même s'il ne le sait pas, Zachary rêverra de sa soeur. Et il la verra mourir. Comme toujours ? Non. Car ce soir, tout sera plus vrai. Plus proche. Quelque chose a changé. Elle lui fait confiance.
Et il se réveillera en sueur et en larmes, avec les images encore devant les yeux, persuadé qu'il ne peut pas changer ce qu'il voit. Mais il ne le sait pas encore.
Alors, il continue à la serrer dans ses bras.

Chers élèves de Rédemption, où êtes-vous ? que faites vous ? Vous devriez être là, vous devriez venir voir les instants qui scellent le cours de votre futur à tous. Vous devriez être une foule silencieuse et attentive regroupée autour des deux âmes perdues et réunies qui formeront l'avenir de Rédemption.
C'est un spectacle qui pourrait profiter à chacun d'entre vous.
En s'approchant, on peut voir de nouvelles lueurs et de nouveaux sourires. Une Sélène enfin complète. Dans ses yeux, il y a la peur mais aussi et surtout, l'amour et la compréhension et le pardon et la confiance. Son sourire est un vrai sourire. Le mince sourire d'une personne forte, enfin soi-même.
On peut voir un Zachary plus déchiré que jamais. Un sourire ? demandez-vous. Oui, effectivement, il y en a un sur son visage. Mais ne vous méprenez pas. C'est un sourire qui savoure un instant seulement, ce n'est pas un sourire profond. C'est un sourire qui est dû à disparaître et qui le sait. Les problèmes ne vont pas tarder à revenir, ça oui, Zachary le sait, et cela se voit. Sélène, elle ne le voit pas. Elle croit son frère, elle lui fait confiance.
Devrait-elle vraiment ?
N'est-ce pas trop dangereux ?

Les êtres humains, même Zachary, sont au final trop égoïstes pour faire un pas en arrière quand il le faudrait. Ils préfèrent profiter d'un instant parfait en sachant la masse d'horreur qu'il aménera plutôt que de se priver. Zachary s'est trop privé jusqu'à maintenant. Voilà son erreur, il se laisse aller.
Si maintenant, à cette seconde, il s'était écarté, Sélène alors aurait compris qu'il y a quelque chose qu'il ne dit pas. Qu'il y a quelque chose qui le retient. Un autre amour qui combat le sien.
Et Zachary laisse passer le moment. Il est trop tard quand enfin il s'éloigne un peu. Elle n'y verra que du feu.

Destinées scellées.

Il la prend par les épaules, ses mains des étaux bienveillants autour de son corps frêle. Des mains d'acier caressant comme la soie. Il la regarde dans les yeux, essaie de s'empêcher de trembler.
"Sélène...Je..."
"Sois fort Zachary, soit fort. Ne lui montre pas la peur et la faiblesse dans ton coeur."
"Merci."
Il baisse la tête. La relève. Plante à nouveau ses yeux dans les siens.
"Je voudrais t'expliquer plus en détails. Je voudrais te dire ce qui t'attend. Les dangers, les secrets. Mais c'est trop...Il y a trop à perdre."
Juliette, par exemple. Ça, il ne le dit pas. Il le pense seulement de tout son coeur.

Le visage de Juliette, une pensée. Le visage de Sélène, une réalité. Les deux devant ses yeux. L'un trop loin. L'un trop près. Il perd la raison, à force de se demander, de ne pouvoir choisir. Zachary fait un pas en arrière.
Il ne pourra jamais choisir.

"J'ai fait des erreurs. Je n'en ferais plus. Pour toi."
Et il pense : pour vous. Juliette et Sélène. Leurs deux vies reposent sur ses épaules, à lui.

Il sera leur sauveur. Ou leur meurtrier.

J'aimerai, mon ange, pouvoir te dire que tout ira bien. Mais puis-je vraiment faire une promesse que je briserai si vite ? Je devrais faire un choix, à ce moment-là, et les statistiques disent que tu as une chance sur deux de mourir.
Une sur deux.
C'est tellement peu, mon ange, et en même temps, cela semble beaucoup. Ce chiffre donne de l'espoir, vois-tu ? Alors qu'il n'y en a pas. Je survis, seulement car vous êtes là, toutes deux pour me donner envie de garder la tête haute. Je vous montre la force, j'oppose mon acier à la puissance du Directeur jour après jour. Mais tout cela, mon ange, c'est une mise en scène. C'est lui qui décide et c'est même lui qui dirige la trajectoire de mon épée. Je suis faible, je suis faible et pourtant encore trop fort pour m'écrouler. Abandonner. Il y aura toujours ce pouvoir en moi pour me tenir debout, face à lui, car c'est toi, mon ange, toi et aussi elle, qui me la donnez. Et pour rien au monde je ne refuserait ce cadeau.
C'est un cauchemar sans fin. Tu ne l'a jamais su, tu ne le sauras jamais. Il n'y a pas de solution, pas de réponse et encore moins d'échapatoire. Je suis face à la tempête qui m'emporte, qui souffle et hurle, qui m'arrache du sol. A chaque seconde je lutte, alors qu'il vaudrait mieux abandonner et oublier. Je ne veux pas me laisse emporter, alors je me bats contre les vents des enfers. Je ne veux pas rester, alors je me bats contre les attaches invincibles qui fixes mes pieds au sol.
Dilemme. Paradoxe. Et vous deux, c'est toute ma vie.
Je ne sais si tu peux comprendre cela, je ne sais si je peux l'expliquer intelligiblement. Une chance sur deux pour que la réponse te satisfasse.
Une sur deux.



Zachary hoche doucement la tête, savoure les paroles de Sélène, savoure la pression de sa main sur la sienne. Elle ne le connaît pas, pourtant elle semble trouver naturellement les paroles pour l'apaiser. Un peu...Car la haine, la rage et la peur au fond de lui ne s'efface pas si facilement. Le Directeur a beau être loin, Zachary est toujours un meurtrier. C'est gravé sur son âme.
Il frissonne à l'idée que Sélène puisse voir dans sa tête, voir qui il est. Qui il est devenu pour protéger Juliette. Qui il doit oublier d'être pour la sauver, elle.

"Peu importe les enjeux, je ne te laisserai pas. Tu mérites une vie tellement plus belle que enfermé dans ce pensionnat..."
Sélène s'éloigne et il la laisse faire. Il faut laisser les jeunes grandir et trouver leur voie, n'est-ce pas ? Lui a trouvé la sienne, depuis des années mais elle semble perdue, encore. Elle attend son tour, elle attend que le Destin vienne sonner à sa porte.
Elle semble l'avoir comprit et ses yeux flamboient. Une flamme vigoureuse, une flamme bleue comme ses yeux, un océan, un ciel de nuit. Un feux près à dévorer tout ce qu'il trovera sur son chemin ? Peut-être oui, peut-être. Si elle se rend compte qu'elle en est capable, elle pourrait le faire.
Zachary sourit quand il répond, les mots viennent naturellement, comme une vérité pure, qui ne peut que se déverser. Un flot de bonheur qui passe une seconde devant eux puis continue sa route, les oublie :
"Tu ne comprends pas. Ma vie, n'a jamais été plus belle qu'ici. Ma vie n'avait jamais été belle. Sans toi. Sans toi, ce n'était rien."
Et sans elle non plus, pense-t-il. Il ne dit pas. Il ne le dit pas et il ose à peine le penser, pas en cet instant. Cet instant appartient à Sélène seulement.
"Tant que tu y es, Sélène, je ne quitterai Rédemption pour rien au monde. Je n'étais rien avant cela. Et tu es tout pour moi. C'est ça, la vérité."
Sélène est tout pour lui... Vraiment ? Plutôt la moitié de tout.
Une sur deux.
Il ne le dit pas. Il n'ose pas y penser. Pourtant, il dit la vérité. Elle est tout. Et Juliette aussi. Comment peut-il être couper en deux ainsi ? Comment ?

C'est alors qu'il comprend.
Sélène cherche sa voie. Sélène attend son Destin. Mais lui...Lui, Zachary, il en a déjà deux. Deux Destins, aussi légitime l'un que l'autre, aussi vrai, aussi réel. Deux Destins qui le poussent avec la même force dans des directions opposées.
Zachary n'est pas au milieu d'un tempête. Il est au milieu de deux tempêtes.
Et un jour, il devra choisir un des ouragans.
Un sur deux.

Il doit demander. Il sait qu'il ne craquera pas, qu'il ne déversera pas ses problèmes sur sa petite soeur mais il a besoin de se confier, en quelque sorte. Il ne peut dire la vérité, cependant, il peut toujours s'en approcher.
"Sélène, crois-tu au Destin ?"

Ah Sélène, Sélène...Chère Sélène...Un peu naïve, non ? Crois-tu aux coincidences ? Pourquoi penses-tu que vous êtes là, tous les deux ? Au même moment, dans le même danger, tous les deux. Oui, ce pourrait être le Destin, il y a sûrement une part de tout ce bordel qui est dû au Destin, mais le reste ? Le reste, c'est ça la question ! Qui commande, qui est là derrière toi et tire les ficelles du pantin que tu es, hein ? Ah, chère Sélène, douce Sélène, tu aurais bien plus peur si tu savais tout ce qui se passe derrière ton dos.
Mais Sélène ne semble pas en avoir conscience, de tout cela. Zachary, c'est impossible de le dire. En cet instant, son visage ne laisse rien voir. C'est un masque.
Masque, pantin...Dans quel monde vivez-vous ? Tout cela n'est qu'une illusion. Ouvrez les yeux ! Regardez ! Il suffit d'ouvrir les yeux, d'arrêter d'avoir peur à chaque coin de mur, d'arrêter de trembler et de croire en ses cauchemars ! Si vous en faisiez l'effort, chers Utreuil, vous verriez à côté de quoi vous passez.
Cette lettre, vous ne l'avez jamais vraiment lu, non ? Et le Directeur, est-ce que vous l'avez vraiment regardé ? Non, sinon vous auriez vu la peur, la jalousie et l'envie.
Ah...! Que vous êtes aveugles, enfermés dans votre petit monde. Incapable de voir l'envers du décor, les coulisses de toute cette mascarade. Si vous n'ouvrez pas le rideau, si vous n'entrez pas en scène, vous ne verrez jamais les trucages...
Bah, de toute façon...Qui suis-je pour vous dire tout cela ? Vous n'entendez même pas. Personne n'écoute jamais sa conscience. Vous restez si ancrés dans le moment, dans le bonheur...C'est dangereux mes petits, ouep, c'est dangereux.

Zachary est encore chamboulé par ses trouvailles. Seule la voix de Sélène parvient à le sortir de sa torpeur, de son abattement. C'est une lumière qui le quide vers la vie.
Elle a l'air si confiance, l'air de ne pas voir les obstacles, de foncer tout droit, les yeux fermés. Et pourtant, elle est si consciente ! Consciente de ce qui l'entoure, de ce qui va se passer, tout bientôt.
Choc. Comme lui, elle voit l'avenir. Alors pourquoi ce poids ne l'accable-t-il pas, comme il le fait pour Zachary ? Où trouve-t-elle la force de survivre aux mauvais présage, qui poremettent tant et se réalisent, infiniment plus horribles que prévus ? "Comme elle est forte, ma soeur." Il est si fier d'elle. Malgré tout ce qu'elle a vu, elle a encore confiance en l'avenir.
"Tu crois ? Mes visions se réalisent. Toujours." Il murmure, il ne sait pas si elle entends. de toute façon, mieux vaut qu'elle n'entende pas l'amertume dans sa voix.

Oui Sélène, il a rêvé de toi. Il t'a vu mourir, il t'a vu souffrir. Et tout lui indique que cela arrievra. Si seulement il pouvait avoir confiance en la vie, comme toi. Le grand frère devrait prendre exemple sur sa petite soeur. Seulement il est trop tard, ou presque. le Directeur a brisé toute cette confiance quand il a capturé Juliette. Puis, en invitant Sélène à venir à Rédemption, il a furieusement écrasé les morceaux qu'il restait...

La prochaine question fait sourire Zachary, balayant ses doutes et ses regrets en un clin d'oeil. Dans la voix de sa soeur, il entend la confiance. Deux membre d'une même famille qui discutent...comme si de rien n'était. Les années de séparations s'effacent et il le sent. Il le voit aussi, dans ses yeux, dans ses lèvres qui bougent si vite, plus vite que son esprit. Une preuve de sa confiance.
Soupçon de peur. Coeur qui se serre. Une seconde puis plus rien. Mais quand même, la pensée passagère laisse une trace. Une voix effrayée dans sa tête qui crie "Mais qu'est-ce que j'ai fait ?!"
Oublie tout cela Zachary, c'est trop tard. Profite du moment présent, tant que tu le peux. Aller, vas-y réponds lui. Dis-lui ce que tu penses. Comme si de rien n'était. Comme s'il n'y avait pas d'épée s'enfonçant dans sa gorge. Une épée de glace.
"Bizarre...Oui. Oui, c'est étrange. Il doit y en avoir d'autres pourtant. Regarde, tout ces gens ici, tous doués d'une capacité incroyables. Est-ce que tu aurais imaginer qu'il y en aurait autant ?"
Il ne se demande pas comment elle sait qu'il a un pouvoir, ce n'est pas le moment de douter. Pour l'instant, ce mot n'existe pas.
"Montre-moi Sélène. Montre-moi ce que tu sais faire."
C'est la voix d'un père demandant à son enfant comment s'est passée sa journée d'école, demandant à voir les exercices de maths et les dessins colorés. Un père qui s'émerveillera quoi que l'enfant lui montre. C'est Zachary qui sourit franchement en attendant la réponse de sa soeur.

"Jamais"
Ah...Que ce mot est beau. Deux syllabes, quelques lettres. Et tout est dit, fini. Tellement catégorique. C'est comme...le mot suprême, n'est-ce pas ? Le mot qui dit tout et surtout qui promet, tout. Et pourtant, cette promesse, fondée sur le mot le plus fort, est facilement brisée. Jamais je ne te quitterai. Jamais je ne cesserai de t'aimer. Jamais je ne te trahirai. Non jamais, jamais je ne te tuerai.
Quel beau mensonge. Moins il y a de mot, plus c'est facile à croire. Mais le pire, chers élèves de Rédemption, c'est qu'il n'y a pas que Sélène qui croit aveuglement ce beau mensonge. Zachary aussi se voile la face.
Deuxième erreur.

Pour Zachary, cette vision est un miracle. Lui qui vit dans la peur, dans la peur du lendemain, dans la peur, pas pour lui mais pour Elles. Pour lui, la frayeur s'efface quand il voit sa soeur ainsi. Non mais regardez-la ! Vous avez vu ce regard, ce visage ? Cette concentration inouïe et ces yeux, ce plissement du nez et du front qui dit "Je n'ai pas peur, je suis forte." Oui en cet instant, Sélène est forte, et Zachary ne peut s'empêcher de sourire à cette vue. Elle est déterminée. Toute cette douceur, toute cette peur qu'il voit en elle, ce n'est qu'une facade. Peut-être qu'elle ne le sait pas encore, se dit-il, peut-être qu'elle n'en a pas conscience, mais elle pourrait renverser des montagnes. Et si elle ne le sait pas, c'est son devoir, à lui, Zachary, son grand frère qui a trop souvent failli à son devoir, de le lui faire comprendre.
"Oh, regarde-toi mon ange. Tu n'est plus une enfant, tu n'est pas une femme, peut-être mais tu es...si impressionnante." Il ne le dit pas bien sûr, car parler serait briser ce moment de grâce. Grâce oui, car en cet instant, Sélène rayonne. De l'intérieur.
C'est une héroïne en devenir.
Zachary ne regarde même pas les effets de tous ces efforts. Il ne aperçoit à peine la fleur qui se soulève et c'est pour lui un spectacle effarant. Ce qu'il regarde plutôt, ce sont les mains tendues, qui tentent d'aspirer l'univers, le visage crispé, qui semble vouloir, et pouvoir, interférer avec le cours des saisons. Tant de pouvoir.
"Tant de pouvoir que le Directeur convoitera..." Oui, oui, plus tard. Il aura peur plus tard. Il ne veut pas écouter la raison à présent. Il préfère profiter, s'imprégner de tout ce bonheur.

Quand Sélène se retourne, sa bulle éclate. Il voit les larmes, la tristesse, la honte. Il ne sait que faire. Ses mains s'ouvrent et se referment. Son bras s'avance, d'un centimètre ou deux, vers sa soeur, puis retombe le long de sn corps. Il est bouche bée. Cligne de yeux. Une fois, deux fois. Referme la bouche. Incompréhension.
Puis, vient la colère. Quand Sélène parle. Ce qui pour lui tenait du miracle, la fait souffrir. Et pourquoi ? Pourquoi ?! Parce qu'il n'a jamais été là pour elle, pour lui dire qu'elle est parfaite. Parce que le monde s'est acharné contre elle, jusqu'à mettre tous ses espoirs en miettes. Et que le Directeur s'est empressé de balayer ces restes de bonheur.
Il est tant que cela change.
Zachary, le loup, l'invisible ombre, bouge sans bruit. Il essaie de garder un visage impassible. Pour qu'elle ne voit pas la douleur qu'il y a en lui. Et la rage, qui brûle, qui brûle. Pour qu'elle croit qu'il est encore quelqu'un de bien. Il passe près d'elle, serre sa main, un quart de seconde, comme un fantôme. Prend sa tête entre ses mains, dépose un baiser sur son front. Comme un courant d'air. Puis il glisse vers les fleurs alignés sagement le long du couloir. Il se doute que Sélène doit encore pleurer, mais il ne se retourne pas, pas encore.
Il se penche doucement et prend la fleur qui était tombé. Elle est encore belle, rose pâle. Cependant elle est faible, fine et manque d'éclat.
Zachary revient vers Sélène, passe la main dans ses cheveux. Entre deux mèches, derrière son oreille, brille à présent une fleur d'acier. Fine, faible, encore belle. Fragile d'aspect. Et pourtant, indestructible. Comme Sélène en quelque sorte.
"Comment peux-tu dire cela ? Inutile ? Tu n'est pas inutile, Sélène. Sans toi, le mond ne tournerai plus et la soleil ne se léverai plus. Il y a beaucoup plus en toi que tu ne l'imagine. Pourtant c'est bien là, dans ton coeur, enfoui. Ta force. Sans toi, je ne pourrais plus vivre. Alors ne redis jamais cela."

Zachary hoche la tête. Le reste de son corps reste immobile. Comme une statue de glace, comme une statue d'acier. Que rien ne fera bouger. Oui, il restera sur ses positions. Il n'a pas eu peur de tuer, pas une seule fois, ou peut-être la première. Il n'a pas eu peur de tuer, alors il n'a pas peur de mentir. "C'est pour son bien." Ce hochement de tête, bref et décidé, qu'elle a vu, il le sait, il signfie que oui, il veut bien faire quelque chose pour elle. Il ferait tout pour elle, lui dit-il de ce simple mouvement. Tout, tout, tout. Tout ? Vraiment ? Ca c'est ce qu'il dit. Mensonge.
Mais elle ne le sait pas, et il ne va pas lui dire. Trop de confiance, déjà, trop d'amour. Lui doute, lui souffre, peu importe à quel point du moment qu'elle ne se rend compte de rien. Car si elle voit qu'il ne peut pas prometre ces choses-là, qu'il ne peut pas lui donner son coeur, pas entièrement...Cette nouvelle force en elle, elle la perdra.
C'est trop dangereux. Il ne peut pas se permettre la vérité, pas maintenant, pas avec elle.
Mais avec qui alors Zachary ?
Et c'est là qu'il se rend compte qu'il est seul. Deux personnes seulement compte pour lui, certes, mais il ne peut être honnête avec aucune d'elles. Aucune. Il est seul et perdu, il est seul et combat. il est seul, face à deux tempêtes qui balaient le monde.
Et il ne sait pas quoi faire.
Encore une fois, un profond désespoir le saisit et fait trembler son esprit tout entier. Un léger frémissement d'horreur, de peur. Il ne sait que faire...!
Reprends-toi Zachary, tout cela, Sélène ne le verra pas. Ne gache pas ce moment. Ne gache pas le bonheur. Fais comme elle te dit, donne-lui ce qu'elle veut. Souris.

Zachary, choisissant d'ignorer sa bataille intérieur, sourit. Il sourit de toutes ses forces, il sourit comme s'il était heureux. Et il est, ou tout du moins c'est ce qu'il pense. Sélène, ici, avec lui, bien sûr qu'il est heureux, bien sûr que c'est l'un des plus beaux jours de sa vie ! Alors...Pourquoi est-ce que ça ne marche pas ?
Il ne le voit pas mais il sent que son sourire n'est pas véritable. Il ne sait pas si sa soeur voit la faille, voit la supercherie, il espère que non. Lui, il sait. Il n'est pas en train de sourire, pas vraiment.
Il a oublié.
Après tout ce temps. Tout ce temps pendant lequel il a tout fait pour oublier. Il voulait enlever ces images de sa tête. Oublier la partie abjecte qui fait de lui ce qu'il est, un loup, un meurtrier. Fermer les yeux sur ce qu'il est devenu, ce qu'il a fait, la peur, la rage. Il voulait être en paix avec lui-même.
Il a réussi.
Son âme est innaccessible. Ni les yeux de Sélène ni les sourires de Juliette ne peuvent percer son armure d'acier. Les émotions qui le touchent sont à présent faibles, étouffées. Il voulait se protéger, simplement de protéger, et à présent...
Il peut sourire, oui. Mais sourire avec son âme, il ne peut pas.

"Oh, Sélène, j'espère que tu ne vois pas. J'espère que tu ne voiis pas l'épave que je suis devenu." Au fond, il le savait déjà. Il s'était rendu compte que quelque chose n'allait pas, il était trop insensible. Maintenant, ce n'est qu'une confirmation. Il a enterré sa conscience, la meilleure partie de son âme, trop pronfondément, et elle ne peut ressurgir. Peu importe, il pourra mieux la protéger ainsi, pense-t-il.
Il n'a pas tort. Seulement à présent, il a besoin d'un autre mensonge. Encore un. Un de trop ? Attention, Zachary, tu t'approches du bord, tu risques de tomber.
"Pas encore."

Pour que Sélène, ne voit pas la manque de joie dans son sourire, il décide de changer de sujet.
"Tu sais dessiner...Je te connais si peu, petite soeur, si peu. Parle-moi de toi, s'il te plaît. C'est toi qui importe ce soir, je veux tout savoir."
Pour qu'elle ne voit pas ses yeux, qu'elle ne remarque pas sa peine; pour qu'elle ne voit pas son sourire, qu'elle ne se rend pas compte du secret qui s'y cache; il n'a que sa voix. Sa voix, la seule chose qui soit encore pure, encore pleine d'amour.

Tsss...Zachary, que fais-tu ? Ne laisse rien paraître voyons ! Voyez-vous, élèves de Rédemption, ce léger tremblement de la lèvre, imperceptible ou presque ? Il y a aussi les yeux qui se plissent et les dents qui se serrent. Les doigts qui s'agitent, l'espace d'une seconde, jusqu'à ce que le contrôle revienne.
Zachary est une statue d'acier, il ne bouge pas, on croirait qu'il ne respire plus. Il n'ose même pas faire une seul mouvement, car il sait que cela déclencherait la tempête. La tempête du siècle, une sacrée tornade.

Oui, il ne laisse rien paraître. Il est impassible. Certes, il a oublié comment sourire, mais il n'a pas oublié comment rester calme. Il sait tuer sans ciller, alors il saura la consoler sans un tremblement dans la voix, sans un haussement de sourcil. Sans perdre le contrôle.
Car dans sa tête, ça crie, ça hurle. Ca tue, oui ça tue. Il se tue lui même. Saute par la fenêtre, tape dans les murs, laisse éclater sa rage. Une rage profonde venue de son enfance, venue du temps qu'il a oublié. Ce temps a laisser une trace et la voilà qui ressurgit.



Puis...Il comprend.

"Oui, ma douce petite soeur. Oui, je t'ai laissé. Mais comment te dire ? Comment te dire qu'il n'y avait pas d'autre choix, que j'étais face à un mur ? Je devais partir, je le devais...Je n'avais pas le choix, je n'ai jamais eu le choix. C'était ton bonheur ou le mien...Evidemment que j'ai choisi le tien !
Et j'ai tout fait pour toi. TOUT ! J'ai tout abandonné, et ce n'était pas suffisant. Tu vois, le pire, c'est que je sais bien que je ne pouvais rien faire de plus. Rien...C'est aussi simple que cela. Et ce n'était pas suffisant. Tout mon être, sacrifié pour toi, et ce n'était pas assez. Qu'est-ce que je pouvais faire de plus ? Qu'est-ce qui pouvait te sauver après ça ? Rien, ma soeur, rien. Ou pas moi en tout cas. J'ai évité pas mal de catastrophes tu sais. Dans l'ombre, j'ai travaillé à ta survie. Et j'ai réussi, certaines choses...Que tu ne connaîtra jamais. Je suis l'ombre. L'ombre...Tu ne dois pas savoir.
Non, non, non. Ce qui importe c'est que je comprend, maintenant.
Je n'étais pas assez. Je n'ai jamais été assez. Tu vois, au début, j'ai cru que je devais être jaloux de lui. Il prenait ma place. J'étais toujours là, derrière toi, toujours à te surveiller, à veiller à ton bonheur du mieux que je pouvais. Alors quand je l'ai vu s'approcher, de plus en plus, je l'ai haï. De toute mon âme. Quoique que je ne sais pas si j'en avais une à l'époque. Le fait est que je ne voulais pas qu'il soit près de toi. Je croyais qu'il était un danger. Un danger ! Quel idiot...C'était ton sauveur, n'est-ce pas ? Ton héros...
Alors, quand j'entends tes paroles ce soir, je suis ravi. Mon coeur se brise, oui, je ne peux pas dire le contraire. Il a fait ce que je n'ai pas pu accomplir. Il a mis un beau sourire sur ton visage. Qui suis-je moi ? Est-ce que je mérite une place dans ta vie ? N'était-ce pas une erreur de te révéler qui je suis ? N'aurais-je pas dû rester une ombre ? Je ne sais pas Sélène...Je ne sais pas. C'était une telle évidence.
Je crois que j'ai été égoïste. Je voulais juste que tu m'aimes...
J'ai pensé à moi ! Voilà mon erreur ! Je ne veux pas que tu paies pour mes conneries, petite soeur, je ne veux pas te faire souffir...! Je te promet, je te promet que cela n'arrivera plus. Comme avant, je vais oublier, je vais oublier ma douleur. Car c'est toi qui compte. TOI SEULE !"

Zachary ouvre subitement les yeux. Devant lui, un mur noir. Derrière, une vitre glacé, une soeur en pleurs. Ses poingts sont serrés, placés sur le mur. Il a du les abattre pendant sa prise de conscience. Ou bien sa crise de conscience ? En tout cas il a mal. Mal aux mains, mal au coeur. Mal à la gorge aussi...
Est-ce que...Est-ce qu'il a parlé tout haut ? Ou est-ce que c'était seulement dans sa tête. Il doit être devenu fou, car il ne sait pas. Pourtant il entend encore les échos de sa voix qui explose, qui expose. Cela ne lui ressemble pas mais surtout...Il ne veut pas y croire. S'être livré comme ça, c'était stupide, si stupide. Il ne fallait pas qu'elle sache tout cela, il voulait rester une figure héroïque, imbattable. Il a échoué, encore une fois.

Mais non, mais non Zachary. Tout cela, ça fait seulement de toi en être humain.

"D'accord, bien sûr. Tu sais que je fairais tout pour toi, petite soeur."
Zachary enlace sa soeur. Tendrement. Il se dit qu'il pourrait rester ainsi pour l'éternité. Et il le voudrait tellement. Cependant, le Destin ne sera pas si clément avec lui.
Mais pour l'instant, il savoure cet instant. Cet instant où tout est calme, toutes les tempêtes, en lui et autour, se sont apaisées. Tout ses sens sont concentrés sur une seule et unique chose : Sélène. On en revient toujours à elle. Malgré ce qu'il a dit, il ne peut lui résister.

Enlacés, comme deux êtres que rien ne peut atteindre. Un amour des plus purs. Fraternel. Ancré dans leurs âmes.

Il caresse doucement le poignet de Sélène, histoire de lui dire que ce n'est pas grave. Ce ne sont que des marques du passé, qui promettent un futur bien meilleur. Aucune parole n'est échangée, pourtant, il sait qu'elle comprend. Même s'il va s'éloigner, même si tout va changer, il sera toujours là pour elle. Les paroles de Sélène ont apaisé sa colère, ont fait taire les voix dans sa tête qui doutaient. Tout va bien à présent.
Ils sont ensemble, et ensemble, ils changeront le monde.

L'ombre de cet homme, la jalousie et le beau sourire de Juliette flottent encore dans les airs autour d'eux. C'est un frisson qui parcourt sa colonne vertébrale et qu'il essaie d'oublier en se concentrant sur Sélène, sur le présent. Encore une fois, il est un paradoxe, ne sait que penser de tout cela. Elle a besoin de lui, il ne peut l'abandonner. Pourtant, il sent qu'il le faut. Il doit partir. Il y a des choix qu'il ne peut faire, d'autres qu'il devrait faire mais il s'y refuse. Il ferme les yeux et se concentre sur les battements du petit coeur de Sélène.
A l'unisson avec le sien. Et sa respiration apaisée, profonde. En même temps que la sienne. Tout va bien. Les mots ne servent à rien dans ces moments-là et c'est pour cela que Zachary se tait. Mais il suffiit qu'il sert un peu plus fort pour lui faire comprendre. "Merci. Merci d'être là Sélène. De donner un sens à ma vie. Ne t'en veux pas car tout ira bien. Je te le promet." Voilà ce qu'il dit en prenant sa main, en la laissant reposer sa tête sur son torse, en passant une main dans ses cheveux.

Mensonge.

Mais ça il ne le sait pas. Tout comme il ignore que dans quelques instants, tout va basculer. Attention Zachary, tout n'est pas fini. Le drame continue. Car c'est ton Destin.