22h37.

Ce n'était plus vraiment l'heure pour sortir, surtout lorsque l'on est interne dans un pensionnat aux règles bien établies, surtout dans un coin aussi paumé que pouvait l'être la petite ville du fin fond de l'Angleterre - si on peut appeler "ville" la dénommée Birdsall. Pourtant il était là, à pousser la porte de ce bar qu'il avait repéré lors de sa première visite des lieux, le jour même de son arrivée; mais à ce moment là, il avait d'autres idées en tête. Et oui, c'était ce fameux soir d'Halloween.
Il avait tout de même noté dans un coin de sa tête qu'il faudrait qu'il passe par ici voir de quoi ça avait l'air car, oui, il avait été surpris de trouver un établissement de ce genre dans un coin pareil. Du coup le voilà, et à vrai dire, ça tombait plutôt bien car la journée n'avait pas été des plus... reposante et il avait bien besoin de ça, de cette sortie.

Comme il s'y attendait, il n'y avait pas grand monde, quelques égarés qui trainaient là pour tuer le temps avant de rentrer dans une maison probablement vide. A Wellington, il aurait aussi put supposer que certains repoussait seulement le moment de retrouver leur femme, mais dans une ville avec si peu d'habitants, tout le monde devait plus ou moins se connaître et pas de doute que le fait qu'un homme marié vienne reluquer les jolies minettes qui se dandinent sur l'estrade du club parviendrait rapidement aux oreilles de madame.

La musique couvrait les autres bruits, mais plus que masquer les conversations, elle donnait ici plus de vie à l'endroit qu'il n'en avait vraiment. Au moins la vue était bonne. Une jolie blonde aux longs cheveux se déhanchait au rythme de la musique dans son mini-short rouge – en simili cuir, il l'aurait parié !
C'est tout naturellement que ses pas l'amenèrent au comptoir où il commanda une bière, peu importe laquelle du moment qu'elle soit bien fraiche! Histoire de contrebalancé le coup de cet après-midi...
Et non, il ne s'était pas encore fait attrapé pour l'incident de la véranda partie en fumée. Mais sans aucun doute possible, il allait passer un mauvais quart d'heure le lendemain. Raison de plus pour sortir ce soir! Il fallait bien en profiter un peu. Bon, ok, il n'avait pas le droit de se trouver là, mais après ce qu'il avait fait – accident totalement indépendant de sa volonté soit dit en passant! Pour une fois... - il pouvait faire une croix sur les autorisations de sorties à venir.

Il aurait put trainer ses deux camarades de chambre jusqu'ici, mais quand il est sortit, Victor avait encore disparu pour changer et Raphaël n'avait pas l'air dans son assiette. Tant pis, il ferait des rencontres sur place! En parlant de ça...

Toute seule à sa table, elle semblait bien isolée, pas seulement dans le lieu à proprement parlé, mais de l'ambiance en général. On ne s'attendrait pas à voir une jeune fille ici, ou alors accompagnée d'amis pour passer un bon moment et s'amuser. Un truc de jeunes quoi.

« On ne se serait pas déjà vu quelque part ? »

Ouuuuuuuh, la vieille accroche de dragueur à deux balles! Ouais, sauf que non, il se posait vraiment la question. Il l'avait peut-être déjà croisé dans un couloir de Rédemption? Surement, car il ne se rappelait pas l'avoir dans sa classe, et le pensionnat était l'endroit où l'on croisait le plus de jeunes.
S'étant approché de la table avec son verre à la main, il remarqua que la demoiselle ne l'avait pas du tout capté. Ses écouteurs enfoncés dans les oreilles, le son assez fort pour que même lui en devine les notes et reconnaisse la mélodie et les yeux perdus dans le vague, elle n'était vraisemblablement pas là pour s'amuser. Totalement perdue dans ses pensées la brunette? Ça en avait tout l'air.

Stan s'installa donc en face d'elle de l'autre côté de la table pour attirer son attention. Il arqua un sourcil en la toisant quand elle prit enfin conscience de sa présence. Il fallut quelques secondes encore pour qu'il fasse le rapprochement entre ses yeux bleus-gris qui l'observaient et l'endroit où il l'avait vu.
Il fallait dire que ce jour-là, ils avaient une dégaine bien différente, enfin surtout elle. Entre le déguisement de Halloween et le brouillard-fumée répandu dans toute la salle, il avait bien eu besoin de plusieurs secondes avant de son visage ne s'éclaire devant cette subite révélation.

« Ah! La verte! »

Mais oui, c'était bien elle! Sauf qu'aujourd'hui elle ne portait pas de jupe bouffante noire et verte fluo, de corset à lacet vert, ou encore de chaussures compensées de douze centimètres !
D'ailleurs à ce propos...

« Ça va mieux ta cheville? Il jeta un regard autour de lui, s'attardant un peu plus longtemps sur la danseuse avant de se reposer sur elle. Je suis un type curieux, m'en veux pas mais... qu'est-ce que tu fais là? »

Bah ça, sa présence l'avait intrigué dès le début, son regard dans le vague un peu plus encore. Il y avait des milliers de raisons possibles à ses deux choses, et s'il avait été à la place de la jeune fille, Stan aurait certainement envoyé chier l'importun qui lui posait des questions sur quelque chose qui ne le regardait absolument pas. Mais voilà, il était curieux, et il n'avait rien de mieux à faire. ♥

Ça y est, elle le regarde et elle écoute, et vu la façon dont elle l'observe tandis qu'il retrouvait la mémoire, elle se rappelait de cette petite mésaventure elle aussi. D'ailleurs elle lui confirma bien vite son identité.
Une cheville foulée, c'est douloureux ça, pas de chance, vraiment. Enfin, elle allait mieux, la preuve, elle s'était bien trainée jusqu'au centre ville!

« Ouep, la prochaine fois que je me jette aux pieds d'une fille, je m'assurerais avant qu'elle tient debout. »

Un tantinet narquois, il restait sur le ton de la plaisanterie. Bon.. Allez, un petit effort, cette fille n'avait rien fait de mal, s'excuser ne lui arracherait pas la gorge, même si ça ne changerait rien à la situation.

« Désolé pour ça, c'était pas le but. Ravi de voir que ça va mieux! »

Elle semblait nerveuse, un peu.. embarrassée? Les mains rivées sur la table et le regard fuyant, elle avait un comportement quelque peu.. atypique. Sans doute ne s'était elle pas attendue à croiser quelqu'un qui la connaissait dans cet endroit? Pourtant elle aurait du. On ne pouvait pas dire que Birdsall fourmillait d'endroits divers et variés où trainer. Surtout en hiver lorsqu'il faisait un froid de canard à l'extérieur, et surtout en soirée lorsque la quasi totalité des boutiques étaient fermées hormis... ce bar et... non, même le ciné devait en être à sa dernière séance s'il n'avait pas déjà fermé ses portes à cette heure-ci. Il n'y avait déjà pas grand chose à faire la journée à Birdsall, mais alors la nuit...

Il sourcilla un instant en entendant sa réponse, puis se mit à rire. Ok, elle l'avait bien eu! Il ne s'était pas attendu à cette réponse.

« Joli, bien joué. Une réponse qui n'en est pas une, intéressant. Il la toisa d'un air plus amusé. Elle ne l'avait pas envoyé paitre, mais il n'en savait pas plus pour autant. En revanche... Tu fais fonctionner mon imagination. Ahah, je ne sais pas si c'est bon pour toi ou pas! »

Si ça se trouvait, elle travaillait ici en dehors des cours? Voyons voir, danseuse? Non, elle avait l'air trop mal à l'aise pour ça? Alors, serveuse peut-être? A ce compte il l'aurait plus vu dans l'un des restau d'à côté... Hey ! Il rêvait où ses joues venaient de prendre une ravissante teinte rouge? Ahah, trop mignonne! A quoi est-ce qu'elle pouvait bien penser?
S'il était là, c'était pour trois raisons -quatre si on compte le fait qu'il n'y pas beaucoup d'autres endroits où aller, hem- la curiosité, le besoin de changer d'air et... oui, faut l'avouer, le fait qu'il y ai des danseuses ici ne lui avait pas échappé.
Changer d'air et curiosité... c'est déjà ce qui l'avait poussé à quitter sa Nouvelle Zélande pour venir se perdre ici, à Birdsall. Il aurait préféré que Rédemption se situe à Londres, ou au moins dans une « vraie » ville, mais s'il regrettait le fait d'être un peu perdu géographiquement parlant, il n'avait pas été déçu sur la seconde partie. Les sous-entendus que promettait cette lettre qui accompagnait le feuillet d'inscription, cette promesse d'y trouver des personnes « comme lui ». Pour ça, des Para – comme il les appelait – il y en avait dans ce pensionnat! Et pas qu'un peu! D'ailleurs, la brunette en face de lui ne faisait pas exception. En quelques jours dans le coin, le fait de tomber sur une personne avec des capacités paranormales était passer du statut d'évènement incroyable à simple banalité. Il ne faisait aucun doute pour lui qu'on cherchait à rassembler les personnes ayant des dons à Rédemption, restait à savoir comment, et pourquoi.

« Hey, t'as tout l'air d'une fille sage et pourtant tu traines bien ici aussi. »

Il arqua légèrement un sourcil en la fixant. C'était vrai quoi? Bon, elle visait juste en disant qu'il n'était pas des plus studieux -pas du tout même- mais ça ne voulait rien dire! C'était vendredi soir en plus! Hey, il pourrait être TRES studieux s'il voulait en plus!
…
Bon d'accord, de toute manière, il ne le voulait pas. Et puis bref, on s'en fout, non?

« C'est juste, j'suis en alternance et je bosse pour les cours... spéciaux. Il guetta une réaction chez elle à cette annonce. Il avait remarqué que si tout les élèves possédaient des pouvoirs, tous n'étaient pas au courant de ce fait – certains mêmes semblaient ignorer qu'ils avaient eux-même un don! Vous y croyez ça?! Au fait, j' m'appelle Stan, et toi? C'est.. Sélène c'est ça? On a pas vraiment eu le temps de se présenter la dernière fois. »

La dernière fois, Halloween, la cheville foulée, tout ça, tout ça. Finalement, il n'avait qu'à eu à nettoyer la salle après tout ça, il ne s'en était pas mal sortit. Bienvenue à Rédemption!
Lui ayant tendu la main en se présentant, il jeta ensuite un regard aux alentours, cherchant des yeux quelque chose dont il ignorait tout, avant de reporter un regard interrogateur sur la victime de ses farces de gamin qui semblait de plus en plus perturbée et nerveuse à jeter des regards vers la porte du bar. Loin d'être aussi inquiet qu'elle de se faire attraper ici sans avoir d'autorisation de sortie – ce ne serait que la cerise sur le gâteau après cette journée! - il se méprit totalement sur son attitude.

« … Tu attends quelqu'un ? »

Marante.
Il n'était pas sur que savoir que le premier adjectif pouvant la qualifier qui lui traversait l'esprit à cet instant lui ferait des plus plaisir, mais la gêne de Sélène était d'une telle évidence que ça en devenait amusant. Amusant et touchant. Ses mimiques et ses airs embarrassés étaient vraiment à croquer! Impossible de résister à la tentation de la taquiner dans ses conditions, surtout en l'entendant bafouiller pour décréter difficilement qu'elle n'attendait personne.

" Tu devrais pas essayer de te cacher, les joues rouges te vont à ravir. Vraiment trop mignonne ! "

Sourire amusé alors qu'il la toise, mais paroles tout à fait sincères, il tique à sa réponse à laquelle elle s'empresse d'ailleurs d'ajouter rapidement que non, ce n'était pas un moyen de le faire partir! Tout ça toujours aussi maladroitement. Elle ne le faisait pas exprès, c'était vraiment sa marque de fabrique. Et pour ne rien arranger, Stan ne pu s'empêcher de rire en l'entendant jurer.

" Ahahah, non mais c'est bien! J'le prends pas mal ! Ahah, toi, t'es du genre timide, hein? Mais tu fais des efforts, j'applaudis la performance ! "

Il essuya une larme imaginaire au coin de son œil tout en portant son verre à ses lèvres, buvant une gorgée fraiche avant de reposer son verre sur la table et secouer un peu sa tête, songeant à sa dernière question.

" Voir du pays ? Il haussa ses épaules, la regardant fixement, l'esprit en fait ailleurs. Il fini tout de même par ajouter. Je dois dire que j'ai pas trop capté pourquoi une école à l'autre bout du monde avait bien pu m'envoyer une demande d'inscription. Surtout à un type comme moi, je suis pas tout à fait le premier de la classe si tu vois ce que je veux dire. Et puis cette lettre bizarre aussi. "

Ah, évidement qu'elle voyait. A croire certaines personnes, la mention "cancre" aurait pu être écrite sur son front que ça n'aurait pas été plus évident que ça ne l'était déjà. Tient, il devrait peut-être songer à faire quelque chose pour ça d'ailleurs... quand on en arrive là, on devient tout de suite le suspect n°1 quand il arrive une merde quelque part.

Sélène n'avait pas eu l'air surprise de l'entendre parler de la demande d'inscription. Ni de la lettre d'ailleurs.

Stan hésita un instant, se calant contre le dossier de sa chaise, sourcils légèrement froncés. Il poussa un bon soupire du genre " Bon ok, autant le demander cash. " et se ravança vers la table, s'y accoudant et se penche un peu en avant, avec un léger air de conspirateur.

" Bon ok. Moi aussi j'ai un "don", mais c'est moi ou je suis le seul à trouver ça étonnant qu'on se retrouve tous avec des "super pouvoirs" dans la même école, hein? "

Avant d'arriver ici, les personnes possédant des capacités paranormales qu'il avait pu croiser se comptait sur les doigts de la main. Ici à Birdsall - petite ville dont il n'aurait jamais soupçonner l'existence avant qu'on lui en parle tellement elle est PETITE et PAUMEE - on croisait des Para tout les 2 mètres ! Et tout le monde avait l'air de trouver que ça coulait de source... A cette allure, il se disait que bientôt, il allait découvrir que sa mère et le reste du monde était au courant aussi que des gens comme eux existaient mais qu'on avait oublié de le prévenir !

Il se recala contre la banquette, croisant ses bras sur son torse et la toisa en fronçant ses sourcils. Comment ça « s'il ne voulait pas avoir des problèmes » ? On pouvait d'ores et déjà dire que c'était raté avec l'évènement « véranda » de cette soirée. D'ailleurs, c'était un peu un conseil inutile qu'elle lui donnait là. Stan avait une propension incommensurable à s'attirer des ennuis. En fait non, il ne les attirait pas, il allait carrément les chercher pour être plus juste. C'est d'ailleurs une des raisons – outre sa curiosité pour la lettre et les tarifs plus qu'intéressants pour une mère veuve – pour laquelle il avait rejoins Rédemption, un pensionnat situé à l'autre bout du monde ! Bah oui. Là-bas, chez lui, en Nouvelle-Zélande, il n'y avait plus tellement d'établissement qui voulait l'accueillir, hem.

« Hey, si on demande à tout les curieux de se la fermer sous risques d'avoir des problèmes, c'est pas si étonnant qu'on en entende pas parler ! C'est pas une prison merde, tu cherches à me faire peur ou qu.. ? »

Il n'acheva pas sa phrase quand son regard s'accrocha au sien. Bon sang, qu'est-ce qu'elle avait cette fille? Elle serait presque capable de lui filer la trouille à parler à voix basse comme s'ils complotaient un attentat terroriste ! Et puis c'était quoi cette impression désagréable qui lui coulait le long de l'échine quand il regardait ses yeux ? Non. En fait, il n'était pas tellement certain de souhaiter savoir ce qui pouvait instaurer une telle étincelle dans le regard de quelqu'un.

Il était venu se perdre dans le fin fond de la province britannique en pensant que ça serait « fun » de tomber sur pleins de Para comme lui, et là, il tombait sur.. sur quoi ? Une paranoïaque qui cherchait à lui mettre les foies ? Il avait envie de lui dire « Hé oh cocotte, toi t'as trop écouté les histoires qu'on raconte dans les couloirs! C'est qu'une école ici, ok, un bahut bizarre avec des gosses bizarres, mais toi et moi on en est aussi, et on est pas des psychopathes ou je sais pas quoi! » mais ces réflexions en restèrent au stade de simple pensée, car la peut-être parano, mais maligne Sélène venait de poser le doigt sur une nouvelle question des plus intéressantes.

Ses épaules se haussèrent légèrement et ses sourcils se froncèrent davantage alors qu'il se plongeait en pleine réflexion. La réponse à la question « pourquoi » semblait évidente, même si les tenants et les aboutissants restaient tout ce qu'il y a de plus flous : Leur don. La réponse à « comment » était tout autre. Dans une situation pareille, comment ne pas faire le rapprochement avec d'autres phénomènes – du domaine de la fiction ceux-là – qui ressemblent plus qu'étrangement à ce qui leur arrive. Des élèves avec des super-pouvoirs rassemblés dans une école, ça ne vous rappelle rien ?

« J'en sais fichtrement rien. Peut-être que la personne qui envoie toutes la paperasse à le don pour nous localiser ? »

Ce ne serait pas si étonnant franchement. Un don un peu similaire à celui de détection qu'il possède lui-même, mais à un stade bien plus avancé. Parce que franchement autrement... ça l'étonnerait qu'il y ai des types qui viennent espionner partout dans le monde et vous observe jusqu'à savoir si vous avez oui ou non une capacité qui sort du commun hein ! Tout ça pour vous inviter à rejoindre un pensionnat à Birdsall. Mouais, il commencerait à s'inquiéter sérieusement quand on commencerait à vouloir lui planter des sondes partout, lui faire porter une combinaison en latex et lui faire passer des tests louches. Ou qu'il ait vraiment des preuves que les gens disparaissaient réellement à Rédemption.

Un bruit de verre brisé le sortit de ses réflexions internes, lui faisant tourner la tête vers la personne qui venait d'entrer. Il sursauta légèrement quand la brune lui attrapa vivement le poignet et lui lança un regard, son « qu'est-ce qu'il y a? » lui resta coincé un instant en travers de la gorge quand il vit l'état de panique dans laquelle elle se trouvait.

« Mais.. ! »

Sa protestation s'arrêta là devant son ton catégorique. Qu'est-ce que c'était que cette histoire? Hé! Il venait d'arriver, n'avait même pas fini son verre, et elle voulait le trainer dehors parce que... parce que quoi? Son regard coula en coin vers la personne qui venait d'entrer. Est-ce que.. ? Il ne la connaissait pas, mais... Dis donc, la brunette serait-elle finalement moins sage qu'elle n'y paraissait?

« Bon, ok. »

Il fini son verre d'une traite et se leva, attrapant Sélène par le poignet et se dirigea vers la sortie, avec la très désagréable sensation d'être observé. Bordel, il devenait pas parano après seulement quelques minutes passées avec elle quant même?!
Une fois la porte du bar passée, il la relâcha et ferma la fermeture éclair de sa veste. Sortir, oui, mais pour aller où? Il n'avait pas franchement envie de remettre tout de suite les pieds à Rédemption. Enfin, ça dépend. De quoi? De ce que la jolie brune pourrait bien lui raconter, parce que sur ce coup, elle avait sérieusement piqué sa curiosité à vif avec toutes ses histoires.

« Tu m'expliques ? Il arque un sourcil, lui jetant un regard en coin tout en continuant de marcher tranquillement pour s'éloigner du bar et du « potentiel » danger duquel Sélène avait voulu les protéger. Ou pas. Il ne savait pas trop quoi en penser. T'es pas si sage que ça tu vas me dire ? T'as des problèmes avec quelqu'un ou t'es juste tarée sur les bords ? »

Stan et l'art de la délicatesse. Il était parfois un peu trop direct ou trop franc. Qualité ou défaut? Chez lui, ça laissait souvent à désirer...

Sortir du club ne suffit pas immédiatement à la rassurer. C'était limite qu'elle ne se mit pas à courir pour s'éloigner le plus vite possible de l'endroit ! Quelle mouche l'avait piqué ? Il du de nouveau presser le pas pour pouvoir la suivre alors qu'elle se remettait à bafouiller des explications anarchiques. Des explications? Non, pas du tout en fait, son charabia ressemblait plus à des pseudo-excuses pour cacher que... que quoi ? Justement, c'est ce qu'il aurait bien aimé savoir.

Après avoir changé de rue, elle ralentit enfin le pas, mais ne cessait de jeter des regards partout autour d'elle. Il ne put s'empêcher de faire le rapprochement avec un animal traqué. Une pauvre biche perdue au milieu des chasseurs et qui ne savait plus sur quel pied danser pour ne pas tomber dans le prochain piège.

« Ok, tu sais, là, je te prends déjà pour une folle, alors t'es plus à ça près. »

Il avait lâché ça tout à fait naturellement comme s'il lui avait dit qu'effectivement, elle avait bien les cheveux bruns, tout en jetant un regard par dessus son épaule. A la voir se retourner comme ça sans cesse, ça avait été plus fort que lui... Mais non, il n'y avait personne derrière eux, personne qui les pistait ! Pourquoi y aurait-il eu quelqu'un? Sélène était juste... un poil parano.
Enfin.. ouais, non, pourquoi traquerait-on une élève de première ?

Il arqua un sourcil devant son léger sourire timide, puis rit légèrement. Pourrir sa soirée? Il n'avait absolument rien de prévu, et maintenant il se faisait poursuivre par des ombres ! Quelle aventure, ça ne manquait pas de fun ! Bon, ok, là, c'était ironique, mais plus sérieusement, il n'aurait sans doute fait que trainer au bar jusqu'à ce qu'il trouve quelque chose de plus intéressant à faire, et là, Sélène avait bel et bien éveillé sa curiosité.

« Oh, t'en fais pas pour moi, et puis question problèmes... »

Il haussa vaguement ses épaules. Peut-être devrait-il la prévenir que s'ils rentraient ensemble au pensionnat, elle risquait d'être soupçonnée de complicité dans le malheureux incident de la véranda? … Nooon, elle devait certainement être en cours à ce moment-là ! Hem.
Il était loin de se douter qu'ils ne parlaient pas du tout de la même catégorie de « problèmes » quoique vu son comportement...

Il fit quelques pas et s'arrêta pour se retourner vers Sélène qui venait de s'immobiliser sur le trottoir, les yeux levés vers le ciel. Quoi? Elle s'attendait à voir ses poursuivants tomber du ciel maintenant?

« De la neige ? »

Il lève les yeux à son tour vers le ciel sombre. Il faisait froid, c'est vrai, et puis c'était la période, il ne devrait pas tarder à neiger, elle avait raison.

« Tu t'improvises Miss Mété... o ? »

Il cligne des yeux en la voyant tendre la main vers lui, puis sourcille avant de se rendre compte qu'effectivement, les premiers flocons se mettaient à tomber.

« C'est... »

Il sortit une main de ses poches et la tendit, paume vers le ciel. Elle le savait ? Comment ? Est-ce que c'était elle qui avait provoqué ça ?
Après avoir regardé un instant les premiers flocons tomber sur la ville, il reposa son regard sur la brunette et son sourire mystérieux, fragile, qui semblait risquer de se briser au moindre heurt, cachée sous la capuche de son manteau. Il s'interroge, il se demande d'où lui viennent ses tendances paranoïaques, qui est-ce qu'elle essaie de fuir comme ça et alors, pourquoi est-ce qu'elle reste là ? Et il pose la question.

« C'est toi qui fait ça ? »

Il fronce légèrement ses sourcils, ce n'est pas ce qu'il voulait savoir, enfin, ce n'était pas la question qui le rendait le plus curieux, mais en l'énonçant à voix haute, il a comme un doute. Peut-être que tout ça est lié ? Ce n'est pas la question a poser.

« Sélène, quel est... ton don, au juste ? »

Oui, peut-être qu'en fait, c'est lui, c'est son don, qui la rend comme ça ? Il n'avait pas rencontré énormément de Para avant de débarquer à Birdsall et faire ses premiers pas à Rédemption, mais il savait que chaque Para avait un don différent, tout comme chaque personne avait une personnalité différente. Tous n'acceptait sans doute pas cette différence. Était-ce ce qui clochait chez Sélène ?

Elle avait l'air de s'être un peu calmée et il répondit à son sourire par un léger haussement de sourcils avant de lui sourire à son tour. Elle semblait trouver sa nonchalance amusante, ça n'avait pas été le but premier, mais dans un sens, il avait souvent la sale manie de dire tout simplement ce qui lui passait par la tête sans y réfléchir ni songer à l'effet que cela pourrait avoir sur les autres. Alors souvent les autres se vexaient, se renfrognaient, se renfermaient, les moins timides le traitaient de sale con. Bah oui, trop de franchise tue la franchise hein. Au moins, on ne pouvait pas lui reprocher d'être hypocrite ! Par contre les sarcasmes... oui, c'était un sale con sarcastique ! A la bonne heure.

Elle hésite encore alors qu'elle lui parle, comme si elle posait le pour et le contre à chaque mot. Incertain, hésitante, indécise. Puis elle se lance. Claire et nette, elle ne laisse pas de doute quant à la teneur de son pouvoir. Voir l'avenir ? Vraiment ?
Il fronce ses sourcils et réfléchit, la laissant poursuivre sans l'interrompre dans ses explications. Connaître le futur... un sacré pouvoir. Certains payeraient cher pour savoir. Sinon pourquoi tant de charlatans de diseurs de bonne aventure existeraient encore ? « Certains »... beaucoup de personnes même, peut-être ? En tout cas, il ne faisait pas partie de ceux-là, absolument pas. Savoir d'avance tout ce qui va vous arriver.. quel cauchemar ! Il deviendrait dingue. Pourtant... s'il avait eu ce pouvoir il y a huit ans, tout aurait put être différent que ce qu'il en était actuellement.

Il la regarde curieusement lorsqu'elle affiche cette mine concentrée. Qu'est-ce qu'elle fait ? Il porte alors son regard sur le même endroit que celui de la brune, sans comprendre, jusqu'à ce qu'il les voit. Une pierre, un objet tout ce qu'il y a de plus inanimé venait de bouger ! Et ce n'était pas tout. Durant un bref instant, tout ce qu'il y avait autour de cette pierre également se souleva du sol dans une lévitation hasardeuse provoquée par une source d'énergie brute et encore mal apprivoisée. Comment on appelait ça déjà ?

« … De la télékinésie ? »

Elle n'avait soulevé que quelques cailloux, mais il avait senti comme une drôle de sensation... un peu comme.. si l'air s'était mit lui aussi à vibrer autour d'eux ? Elle pouvait certainement faire bien plus que ce qu'elle venait de montrer ! Mais de toute évidence – à voir comment sa concentration était vite retombée, et les pierres avec – elle manquait de pratique et de contrôle sur ce don.

« Passif et offensif... »

Il reprenait songeusement ses mots. Pour sur, son pouvoir télékinésique le bottait plus ! Ouais, ça c'était le genre de pouvoir qu'il aimerait bien absorber ! Par contre, s'il allait de pair avec celui de voir le futur... très peu pour lui.

« Le mien ? Ah, j'ai bien peur de ne pas pouvoir te faire une telle démonstration. Le mien est beaucoup moins... Comment dire ça ? Et puis pourquoi il s'était mis à chuchoter comme elle ? Hum. … Disons que ce n'est pas un truc qu'on peut « montrer ». Enfin... »

Si, il pouvait lui montrer. Il lui suffirait de la toucher et elle se rendrait immédiatement compte ! Peut-être pas de ce que cela signifiait exactement, mais c'était une sensation bien particulière que celle de se faire vider de son pouvoir. Lui-même ne le savait pas tout à fait, puisque lui recevait le pouvoir absorber. Une sensation des plus grisante. A consommer avec modération. Devenir accroc aux pouvoirs des autres, hé ! Ça ne serait surement pas bon, ni pour lui, ni pour ceux qui l'entoure.

Il hausse vaguement ses épaules, concédant le fait de devoir le lui expliquer par des mots que par une démonstration plus technique et pratique.

« Je ressens le don des autres. En te voyant au bar par exemple, je savais que tu en avais un. Par contre je ne sais pas quel est la nature du don que possède une personne. »

Il remonte la fermeture de sa veste jusqu'en haut, maintenant que les flocons tombent de plus en plus nombreux. Il souffle brièvement dans ses mains avant d'enfoncer celles-ci au fond de ses poches et de toiser sa camarade, semblant la jauger du regard comme elle l'avait fait une minute plus tôt pour lui.

« Je peux aussi voler le pouvoir des autres. Il laisse passer un court blanc, puis remue légèrement, comme pour chasser un mauvais frisson et ajoute, petite précision qui peut faire toute la différence. Enfin, plutôt que le voler, disons que je l'absorbe. Ce n'est pas quelque chose de définitif, mais je peux m'approprier le don de quelqu'un durant quelques jours. »

« Il deviendrait dingue ». C'est ce qu'il avait pensé quand Sélène lui avait fait part de sa capacité à lire l'avenir. Il pouvait voir son excès de paranoïa d'un nouvel œil en sachant ça à présent.

Il se raidit légèrement, et jette mécaniquement un regard derrière lui, comme pour s'assurer qu'ils étaient bien seul, et comme elle avait murmuré pour lui poser la question, il reprend sur ce même ton qui leur donne l'air de comploteurs.

« C'est pour ça que... Sélène, tu as vu quelque chose au bar? Quelque chose.. qui allait arriver? »

Il la fixe, suspicieux. Il ne sait toujours pas trop quoi en penser, et sait encore moins à quoi s'attendre. Mais si Sélène pouvait prédire l'avenir, on lui en avait déjà assez révélé sur le sien, assez pour qu'il décide de ne pas se prendre la tête pour des problèmes futiles, des études qui ne mèneraient à rien ou avoir peur de choses qui ne se produiraient peut-être pas.

Visiblement, ça avait un rapport. Ses visions, sa crise de panique et la fuite précipitée hors du bar. Un rapport qu'elle était sur le point de lui expliquer, et à l'entente des mots « C'est compliqué » et bien... non, il n'était absolument pas sur de vouloir savoir. Mais vu comme Sélène semblait hésitante à prononcer chacun des mots qui sortaient de sa bouche, il préféra ne rien dire, même sur le ton de la plaisanterie, au risque de la voir se braquer et se murer dans le silence.

Marchant à ses côtés, il écoutait ce qu'elle voulait bien lui révéler. Elle parlait maintenant avec ce ton détaché, comme si elle cherchait à prendre du recule par rapport à ce qu'elle disait, comme si.. ce n'était pas elle qui disait ça, ces choses étranges et dérangeantes, mais lorsqu'elle aborda le sujet de ses visions de mort et qu'il tourna alors son regard vers elle pour l'observer tout en continuant d'avancer, il remarqua bien, malgré sa voix neutre et ses efforts pour faire passer ça pour moins grave que ça ne l'était, que la brunette s'était tendue.

Voir sa propre mort.

C'est bien l'une des raisons – si ce n'est même la principale – pour laquelle il s'était dit qu'absorber son pouvoir ne serait pas une chose qu'il ferait. La suite n'était guère rassurante. En fait, s'il avait supposé que voir l'avenir était difficile, c'était bien pire que ce qu'il avait imaginé si ce qu'elle lui racontait était vrai. Il pouvait s'imaginer ce que le fait de savoir qu'on va mourir peut faire pour l'avoir expérimenté. Évidement, tout le monde sait qu'un jour la mort viendra nous prendre, personne ne peut y échapper, mais le fait de connaître le moment où cela va arriver est totalement différent. On ne pense plus qu'à ça et au moyen que l'on pourrait trouver pour l'empêcher, et alors, on oublie de vivre vraiment. Une situation à devenir dingue, névrosé, complètement renfermé sur soi. Il l'avait expérimenté un temps, mais la croix qu'il avait de gravé profondément à l'intérieur de son poignet gauche était là pour lui rappeler de ne plus faire cette erreur.

Il réprime un grognement, il vient de se mordre douloureusement la langue. C'est stupide, il avait envie de lui dire qu'il était désolé, mais qu'est-ce qu'il pouvait y faire ? Ce qu'elle disait pouvait sembler fou, ou bien être le caprice d'une marginale excentrique qui cherche à se faire remarquer ou se faire plaindre, on pourrait juste la renvoyer auprès d'un psy qui essayerait de décortiquer ses songes contre des honoraires faramineux pour au final n'arriver à aucun résultat sinon faire regretter celui qui a parlé et qui désormais répondrait à tout ceux qui lui demande que « Oui, tout va bien. » pour garder pour lui cette souffrance en silence. Mais il avait cette certitude, celle qu'elle ne lui mentait pas. Il avait ressenti qu'elle possédait un don, pourquoi lui mentirait-elle sur ce dernier ? Et puis.. qui serait capable de simuler la panique qui l'avait agité au bar, ou bien cet éclat terrorisé au fond de ses yeux ?

C'est d'une nouvelle manière qu'il la regardait à présent. Il l'avait trouvé fragile et maladroite, timide et renfermée, c'était toujours le cas, mais qui ne le saurait pas dans de telles circonstances? Finalement, elle était bien plus forte qu'il n'avait put se l'imaginer en l'observant tout simplement. Un mélange de compassion et d'admiration s'insinua en lui avant qu'un éclair de lucidité lui traverse l'esprit, le faisant brutalement revenir à l'instant présent, dans cette rue, un vendredi soir sous la neige et laissant de côté les derniers mots de Sélène.
Ce qu'elle venait de sous-entendre... tout à l'heure dans ce bar... elle s'était vu mourir ?

Il continua de marcher au même rythme qu'elle mais ses sourcils se froncèrent alors que ses iris bleu-gris quittaient la contemplation du visage pensif de la brune pour se porter sur la route devant lui. S'il avait vu juste, cela signifiait qu'il y avait eu un réel danger au bar ? Quoi ? Ou qui ? Cette personne qui venait d'entrer juste au moment où Sélène avait eu sa vision ? Quelqu'un d'autre ? Et... pourquoi vouloir tuer une adolescente ? Un autre élément vint le frapper à la suite.

« Depuis que je suis à Rédemption, j'ai régulièrement le même type de vision. Je me vois mourir. De façons diverses. »

Il cligna des yeux.

« Ce n'est pas figé... »

Oui, ça semblait évident ! Puisque Sélène pouvait voir l'avenir, alors elle pouvait essayer de changer les évènements, modifier son destin.

« Tu as vu ta mort plusieurs fois, mais de manière différente à chaque fois. Sélène, tu veux dire que tu as déjà échappé à la mort plusieurs fois ? »

Cette fois, c'est lui qui s'arrête. Il la fixe, puis la dévisage lorsqu'elle se retourne enfin vers lui. Ça lui semble tellement invraisemblable. Lorsqu'on voit de telles histoires à la télé, tout ça paraît excitant, une aventure qui nous permet de sortir du quotidien ! Mais dans la réalité, il en va autrement, et les choses deviennent plus angoissantes et effrayantes facilement. Il n'a pas peur, pas encore du moins, mais... il a du mal.. à se rendre compte de ce que tout cela implique.

Il la fixe, il semble vouloir dire quelque chose, il a envie de lui dire quelque chose, de lui parler, mais dire quoi ? Il ne sait pas. C'est con. Oui, c'est con.

Elle a l'air à bout, cette histoire la pousse dans ses derniers retranchements. Il a bien vu ses lèvres trembler et son regard se perdre, essayant désespérément de s'accrocher à quelque chose, mais il ne fait pas de commentaire à ce sujet lorsqu'elle lui attrape le bras pour l'inciter à reprendre leur marche.

Il la suit, marchant à son rythme, reglissant ses mains dans ses poches en la laissant s'accrocher à son coude. Il arque un sourcil en croisant le regard d'un autre couche tard qui passe sur le trottoir d'en face. Il aurait put faire une remarque narquoise sur le fait qu'ils aient l'air d'un petit couple sympa à se promener comme ça dans les rues de Birdsall bras dessus, bras dessous, mais il manqua cette occasion. Les révélations de Sélène avaient au moins eu le don de lui faire sortir de la tête ce genre d'âneries dont il ne se privait pas d'ordinaire. Il y avait plusieurs choses qui le dérangeaient dans ce qu'elle lui racontait. Une fois qu'il avait assimilé le fait qu'elle pouvait voir le futur et que tout ce qu'elle lui disait était sans doute vrai et non pas le fruit d'une imagination névrosée et paranoïaque – ce qui était plus dur à faire qu'à dire, il était peut-être trop naïf d'accorder si facilement du crédit à toutes les paroles de la brunette ? Il ferait mieux de garder une certaine réserve, un certain recule par rapport à tout ça – il devait replacer ça dans leur contexte, et prendre conscience de tout ce que ça signifiait. C'était un tableau bien noir qu'elle lui dressait là. Un peu perdu dans ses réflexions, il fut un instant étonné par le regard désolé qu'elle lui lança en disant qu'elle devait probablement le saouler.

« Je dirais plutôt que tu m'intrigues... Faut dire que j'ai toujours été un peu curieux. Hm, bon, ok, tes histoires m'inquiéteraient bien un peu aussi ! »

Il rit, un bref ricanement, de ceux qu'on a pour montrer qu'on ne veut pas prendre ça trop à cœur, mais qu'au fond on y croit quant même. Un pas après l'autre, ils avancent dans les rues peu peuplées de la petite bourgade, sans trop savoir où ils allaient, mais suivant inconsciemment les chemins un minimum éclairés, la lune a elle seule ne permettant que peu d'illuminer cette nuit bien sombre, les nuages camouflant cette dernière faisant pleuvoir en continue des flocons de neige depuis une dizaine de minutes maintenant. D'un revers de la main il enlève un flocon gelé qui vient de lui tomber sur le bout du nez.

« Quand tu dis avoir vu des choses, tu parles de tes visions ou bien.. ? »

Il posait la question, mais la fin de sa phrase y répondait déjà. Mais si c'était ces choses qu'elle avait vu qui provoquaient ces visions, cela s'apparenterait plus à des cauchemars, non ? Comment faire alors la différence entre vision et cauchemars ?

Cauchemar...

La manière dont elle décrivait Rédemption et ce qui semblait s'y passer en était déjà un.
Un vieux pensionnat, isolé dans une forêt sombre et profonde, dont la ville la plus proche est elle-même perdue au fin fond de l'Angleterre. Des élèves venus des quatre coins du monde y sont rassemblés selon la volonté d'un directeur mystérieux à l'esprit tordu qui fait disparaître les adolescents de manière plus ou moins définitive pour une raison inconnue. On se croirait pas en plein scénario de film d'horreur là sérieux ?

« Personne n'est au courant ? J'arrive pas à comprendre comment un truc pareil peut arriver. »

Il pose ses yeux sur elle – enfin, sur le profil de sa capuche plutôt – et fronce ses sourcils en reportant son regard sur le chemin devant eux.
Sélène faisait bonne figure, elle racontait cette histoire, son histoire sans ciller, même si sa voix par moment vacillait et rappelait qu'après tout, elle aussi n'était qu'une adolescente.
En sortant ce soir, il avait pensé prendre l'air, se changer les idées et profiter un peu de cette liberté dont Rédemption semblait vouloir s'acharner à priver ses pensionnaires. A aucun moment il n'avait songé se retrouver dans cette ambiance lourde de mort qui vous pend au nez. Surtout pour un type comme lui qui agissait toujours avec la plus grande désinvolture dans le but de repousser cette idée justement. Sauf que dans le cas présent, c'était différent, ce n'était pas lui le principal concerné, mais Sélène, qui faisait preuve de trop de pessimisme selon lui. Positiver en ayant ce genre de vision n'était pas donné à tout le monde, c'est sur, pourtant il lui semblait qu'elle pourrait voir les choses autrement.

Sortant sa main gauche de sa poche – Sélène lui tenant le bras droit – il frotta le sommet de la capuche de cette dernière, attirant sur lui le regard bleu nuit de la brunette.

« Tu sais Sélène, je ne vis pas avec ton don, mais.. j'penserais plutôt que toutes ces visions de mort sont la preuve que tu peux t'en sortir. »

Le frottement arrêté se transforme en une petite tapote amicale avant que sa main ne disparaisse de nouveau dans la chaleur toute relative qu'offrait l'intérieur de sa poche.
Maigre consolation que le fait de supposer qu'elle pourrait continuer à vivre en ayant perpétuellement ces visions d'horreur sur son avenir éventuel pour pouvoir réussir à déjouer indéfiniment ces menaces de mort. Le plus simple serait encore de supprimer la source directe de cette menace ! Encore faudrait-il en déterminer la source même s'il en avait une petite idée après qu'elle lui ai dit avoir vu « des choses qu'elle n'aurait pas du voir ».

« Tu n'en as parlé à personne ? Il doit bien y avoir des gens à qui tu peux faire confiance, non ? »

Tout en parlant, il bifurque dans une rue, passant devant les vitrines fermées de la boucherie Delicatessen et le magasin de musique à l'enseigne vieillotte.

Une histoire bien sombre que celle-là. Elle s'était arrêtée de nouveau pour lever le nez vers ce ciel qui ne semblait pas enclin à apporter la moindre réponse à qui que ce soit ce soir. S'étant stoppé à ses côtés par la force des choses, il en profita pour détailler plus attentivement le profil qui s'offrait à lui lorsqu'elle abaissa sa capuche. Pourquoi voudrait-on la mort de cette fille là ? Avait-elle commis quelque chose d'assez terrible pour qu'on veuille la supprimer ? Après le film d'horreur, on partait sur le film de suspens et d'action ! Ça pourrait être amusant si les évènements n'étaient pas si « palpables ». Est-ce qu'il se faisait des idées en ayant la sensation de sentir cette ombre de mort planer au dessus d'eux ? Assez ironique comme pensée si l'on songe que lui-même est en sursis, mais ne l'est-on pas tous à des degrés différents ? Pour certains, la mort vient frapper plus tôt que pour d'autres, il fat faire avec, c'est tout.

Ouais, c'est toujours plus facile à dire qu'à faire.

Ses yeux se plissent, toujours posés sur le visage bien pâle de la jeune fille. Sélène lui avait parlé du fait qu'elle se voyait mourir mais n'avait pas évoqué le responsable de ses « morts ». Mais maintenant il pouvait au moins en déduire que la cause de cette volonté de la tuer venait de ce qu'elle avait vu. Du moins c'est ce qu'il en déduisait par rapport à ses paroles. Elle n'avait pas non plus voulu lui dire de quoi retournait ses « choses » qu'elle avait vu, mais elle devait bien savoir « qui » ce qu'elle avait découvert devait gêner ?

« Pourquoi tu ne parlerais pas de ce que tu sais à la police ? Ou mieux, à la presse ! Si quoique ce soit t'arrive à ce moment-là, les soupçons se porteront automatiquement sur celui que tu auras désigné comme te voulant du mal ! Réfléchis bien Sélène, ces choses que tu as vu, qui ça dérangerait que tu en parles ? »

Elle ne lui avait pas parlé directement d'un facteur humain impliqué dans ses visions de son décès, mais avec tout le reste... à la limite, s'il devait croire quelque chose, cela serait plus à un genre de complot bizarre qu'à un incroyable manque de pot ou coup du sort dans le genre à la Destination Finale qui s'acharne sur une personne ! Enfin.. ça aurait put... mais quand il reliait ça aux histoires de disparition, la thèse du « complot » semblait plus plausible.

Merde !! Il venait sérieusement de penser que tout ça était plausible là ?! Bordel, la tuile.

Toujours le nez levé en l'air, la brunette semblait être passée aux abonnés absents. Il inclina légèrement sa tête devant le mutisme qu'elle lui opposait. Elle avait l'air complètement ailleurs, à milles lieux de là !

« ...Sélène ? Hé, Sélène, tu m'écoutes ? »

Il agita brièvement sa main devant ses yeux avant qu'elle ne sorte subitement de son état de stase pour lui attraper le bras et se mettre à courir. Trop surpris sur le coup, il suivit bêtement le courant, se mettant à courir avec elle, jetant tout de même un regard derrière lui pour se faire une idée de ce qu'ils.. fuyaient ? Mais rien, il ne vit strictement ri... !! Il venait de rêver ou le buisson venait de bouger là ?!

Elle avait beau lui avoir demander de ne pas poser de questions, ça sortit tout seul, mais il fallait qu'il sache.

« Encore une vision ? »

Il devrait patienter pour avoir sa réponse, la course folle qu'ils menaient au travers des rues de Birdsall leur demandait tout leur souffle. Quand Sélène décida enfin de s'arrêter, il put constater qu'elle les avait ramené sur le chemin conduisant au pensionnat. Il n'était pas un athlète, mais le sport ne lui avait jamais causé de soucis, pourtant ces derniers mois, il s'essoufflait plus facilement, alors il profita de cette pause bienvenue pour reprendre son souffle. Sélène paraissait en avoir bien plus besoin que lui encore, même si la peur avait l'air d'être la principale responsable de ses membres tremblants avant qu'elle ne s'effondre à genoux.

Sa bouche resta entrouverte mais rien n'en sortit sur le moment. Il allait bêtement lui demander si ça allait, mais non, ça n'allait pas. « T'appelles ça vivre toi? » Que pouvait-il répondre à ça ?
S'il connaissait la réponse, bien des choses pourraient être différentes. Mais en pensant ça, il pensait plus à lui qu'à la fille agenouillée sur le sol froid qui reprenait péniblement le contrôle de ses émotions.

Le regard qu'elle releva sur lui lui fit enfin fermer sa bouche. Pitié Sélène, ne me regardes pas comme ça! On aurait dit qu'il suffirait d'un tout petit coup de pouce pour qu'elle ne tombe dans un précipice sans fond. L'éloigner du bord de ce gouffre devrait être bien plus difficile en revanche. Heureusement, sa voix maitrisée le tira de cette sensation d'impuissance désagréable, bien que techniquement parlant, il n'avait rien à faire avec cette fille. Hé ! Il la connaissait depuis même pas une heure quoi ! Il allait quant même pas se prendre sérieusement la tête pour ses problèmes ?!
Enfin, leurs problèmes si l'on admettait que ça concernait tout les élèves du pensionnat ? … Et re-merde.

« Je vois... dans le genre « je suis dans la merde » tu fais partie de la catégorie « jusqu'au cou » hein ? »

Il haussa un sourcil en posant sur elle un regard critique mais paradoxalement sans la juger – c'est possible ça? Bref – et se redressa, ayant rapidement retrouvé une respiration plus régulière, même s'il s'enfilerait bien volontiers quelques comprimés dès qu'il pourrait retourner dans sa chambre.

« Au moins, on doit pas s'emmerder avec toi. Allez, lève toi ! Le charmant arrière train de mademoiselle va chopper froid à rester collé par terre. »

Son sourire espiègle fleurit de nouveau sur ses lèvres tandis qu'il lui tendait la main.

Elle se relève et lui sourit. Sélène ou la fille qui semble si fragile et si forte à la fois, un vrai paradoxe à elle toute seule cette nana. La regardant se passer une main dans les cheveux, un élan de protectionnisme le prit aux tripes. Franchement chelou comme sensation, cela faisait bien longtemps qu'il avait perdu le droit de se montrer protecteur avec qui que ce soit, alors quand ça arrivait – assez régulièrement malgré ce qu'on pourrait penser d'une grande gueule comme lui – il repoussait ce besoin de se montrer utile à quelqu'un par une énième connerie dont il avait le secret.
Cette fois, cela se traduisit par un ébouriffage de cheveux dans les règles, frottant le sommet du crâne de la brunette assez pour la faire râler, un sourire fendant son visage de type déconneur et insouciant.

« Mais ce fut un plaisir mademoiselle ! Il prit une expression plus sérieuse, et posa son doigt sur son nez, mimant le fait de remonter des lunettes imaginaires en croisant son second bras sur son torse, prenant ainsi une pause digne d'un psy. J'ai rarement des patientes aussi mignonne et névrosée, alors j'en profite aussi. »

Nouveau sourire, plus léger celui-là, et il lui rabattit la capuche sur la tête, faisant de même avec la sienne après s'être débarrassé des flocons qui s'accrochaient à ses mèches désordonnées.

« J'crois qu'il est temps de rentrer, j'ai pas l'intention de me transformer en bonhomme de neige ! »

Il fit une légère grimace en posant son regard sur le pensionnat qu'on pouvait deviner tout au bout du chemin dans la pénombre. Il devait y avoir un peu d'agitation là-bas à cause de la véranda partie en fumée, il espérait que les merdes qui allaient en découler pourraient attendre demain pour lui tomber dessus. L'espoir fait vivre !

« Allez, hop ! Tu pourras toujours retourner voir demain s'ils ont pas trouvé ton mp3. »

Accompagnant ses paroles d'une petite claque sur les fesses de Sélène pour la faire avancer, il haussa ses sourcils avec une expression tout ce qu'il y a de plus innocente lorsqu'elle lui lança un regard.
Quand Sélène se mit enfin en route, il resta un pas en arrière, jetant un regard derrière eux, vers la ville qu'ils venaient de fuir comme un besoin de « surveiller leurs arrières ». Après cette soirée, les jours à venir allaient lui apparaître sous un nouvel angle. Pour le meilleur ? Surtout pour le pire, mais ça pouvait toujours servir.