___Le train entrait enfin en gare. Durant tout le trajet, du moment où elle avait quitté la maison au moment où elle se redressait pour récupérer ses sacs, elle n'avait cessé de se demander si c'était vraiment une bonne idée. Tout plaquer ainsi, soudainement, pour se rendre dans une ville totalement inconnue n'était en rien la définition idéale d'une « bonne » idée. Que du contraire. Raison pour laquelle un sentiment d'appréhension lui nouait maintenant l'estomac, tandis qu'elle descendait sur le quai en hissant son premier sac sur son dos, la lanière du second reposant sur son épaule. Elle prit une profonde inspiration et expira lentement pour se forcer au calme. Il était un peu trop tard pour paniquer et faire machine arrière de toute manière.

___C'est avec cette pensée pas forcément réjouissante qu'elle suivit la foule de voyageurs un peu au hasard, observant autour d'elle avec une attention qui trahissait le fait qu'elle n'avait jamais, au grand jamais, mis les pieds dans cet endroit. En fait, elle n'en avait même jamais entendu parlé, raison de plus pour être totalement perdue. Enfin, au moins personne ne la regardait en coin prêt à prendre ses jambes à son cou au moindre évènement suspect. Cela avait rythmé son quotidien pendant plus de deux ans, cette année encore cela avait recommencé dès le début d'année. « Vous êtes sûr monsieur que je suis obligé de m'asseoir près de Ray ? » « Ah non, je ne veux pas d'elle dans mon équipe, elle va nous porter la poisse ! » et ainsi de suite. Se faufiler telle une ombre dans les couloirs en essayant de ne se faire remarquer de personne était devenu un véritable art. Mais bon, cette année, elle était bien décidée à repartir de zéro en évitant de se faire une réputation de sorcière ou autre chose fortement similaire. Après tout, ce maudit esprit qui lui pourrissait l'existence depuis qu'elle avait eu le malheur d'un peu trop se moquer d'eux ne l'avait pas suivi jusqu'ici, n'est-ce pas ? Ou alors, il devait drôlement s'ennuyer.

___Levant les yeux au ciel à cause de ses pensées de plus en plus dérisoires, elle réajusta la lanière glissante de son sac sur son épaule et se mit en marche de façon décidée, puis hésitante. C'est bien beau de vouloir rejoindre le pensionnat au plus vite. Le hic, c'est qu'elle n'avait pas la moindre idée de où il était, ni de ce qu'elle devait faire une fois qu'elle en aurait franchi les grilles. Est-ce qu'une arrivée aussi tardive serait acceptée par l'établissement, déjà ? Si ce n'était pas le cas, elle serait obligée de rentrer chez elle et, accessoirement, elle se ferait tuer sur place par ses parents pour être partie ainsi sans leur accord, devenu obsolète depuis qu'elle avait dépassé la majorité. Tch !

___Pestant un peu, elle se remit en marche à la recherche d'un quelconque plan de la ville, même si elle n'y comptait pas trop, ou d'une personne à qui demander son chemin. Sauf que cette manie de ne pas oser prendre la parole semblait s'être bien ancrée en elle, même si elle était plutôt extravertie avant, si bien qu'à chaque fois qu'elle faisait mine d'apostropher quelqu'un elle ouvrait la bouche pour la refermer aussi sec avec une moue ennuyée. Bon, à ce rythme-là, elle allait passer la journée ici...

Il l'avait perdu.

…

Putain de merde ! Il l'avait perdu !!
La tête dans le cul, les yeux cernés et les cheveux en bataille, il n'avait pas passé une très bonne nuit. Pour le peu qu'il ait dormi. C'est à dire, rien du tout. Il avait passé sa nuit à la chercher mais force était de constater qu'elle avait bel et bien disparue. . Bordel ! Une gamine pouvait pas disparaître comme ça dans les bois en pleine nuit ?!!
En avait donc découlé une superbe nuit blanche à fouiller les alentours du pensionnat, tout ça sans aucun résultat. Au petit matin il avait fini par rentré, crevé, pour prendre le petit déjeuné au réfectoire avec tout les autres élèves. La petite Emma lui avait dit connaître Sélène, peut-être devrait-il raconter à cette dernière ce qui s'était passé cette nuit ? Bon sang, la brunette était déjà tellement parano qu'une annonce pareille risquait de la faire sombrer pour de bon. Mais il ne l'avait pas rêvé cette fille ! Il se passait vraiment, vraiment, VRAIMENT des trucs bizarres dans cet endroit. Ouais, Stan était à deux doigts de se demander s'il n'allait pas devenir barge lui aussi ! Les yeux rivés sur son bol, l'idée saugrenue que ça venait peut-être d'un truc qu'on leur faisait manger qui les rendait tous un peu tarés et psychopathe lui traversa l'esprit avant que la cloche ne retentisse. Il devrait reporter à plus tard la conversation avec Sélène.

La première heure de cours fut un calvaire. Il était déjà cancre de nature, mais là c'était tout bonnement insupportable. Il n'avait franchement pas la tête à ça.
La deuxième heure de cours fut... séchée. Vu la peur que lui inspirait Rédemption, il se doutait qu'Emma n'avait pas du entrer ici – pas volontairement du moins – et c'est comme ça qu'il se retrouva à tracer sa route jusqu'à la ville. Si on pouvait appeler « ville » les quelques maisons et boutiques qui formaient le centre de Birdsall.

Alors qu'il déambulait seul dans les rues, des multitudes d'interrogations toutes plus loufoques les unes que les autres l'assaillaient. Il avait quitté sa Nouvelle Zélande à cause de cette lettre qui l'avait intrigué et il avait alors espéré trouver ici quelques trucs « intéressants ». Le moins que l'on puisse dire, c'est que sur ce coup il n'avait pas été déçu ! Bon sang... il ne s'était jamais senti aussi loin de chez lui qu'à cet instant...

En train de planer à milles lieux de là dans ses pensées, la vision d'une chevelure brune le ramena à l'instant présent.

« … Emma ? »

De dos, il ne voyait là qu'une jeune fille aux cheveux auburn qui semblait un peu perdue avec toutes ses valises. Valises...? Elle se faisait la malle ?! C'est vrai que la gare n'était pas loin, et après ce qu'il s'était passé, prendre la fuite semblait un choix judicieux, mais elle aurait put le prévenir !

« Emma c'est toi ?! Où est-ce que tu... ! »

La main posée sur l'épaule de la jeune fille qu'il venait de retourner vers lui, la fin de sa phrase se perdit quelque part entre son cerveau et ses lèvres lorsque ses yeux se posèrent sur le visage de l'inconnue. Peut-être était-ce le fait d'avoir passé la nuit dehors à chercher un fantôme, ou bien toutes ces histoires de disparitions mystérieuses qui lui avait grillé le cerveau, c'est vrai que lorsqu'il l'avait trouvé, il faisait nuit et ils étaient perdu au milieu des bois, mais il aurait du se rendre compte tout de suite que cette fille n'était pas la même que l'étrange animal blessé qu'il avait découvert et qui lui causait tout ses soucis de conscience.

Bêtement planté là à la fixer, il fini par bafouiller quelques excuses un peu à la ramasse pour son comportement déplacé. Enfin, c'est pas comme s'il avait pas l'habitude de faire des trucs déplacés hein ! Hem. Il était vraiment perturbé en ce moment...

« Je... se rendant seulement compte à cet instant qu'il lui tenait toujours l'épaule, il retira sa main pour venir se pincer l'arête du nez en fronçant ses sourcils. Désolé, je t'ai prise pour quelqu'un d'autre. »

Putain, fallait vraiment qu'il dorme, qu'il se prenne un peu de repos, surtout qu'il oublie tout le bordel qui se trame ! Il n'allait pas tardé à rejoindre le club des paranos...
Un soupire las et fatigué lui échappa avant qu'il ne dévisage vraiment cette fois la demoiselle.

Un petit bout de femme diablement mignonne avec tout ses sacs, l'air désemparée et complètement paumée, mais surtout – enfin, « surtout », le fait qu'elle soit mignonne c'est déjà pas mal! Ahah – cette sensation qu'il ressentait émanant d'elle... Pas de doute, cette fille-là – comme beaucoup dans les environs – possédait un pouvoir particulier ! Son don de détection le lui assurait. Une pensée s'imposa alors à lui après ce constat. La détaillant d'un air suspicieux, il lui demanda, le ton légèrement railleur mais amical, comme une plaisanterie entre amis tandis que ses iris bleu-gris s'accrochaient à elle avec une certaine curiosité.

« C'est pas un peu tard pour une rentrée ? »

___Vous la croyez si elle disait qu’elle avait une envie démesurée de se gifler en cet instant ? Non mais qu’est-ce qui lui avait pris de prendre la poudre d’escampette de la sorte ? Bon, d’accord, elle savait très bien ce qui lui avait pris, mais tout de même ! Elle n’avait pas imaginé se retrouver à jouer les poissons dès son premier jour, et ce en plein milieu de la gare. Une fois encore, elle laissa filer une potentielle source d’informations, incapable de prononcer le moindre mot lorsque ses lèvres s’entrouvraient. Soit elle hésitait sur comment interpeller la personne, soit sa voix mourrait dans sa gorge. Cela devenait franchement handicapant… Au point qu’elle en vint à jurer tout bas, resserrant ses doigts autour de la lanière de son sac tout en se mettant en marche vers… Oui, vers où ?

___Jurant encore, décidément elle aurait mieux fait de ne pas quitter la douce chaleur de son lit, elle tressaillit en sentant une main sur son épaule. Le mystérieux inconnu à qui cette main appartenait devait sans aucun doute possible la confondre avec quelqu’un vu le nom avec lequel il venait l’interpeller. Jusqu’à preuve du contraire, elle avait changé de ville, mais en rien d’identité. Et puis, de dos, il est vrai qu’elle avait un physique assez « passe-partout », comme n’importe qui vous allez dire. Prête à faire face au jeune homme pour le mettre au courant sur son erreur, elle n’eut cependant pas le temps d’esquisser le geste qu’il la retourna de lui-même sans autre préambule. Son étonnement pleinement visible, il fut remplacé par une certaine gêne caractérisée par une légère rougeur sur ses joues, mal à l’aise d’être fixée de la sorte. Pour ne rien arranger, elle se mit à bafouiller en même temps que lui, fuyant le plus possible son regard jusqu’à ce qu’il lui lâche l’épaule et semble retrouver ses mots. Cela faisait au moins l’un des deux qui n’avait pas envie de se faufiler dans un trou de souris, même si des deux cela devait être lui le plus mal à l’aise.

___– J’ai cru remarquer, sourit-elle, le ton de sa voix plus timide qu’elle ne l’aurait voulu.

___Sans trop oser relever les yeux vers lui, préférant de loin accorder son attention visuelle aux quelques personnes qui traversaient la gare sans leur prêter grande attention, elle se mordilla doucement la lèvre, trahissant une fois encore son malaise. Il faudra attendre qu’il reprenne la parole pour qu’elle daigne ancrer son regard au sien, notant au passage qu’il avait des yeux qui valaient le détour. Faisant la moue à sa question, et aussi à l’expression de son interlocuteur, elle eut ensuite un nouveau sourire, un rien plus à l’aise.

___– C’est que j’aime me faire désirer...

___Des claques, elle allait se donner des claques ! Ce n’était pas forcément le moment pour parler avec un sourire taquin alors qu’une seconde plutôt elle avait envie de disparaître sous terre, il allait la prendre pour une schizophrène au sinon ! S’éclaircissant la gorge, elle passa sa main libre dans ses cheveux avant de reprendre :

___– Plus sérieusement, j’ai juste reçu ma lettre en retard, dirons-nous. Je me demandais... Tu ne pourrais pas m’indiquer le chemin jusqu’au pensionnat ? Me connaissant je vais me perdre après même pas trois pas dehors, du coup… Au fait, je m’appelle Ana Evelyn, finit-elle par dire, tendant une main vers lui toujours avec ce même sourire mi-timide mi-enjoué aux lèvres. Mais tu peux m’appeler Ana. Ou Evelyn. Comme tu veux !

___Exactement, sur la fin, c’était typique de la fille qui ne savait plus trop quoi dire ou qui voulait trop dire en peu de temps, vu le débit avec lequel elle avait sorti les derniers mots. Autant sa maladresse pouvait paraître mignonne, autant cela lui donnait uniquement envie de se taper la tête contre un mur… Plus encore s’il s’avisait d’esquisser le moindre sourire moqueur.

S'excuser et filer sans demander son reste en essayant de faire oublier sa méprise en se faisant le plus petit possible. C'est exactement ce que Stan ne fit pas. Ce n'était pas demain la veille que la gène allait l'étouffer celui-là ! Pour le coup, il s'amusa même de voir les joues de sa « méprise » se colorer bien joliment. Oh oh, une timide ? L'envie de la taquiner un peu lui ferait presque brièvement oublier l'histoire invraisemblable de la veille. Presque.
Si elle éprouvait quelques difficultés à le regarder dans les yeux, ça ne lui posait pas de problème de son côté. Hey ! Dans les yeux on a dit ! Hem, amusant, avec un physique pareil, il l'aurait plus imaginer en pompom girl extravertie qu'en jeune fille effarouchée, comme quoi, il ne fallait pas se fier aux apparences. En revanche, sa seconde remarque lui fit hausser ses sourcils avant qu'il n'éclate d'un rire franc. Peut-être pas si timide que ça la donzelle finalement !

« Ok Ana ! Ravi de rencontrer une fille si désirable. Il saisit la main qu'elle lui tendait et la serra en lui adressa un clin d'œil taquin en reprenant – et déformant légèrement – sa réplique précédente. Moi c'est Stan, tu viens bien pour Rédemption alors ? En même temps, la quasi totalité des jeunes que tu croiseras ici en font partie. On ne peut pas dire qu'il y ai grand chose d'autre dans le coin. »

Ce n'était plus tout à fait juste depuis qu'un groupe de forains s'était installé dans l'ancien parc d'attraction, mais l'adolescent n'avait pas encore eu l'occasion d'y mettre les pieds. Un jour prochain sans doute ? Si les pions du pensionnat ne se décidaient pas à l'enfermer à double tour dans sa chambre à force de sorties sans autorisation à répétition, ahah.
Il s'avéra que cette chère Evelyn ne semblait pas seulement perdue, mais était réellement complètement paumée. Alors comme ça, on a pas le sens de l'orientation ? Rien à voir si c'était effectivement la première fois qu'elle mettait les pieds ici. Il pourrait bien l'envoyer à l'autre bout de la ville qu'elle n'y verrait que du feu ? Mais non, pas d'inquiétude à avoir, il lui arrivait de faire des blagues stupides – on se rappellera encore quelques temps de cette soirée d'halloween au pensionnat – mais sur ce coup ce ne serait pas sympa, surtout pour une fille qui semblait manquer un peu de confiance en elle... il se trompait sur ce coup ? Peut-être, peut-être pas.

Son regard glissa sur elle pour observer un instant songeusement les alentours, mais à cette heure-ci, il n'y avait plus grand monde qui prenait le train, pas de traces d'Emma et il avait la sensation qu'elle ne se trouvait pas dans les environs. Instinct masculin ou appeler ça comme vous voulez ! Il acquiesça donc à sa demande.

En guide charmant et serviable, il lui offrit de lui porter l'un de ses sacs et la conduisit un peu plus loin dans la ville. Birdsall était une bourgade au fin fond de l'Angleterre, Rédemption était encore bien plus isolé et perdu, là-bas au milieu des bois, avec une route qu'il était préférable d'emprunter à pied si l'on ne voulait pas ruiner son automobile.
Arrivé à l'endroit souhaité, Stan s'immobilisa sur le trottoir est indiqua d'un signe de la main une butte éloignée derrière laquelle on pouvait deviner au loin le toit du pensionnat. Laissant à Ana le loisir de plisser les yeux pour le distinguer enfin, Stan déclara d'un ton emprunt d'ironie.

« Bienvenue à Rédemption, ton nouveau petit coin de paradis ! »

Ah ça, si elle était venue ici en pensant se mettre au vert, elle ne devait pas être déçue ! Dans le cas contraire et bien... on a jamais ce qu'on veut de toute façon, hein ? Faut faire avec comme on dit !
Peu enclin à retourner tout de suite au pensionnat alors qu'il venait tout juste de sécher – si rien de nouveau ne se présentait à lui, il y retournait pour midi – il se tourna vers la nouvelle arrivée.

« T'es pas si pressée que ça d'aller en cours, si ? Il arqua légèrement un sourcil en la toisant, semblant vouloir l'inciter silencieusement que « non, en effet, sa rentrée pouvait bien attendre encore un peu ! » au stade où ça en était de toute façon hein. Un petit tour pour découvrir la ville, cela tenterait-il la demoiselle ? »

Il lui fit même une petite moue du genre « S'teu plait dit oui ! » puis, un sourire aux lèvres, bifurqua pour descendre la rue – dans la direction opposée au pensionnat soit dit en passant – sans vraiment attendre son accord, embarquant avec lui le sac qu'il portait, ne lui laissant finalement pas tellement le choix.

« Allez viens, c'est pas loin, et si t'es sage, j'te payerais même un verre ! Ahah ! »

Visiblement de bien bonne humeur, cela n'empêchait pas le garçon de garder à l'œil ce qui se passait dans les environs. Sait-on jamais s'il apercevait quelque chose sur l'affaire qui l'avait conduit à descendre en ville à la base...

[Désolée pour le temps de réponse >.<]

___Bien loin de se rendre compte qu’il semblait avoir quelques difficultés lui aussi à la regarder dans les yeux – bien que cela ne soit pas pour les mêmes raisons – elle coinça sa lèvre inférieure entre ses canines à ses mots. Elle allait encore en entendre parler de sa maladresse de tout à l’heure, elle en était persuadée ! Il y a des fois où elle devrait vraiment tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler… Libérant sa lèvre d’un quelconque mordillage, elle sourit timidement sous le clin d’œil et opina de la tête à sa question.


___– Oui, je le crains fort…, murmura-t-elle, davantage pour elle-même, avant de reprendre plus distinctement. De toute manière je suis plutôt du genre casanière qu’à flâner en ville, donc ce n’est pas un problème.

___Pas la peine de préciser qu’elle avait plutôt perdu l’habitude d’errer sans but précis dans les rues, sauf quand elle avait l’impression d’étouffer. Or, dans un pensionnant, ça ne risquait pas d’arriver. Sauf si ce qu’elle redoutait, à savoir qu’un certain esprit ne l’aie suivie jusqu’ici, s’avérait être vrai. Si elle pouvait éviter de se faire la même sale réputation que dans son ancienne école, elle en serait ravie. Prendre un nouveau départ et repartir directement sur les mêmes mauvaises bases était après tout assez contradictoire.
___Quoiqu’en y réfléchissant le plus, ce n’était pas ça qu’elle craignait le plus… En cet instant du moins. C’était plutôt l’appel de ses parents. La jeune femme n’avait pas connaissance du fait que les portables et autres appareils modernes étaient proscrits à Redemption. De ce fait, comme tout jeune actuel, elle avait bien sûr emmené son téléphone et même son ordinateur portable, bien au chaud dans le fin fond de son sac. Tentée par l’idée de laisser le petit appareil éteint pour le reste de l’année pour éviter d’entendre ses parents hurler, elle sourcilla quand Stan manifesta l’envie de porter un de ses sacs. Elle hésita au début avant de finalement opiner en lui tendant le plus léger qui ne contenait que des vêtements, comme si elle craignait qu’il ne parte en courant avec en s’écriant « Ahah, je t’ai eue ! ». Curieusement, elle n’avait aucun mal à l’imaginer faire une chose pareille… Ce qui lui avait arraché un sourire amusé qu’il ne put voir vu qu’elle marchait deux-trois pas derrière lui.

___Elle le suivit silencieusement en observant autour d’elle, pouvant de cette façon constater qu’il n’avait effectivement pas grand-chose à Birdsall. Mais en même temps quand on venait de Londres la différence était facilement notable. Londres était une capitale où il valait mieux partir à pieds si l’on ne voulait pas se retrouver coincer dans les embouteillages. Ici, aucun risque… Toutefois, il valait mieux graver le chemin dans sa mémoire plutôt que d’épiloguer sur la différence entre les deux endroits. C’est néanmoins quand elle se fit cette remarque que son guide s’arrêta, suscitant sa curiosité vu qu’elle ne voyait aucun pensionnat dans les alentours jusqu’à ce qu’il lui désigna un endroit éloigné. Il lui fallut un instant pour remarquer ce qu’elle devina être le toit de Redemption. Ah oui, il fallait encore marcher tout ça… ? Sa moue fut rapidement remplacée par un sourire contrit à la remarque à Stan. C’est étrange, mais dis comme ça, elle avait plutôt l’impression qu’elle allait penser le contraire.
___Il n’y avait qu’une seule façon de le savoir, n’est-ce pas ? Déjà pas tellement convaincue elle-même, elle eut à peine l’occasion de faire mine de reprendre la marche vers l’endroit désigné qu’il se tourna vers elle.

___– Euh, eh bien…

___Bien sûr que non, elle n’était pas pressée. Plus elle pouvait retarder ce moment, plus elle en serait heureuse. Certes, elle avait hâte sur plusieurs points, mais la liste de ceux-ci était beaucoup, beaucoup plus courte que celle des choses pour laquelle elle voulait prendre ses jambes à son cou. Quand bien même elle aurait été pressée, vu le regard du jeune homme, elle était certaine que son avis n’était que dérisoire pour lui. Qu’importe, il lui offrait un parfait échappatoire et en plus l’occasion de découvrir la ville : que demander de mieux ? Si un quelconque sentiment d’hésitation s’était emparé elle, il aurait de toute manière bien vite été balayé par la moue de Stan.

___– D’acc… Hey, reviens !

___Elle n’était pas si loin que cela quand elle l’avait imaginé se faire la belle avec son sac quelques minutes plus tôt. Comme quoi il faut toujours suivre son intuition. Elle le rattrapa en deux enjambés et posa une main sur son épaule, l’autre toujours accrochée à la lanière de son sac.

___– C’est à se demander pourquoi tu me poses la question si tu prends mon sac en otage, commença-t-elle en lui jetant un regard accusateur qui contrastait avec sa mine amusée. Donc comme j’allais te le dire c’est d’accord, à condition que tu ne fasses plus cette tête ! Tu as conscience d’à quel point tu peux être convainquant ?

___Sa question fut accompagnée d’un petit haussement de sourcil évocateur. Cela faisait un bien fou de ne pas avoir eu droit à un seul regard anxieux, une seule remarque blessante. Aucune ignorance non plus. Entre vouloir passer inaperçue et se faire ignorer il y avait une nette différence.
___D’humeur plus légère, elle marchait maintenant presque à côté de lui, s’aidant de la main sur son épaule pour le ralentir si jamais il faisait mine d’accélérer le pas. Dite main qu’elle ôta avec un petit éclaircissement de gorge et une mine désolée, certaine que son contact le gênerait.

___– Hmm… Défini « être sage » et je te promets de l’être ! Je meurs de soif !

___Et puis c’était peut-être ces derniers instants de totale liberté. Elle n’avait pas la moindre idée du règlement de Redemption et si ça tombe c’était couvre-feu à vingt heures et interdiction de sortir à part les week-ends et encore selon les notes obtenues. Bon, d’accord, elle exagérait peut-être un peu… ou peut-être pas. Nouvelle chose à ajouter à la liste des angoisses : les règles.
___Chassant ses pensées peu enthousiastes pour le reste des évènements, elle s’en remit totalement à son guide pour le chemin à prendre, non sans prendre bonnes notes de chaque bifurcation. Après tout, il ne serait pas toujours là pour lui montrer le chemin, cela serait trop facile…

Dis donc, il lui faisait peur ou quoi? Il avait bien remarqué qu'elle trainait la patte, quelques pas derrière lui. Sérieux manque de confiance en elle ou petit temps d'adaptation? Dans le premier cas, s'il la brusquait ou la titillait un peu trop – ce qu'il avait souvent tendance à faire, hey! On ne peut rien contre sa nature – cela la ferait fuir et se refermer d'autant plus vite. Dans le second cas, cela la pousserait à se mettre à l'aise plus vite!
Un, deux, trois... Catastrophe évitée, on était dans le cas de figure n°2! Léger sourire en coin en sentant la main qui se pose sur son épaule, il tourne son visage vers elle, arquant un sourcil innocent devant la mine accusatrice qu'elle lui opposait.

« Simple question de politesse! Je savais bien que tu ne pourrais pas me dire non. Il hausse ses sourcils, ayant presque l'air sérieux, celui du type qui ne doute de rien! Avant que son visage ne se fende d'un sourire amusé et taquin. Je t'aidais juste à ne pas avoir de doute sur la bonne décision à prendre. »

Clin d'œil complice, il acquiesce ensuite avec pragmatisme à sa remarque. C'est vrai que quand on le regardait, on l'imaginait pas vraiment faire une tête pareille! Et pourtant, les moues innocentes lui allait si bien.

« Des années de travail et de pratique pour en arriver là. »

Loin d'être gêné par ce contact fugace, il ne prêta pas grande attention à sa mine désolée, laissant la lanière du sac « otage » sur son épaule pour placer sa propre main au creux des reins de cette dernière et lui faire enfin franchir le dernier petit pas qui la faisait encore paraître en retrait.
Il croisa son regard un instant et se contenta d'un haussement de sourcils du type « J'vais pas te manger, tu sais! » avant de refermer ses doigts sur la lanière du sac qu'il portait et qui commençait à glisser dangereusement de son épaule.

« Pas de soucis, continues comme ça et tu auras ton verre! Et puis... j'suis pas un monstre, j'laisserais pas une jeune fille mourir de.. soif. »

Ses sourcils viennent de se froncer et il s'immobilise sur le trottoir. Il retient sa respiration une seconde, les muscles soudain tendus, une douleur lancinante et pourtant bien connue venant de le frapper en pleine poitrine. Bordel. Il fourre sa main droite dans sa poche et serre plus fort la lanière du sac de sa main gauche en reprenant sa marche comme si de rien n'était. Il avait passé une sale nuit et avait zappé au petit matin de prendre ses foutues pilules. Une sacrée merde à laquelle il finirait certainement accro à ce train-là. Mais comme pour les moues innocentes, il avait développé une certaine capacité à faire abstraction de ce genre de problème. Hey, la vie continue!

Poursuivant son petit bonhomme de chemin en évitant avec soin et stratégie de croiser de nouveau le regard de la brune, il lui présenta succinctement les boutiques devant lesquelles ils passaient en évoquant ce qui pourrait lui plaire ou lui être utile jusqu'à arriver au bar.

« Et nous voilà arrivés au Cul-Sec. Ouep, j'te l'accorde, pas terrible comme nom, mais si quelqu'un t'invite à boire un verre... c'est le seul bar du coin! Enfin... Il lui désigne un établissement à l'air fermé de l'autre coté de la route, un peu plus loin dans la rue. Il y a aussi le Good-Night, mais c'est une boite de nuit. Ils ouvrent que le soir. Léger sourire en coin à l'énonciation des noms, Ô combien évocateurs des deux établissements. Ce sont de sacrés petits rigolos dans le coin. »

Il poussa la porte du bar, l'invitant à entrer d'un « Après vous mademoiselle » pour finalement la guider dans un des angles de la salle pour ainsi poser les sacs en toute tranquillité et la laisser s'installer.

___Ce qui était certain, c’est qu’il ne manquait pas de confiance en lui ! Chose qui lui rappelait quelqu’un, d’ailleurs, il y a quelques années de cela… Mais peut-être ne valait-il mieux pas s’attarder sur ce genre de pensées bonnes pour lui donner un air absent et nostalgique, surtout en aussi bonne compagnie ! Si elle avait été un peu plus sûre d’elle, elle aurait très certainement rit aux mimiques qu’il adoptait ainsi qu’à ses mots. Mais la jeune femme timide demeurait fidèle à elle-même malgré son envie de changer, aussi se contenta-t-elle de sourire, levant les yeux au ciel quand il lui dit qu’il lui avait fallu des années de pratique. Elle était certaine que c’était de naissance, oui !

___Un rien étonnée de se faire ramener en avant, elle leva les yeux vers lui avec une lueur d’interrogation dans le regard. Mais elle comprit dès que leurs regards s’accrochèrent. Hum… Elle se désespérait. Marchant donc à ses côtés désormais, elle remonta un peu la lanière du sac qu’elle portait toujours, avec la très nette impression qu’il devenait plus lourd à chaque pas. Hmpf. Pour sa défense, elle avait gardé celui avec les objets le plus lourds… et accessoirement interdit dans l’enceinte de l’école sans qu’elle ne soit encore au courant. Note que cela lui permettrait de fuir l’appel de ses parents… Comment ? Ce serait pire ? … Pas faux.

___– J’espère bien ! Toutefois…

___Cessant d’observer la route pour de nouveau cont… hn, regarder son guide, elle s’apprêtait à lui rétorquer avec un fin sourire innocent qu’elle attendrait d’en avoir la preuve avant de le croire sur parole quand il cessa brutalement de marcher. S’immobilisant un pas après lui, elle tourna la tête dans sa direction alors qu’il reprit la route, elle-même mettant un moment avant de le suivre, rattrapant son pas de retard en quelques enjambées plus longues. Si sa curiosité la piqua au vif, elle comprit bien vite à la façon dont il fuyait son regard qu’il ne valait mieux pas qu’elle pose de question. Pour le moment, car si jamais cela lui arrivait encore une fois durant qu’ils étaient ensemble l’interrogation franchirait ses lèvres avant même qu’elle n’ait le temps d’y penser, elle se connaissait trop bien. Peut-être aurait-elle également pu lui demander s’il voulait qu’elle reprenne son sac, mais elle savait que les hommes tenaient à leur fierté.

___En somme, elle fit donc abstraction de ce petit incident et fit comme si de rien n’était, hochant la tête de temps à autres alors qu’elle comptait sur sa mémoire pour ne surtout pas lui faire faux bond maintenant. Parfois elle lui poserait une question ou l’autre sur ce qu’il y avait par-là, son ton se faisant de plus en plus assuré et moins hésitant sur les mots à employer.
Par après elle s’arrêta à ses côtés, ne pouvant s’empêcher de sourciller aux noms des bars. Il était sérieux… ? Apparemment oui.

___– Disons que les noms sont assez… représentatifs. Je te préviens juste : pas de cul-sec pour moi, je m’étouffe à chaque fois.

___Si jamais il lui prenait l’envie de rire, elle lui collerait un léger coup de coude sur le bras comme si c’était tout à fait normal avant qu’elle ne le suive, passant la porte en le remerciant d’un « Merci Alfred ~ » en l’occurrence au célèbre majordome de Batman. Hey ! Chacun ses références ! C’était ça ou Lurch, le valet de la famille Adams. Alors pour éviter de l’offenser… Même s’il n’avait rien d’un bonhomme grisonnant, elle l’admettait.
___Elle poussa un léger soupir d’aise lorsqu’elle posa son sac à terre, en délicatesse néanmoins pour ne pas risquer d’abîmer les objets qui s’y trouvaient. Ôtant sa fine veste pour la poser sur le dossier, elle prit place et joignit ses mains devant elle, son regard coulant sur Stan d’une façon amusée.

___– Quand tu dis que ce sont de sacrés rigolos… Tu te comptes dans le lot ?

___Autant dire qu’elle avait même bien repris confiance en elle durant le chemin qui menait jusqu’ici. À moins que ce ne soit tout simplement le naturel du jeune homme qui la mettait en confiance ? Allez savoir…

Et il se prit donc un coup de coude en riant à son jeu de mots sur le nom du bar et sa consommation. En même temps, elle était plutôt bonne, non?! Bon ok, ça n'allait pas chercher bien loin mais... Il aurait bien voulu voir ça tient! En revanche il lui rétorqua un dubitatif « Alfred? » n'ayant pas capté la référence. Ils auraient été en train de parler Batman ou y aurait fait allusion auparavant, ça aurait fait tilt, mais là... Hey, si ça se trouve, il se rappellerait de cette réplique dans une prochaine conversation avec dieu sait qui! Ça serait malin. Hum.
Il déposa le sac qu'il tenait avec le reste et s'installa en face d'elle, lui laissant tout le loisir de choisir sa boisson parmi celles proposées sur la carte, sachant déjà ce que lui-même allait prendre. Un Monaco bien frais, ça lui irait très bien! En espérant que ça achève de le réveiller, ça serait pas mal. Même si la délicieuse compagnie de la ravissante Ana y pourvoyait déjà grandement ♥ ce qui ne l'empêchait pas d'avoir toujours un peu la tête ailleurs par moment quand il se laissait aller à repenser aux évènements de la nuit... Merd- ! Zut, flute, saperlipopette. On reste zen et poli. Il fallait vraiment qu'il cause à Sélène...

Il nia sa remarque d'un mouvement de tête, un sourire en coin avant de lui répondre avec un accent qu'il pêcha dieu sait où, pour bien faire étranger!

« Hey, c'est que je suis pas d'ici moi tu vois... mais ça n'enlève rien à mon humour ravageur, je te l'fais pas dire! »

Il s'installa plus confortablement dans sa chaise, se laissant aller en arrière pour s'appuyer contre le dossier en l'observant toujours, un bras ballant et l'autre posé sur la table avant qu'il ne croise ses mains sur cette dernière.

« Je viens de Wellington. Il laissa passer quelques secondes, comme pour voir si ce nom-là évoquait quelque chose chez elle avant de préciser. Capitale de la Nouvelle-Zélande! Comme quoi, il n'avait pas à réellement forcer son accent pour jouer les étrangers. Même si au bout de deux mois et quelques – ayant trainé un temps à Londres au lieu de venir directement à Birdsall – son accent s'était nettement atténué. Il s'adaptait toujours très rapidement à son environnement. Alors je ne suis pas vraiment... « du coin ». Il lui sourit, puis demande... il l'a renseigné, alors il peut bien se le permettre! Et puis même.. curieux, curieux.. il l'était ~ Et vous jolie brune? D'où nous venez vous comme ça avec tout vos bagages? »

Il continue de la dévisager avec sa nonchalance habituelle et son sourire qui oscille bien souvent entre charme et taquinerie. Il l'écoute, hochant évasivement sa tête de temps à autre et quand le serveur arrivera – il s'agissait aujourd'hui du serveur habituel, parfois on croise des élèves en alternance venant de Rédemption à ce poste. En fait, on croisait des élèves de Rédemption dans quasiment tout les établissements de la ville... c'est pas non plus comme s'il y avait des masses de choix! – il fouillera ses poches sans grande conviction. Évidement, il n'avait pas de pilules sur lui. Ça aurait été trop beau!
Puisqu'il avait déjà commandé, il laissa à Ana le soin de choisir et s'excusa auprès de cette dernière en l'abandonnant quelques instants pour aller aux toilettes. Ah, tient! C'est amusant, dans les films d'ordinaire, ce sont les filles qui vont se repoudrer le nez! Ahah. Il était mort de rire. En voyant son reflet dans la vitre, son sourire habituel se dissipa pour laisser place à bien plus de lassitude. Depuis que les derniers frémissements du pouvoir de guérison qu'il avait volé à son frère s'étaient envolés, il redoutait le moment où tout partirait en couille. Il avait tenu un bon moment, il avait même presque cru que c'était fini, et puis ça avait commencé à se dégrader, lentement mais surement, pour finalement aller crescendo ces dernières semaines. Il se sentait fatigué.. fatigué... et si encore ce n'était qu'à cause de cette nuit blanche qu'il venait de passer... !
Il passa ses mains sur son visage, doucement d'abord, avant de le frotter vigoureusement et finir par se l'asperger d'eau fraiche. Il lui semblait alors que cette histoire avec Emma était le poids qui devait faire ressortir tout ça. Pourtant, penché au dessus du lavabo, les bras tendus contre celui-ci, il respire calmement et se redresse, s'essuyant le visage avant d'adresser un sourire à son reflet dans lequel toute trace de lassitude avait disparue. Et c'est reparti pour un tour! Tant que la mécanique fonctionne, on continue de rouler.

« Alors Evy, tes premières impressions sur ton nouvel environnement?! »

Stan ou l'art de ne pas appeler les gens simplement par leur prénom. Le voilà qui s'était laissé de nouveau tomber sur sa chaise, un bras replié accoudé au dossier en scrutant la demoiselle avec une lueur malicieuse et pleine de curiosité.