Le vent sifflait dans les arbres. Secouant les feuilles d’où tombaient de légères gouttes d'eau , qui s'écrasaient sur le sol. Le soleil filtrait à travers la dentelle du feuillage. Un jeu d'ombre et de lumière. Le ciel était traversé de nuages noirs où la lumière éclatante perçait par endroits. Le ciel d'orage était traversé d'un arc-en-ciel qui s'effaçait peu à peu. L'air avait l'odeur de la terre après la pluie. Cette senteur particulière du sol mouillé en été. Les feuilles se découpaient en ombres chinoises sur son visage, et dansaient sur ses paupières closes.

Mallory respirait cette odeur à pleins poumons, laissant les souvenirs et les pensées aller et venir. Elle était prise d'un certain mal du pays. Son oncle lui manquait considérablement. Elle tenait dans ses mains le petit flacon de cristal qu'il lui avait offert. Elle avait sept ans lorsqu'il le lui avait donné. Il voulait lui montrer un feu d'artifice, il savait qu'elle adorerait voir ces tableaux éphémères de lumière dans le ciel d'encre noire. Les habitants de la ville se massaient autour du grand bassin au-dessus duquel exploseraient les fusées colorées. La place était noire de monde. Oncle Owen, lui, savait que ce n'était pas là que se trouvait les meilleures places. Un peu plus loin du lieu de rassemblement se trouvait le grand parc de Beaufort. Il était situé en contrebas et sur une colline, offrant une vue imprenable sur cette ville de Caroline du Sud. Belvédère privilégié des touristes et des badauds dans la journée, il était au contraire parfaitement désert la nuit. Oncle Owen avait donc emmené la petite Mallory au sommet de la colline. Ils attendaient impatiemment le début du spectacle d'ombres et de lumières.

Cependant Mallory se sentait toujours mal à l'aise dans l’obscurité, elle faisait parfois même des crises d'angoisse. Pour faire fuir la peur de sa nièce, Owen avait capturé une luciole et l'avait placée dans un petit flacon de cristal trouvé chez un antiquaire. Le haut du flacon, sous le bouchon, était ciselé et découpé , permettant ainsi à l'insecte luminescent de respirer. Cette faible source de lumière avait rassuré la petite fille. Souvent après, oncle Owen avait renouvelé l'opération lorsque Mallory se sentait mal. Peu à peu, la simple présence du flacon l'aidait. Mais malgré tout Mallory n'était jamais très à l'aise dans l'ombre.

Le vent soufflait et les nuages noirs cachaient le soleil. Mallory faisait tourner le flacon entre ses doigts. Mais elle ne le manipulait plus avec la même agilité, le faisant touner de plus en plus vite. Ses gestes devenaient moins précis. Le bouchon usé d'avoir servi trop souvent n'avait plus la même adhérence et glissait. Mallory le maintenait en place comme elle le pouvait, préoccupée. Un gros nuage d'orage que le vent poussait au loin masqua complètement le soleil. Mallory avait du mal à respirer, l’anxiété montait en elle accompagnée d'un sentiment de panique qu'elle ne s'expliquait pas.

Le bouchon glissa.
Elle n'eut pas le temps de le rattraper.
Il tomba sur le sol où il se brisa en mille éclats scintillants.

Mallory descendit du banc et s'accroupit. Elle ramassa au creu de sa main les plus gros morceaux.

-Aie !

Une multitude de petits points rouges de dessinèrent à la surface de sa main. La poussière de cristal avait écorché sa peau. Le nuage était passé, Mallory se sentait mieux. Le voile de brouillard qui la recouvrait en présence de l'Ombre se soulevait. Le soleil était là de nouveau, elle était bien .

Sur le gravier de l'allée, une ombre passa, dessinant cette fois une silhouette . Mallory leva les yeux.

Pourquoi je n'arrive pas à faire ce que je veux ? Pourquoi est-ce que tout me semble différent de ce que j'imagine ? J'aimerais réellement prouver ce que je vaux. Mais j'ai du mal à expulser ma voix... Je ne sais pas pourquoi, mais au club de chant, je ne parviens pas à chanter comme quand je suis seule. Pourquoi ? Suis-je si intimidée par les autres ? C'est absolument ridicule, il n'y a aucune raison pour ça. Mais qu'est-ce que je raconte ? Bien sûr que je suis terrifiée par le regard des autres. C'est pathétique. Absolument pathétique. Pourtant, les autres et le prof me disent que je chante bien. Mais rien à faire, je n'arrive pas à me satisfaire...

J'avais besoin de changer d'air, de me changer les idées. Et pour cela, je ne connaissais rien de mieux que le parc. Le temps était à la fois sombre et clair, selon les endroits, le vent soufflait. Pour la plupart des gens, c'était un temps déprimant. Mais moi j'adorais. J'aimais cet air frais qui frôlait ma peau, me glaçant presque les os. C'était ma manière de me sentir vivante. Étrange, je sais, mais souffrir, avoir froid, sentir que son corps réagit, c'est bien la preuve que l'on existe non ?

Il n'y avait personne ou presque dans le parc. J'avais pu apercevoir une autre fille, une blonde, dans un coin, mais je ne m'étais pas attardée. J'entendais bien profiter du temps que j'avais pour m'exercer. Il fallait encore que je m’entraîne à utiliser mon pouvoir. Je n'avais envie de blesser personne et comme mon pouvoir était encore instable par moment, ces moment d'exercices n'étais pas de trop. Je devais faire ça seule. Je n'avais pas envie que quelqu'un remarque que j'avais des difficultés. Je n'avais même pas envie de l'admettre. Quant à demander conseil à mes professeurs ou au directeur, non, j'ai déjà du mal à être en cours, si je devais me taper des cours particuliers avec l'un d'entre eux en tête à tête, je crois que je péterais un câble ! Et puis... Je dois aussi dire que le directeur me fait bien trop froid dans le dos pour que je lui demande quoi que ce soit. Je suis pas folle non plus.

Le ciel s'assombrit brusquement. L'air devint plus glacial et le vent plus puissant. Ce fut de courte durée. Dommage. Un bruit de fracas parvint alors jusqu'à moi. Un bruit pareil à du verre cassé. Inquiète (et curieuse) j'allais voir d'où provenait ce bruit et découvrit la jeune fille blonde que j'avais vu en passant accroupit par terre et ramassant les bouts d'un flacon brisé. Je restai un instant devant elle à la regarder avant de m'accroupir à mon tour et de l'aider à ramasser.

-Ça va ? Tu ne t'es pas fait mal ? Faut faire gaffe avec les trucs comme ça, surtout si on se prend des éclats dans les jambes

En me relevant, je sortis un petit sac plastique pour y mettre les morceaux brisés et le tendit cette inconnue devant moi.

-Tiens, peut-être que tu voudras les garder... Je m'appelle Alice.

Oui, j'avais fait les premiers pas pour allez parler à quelqu'un. Et croyez moi, cela m'étonnait tout autant que vous ! Mais c'était sortit tout naturellement comme si la jeune fille sociable et avide de nouvelles rencontres qui sommeillait en moi s'animait tout d'un coup.

Spoiler:

Une jeune fille brune se tenait devant Mallory. Elle ne l'avait pas entendue arriver, aussi Mallory fut elle surprise de la voir en face d'elle. Le temps s'était calmé quoique toujours incertain. Au moins il ne faisait plus si sombre, même si cela n'avait rien d'un ciel dégagé avec un soleil éclatant. Un vent soufflait toujours, mais doucement. Faisant virevolter les boucles blondes de Mallory et celles d'un beau brun de l'autre jeune fille. Sans savoir pourquoi, Mallory ressentit aussitôt de la sympathie pour l'inconnue. La jeune fille avait un air inquiet sur le visage. Ce fut avec empressement qu'elle s'accroupit auprès de Mallory lui demandant si elle ne s'était pas fait trop mal.

-Ça va ? Tu ne t'es pas fait mal ? Faut faire gaffe avec les trucs comme ça, surtout si on se prend des éclats dans les jambes


Sur ce elle lui tendit un sac en plastique. Mallory regarda les fracas de cristal avant de les mettre dans le sac. Elle ne pourrait pas les récupérer. Au moins se disait Mallory, le flacon était intact. Ce n'était après tout que le bouchon, elle en trouverait bien un autre. Il devait bien y avoir des antiquaires, ou au moins des vides greniers dans cette ville.
Mallory ramassa le plus de morceaux possible. Il ne fallait pas que quelqu'un d'autre s'entaille. La jeune fille supposa qu'elle voudrait peut-être garder les morceaux. Mais ce n'était pas grand chose après tout. Aussi Mallory les jetteraient dès qu'elle le pourrait. La jeune fille lui dévoila son prénom, Alice. Mallory ne put réprimer un sourire.

Elle avait toujours aimé ce prénom. Elle avait d'ailleurs eu une amie qui le portait. Mallory l'avait d'autant plus aimé. Puis elle avait lu le célèbre roman de Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles et son attirance pour ce vieux prénom s'était accrut. Mallory avait le goût des choses anciennes. Passion transmise par son oncle Owen. Elle aimait la douceur qui ce dégageait du son [s], douceur renforcée par les voyelles. Cela lui donnait une impression de tendresse mais étrangement aussi elle lui trouvait un côté espiègle, elle ne savait pourtant pas pourquoi. Une fois relevée, Mallory lui fit un grand sourire, naturel mais franc, et se présenta à son tour.

-Moi c'est Mallory ! Merci de m'avoir aidée à ramasser ! Mais ce n'est rien, juste une égratignure, ça picote un peu mais ça va passer. Ce que je peut être maladroite parfois ! Trop souvent d'ailleurs. Mais merci, c'était gentil !

Mallory était en fin de compte plutôt partagée. S'il est vrai qu'à première vue elle appréciait Alice, elle ressentait aussi une sorte de gêne qu'elle ne s'expliquait pas. Un léger malaise. Mais Mallory ne se démonta pas. Alice l'avait aidée, elle n'allait pas la planter là pour le simple prétexte qu'il lui semblait que quelque chose clochait sans pouvoir mettre la main dessus.

-Tu dois me prendre pour une cinglée de rester allongée là par un temps pareil. Si le vent continu de souffler on risque bien de s'envoler. Il commence d'ailleurs à faire un peu froid. Ça te tente un café ?

Et ne se défaisant pas de sa bonne humeur, Mallory commença à rassembler ses affaires, en attendant la réponse d'Alice. Son foulard failli s'envoler. Elle le rattrapa à temps et partie d'un rire léger.

Mallory... Un prénom qui me semblait familier. Mais ma mémoire ne s'activait pas. Elle ne s'activait plus depuis... Depuis que j'étais revenue. Mais ce prénom activait des zones de mon cerveau à tel point que je savais qu'il ne m'était pas inconnu. Bien sûr, cela ne s'applique pas pour la jeune Mallory. Sinon, j'aurais ressentit cette sensation rien qu'en la voyant. Elle me détaillait d'un air franc. Oui, elle avait l'air d'être une fille bien. Mais je ne fiais plus à l'apparence des gens. Malgré le fait que je ne me rappelle plus de ce qui s'est passé dans ma vie avant que je ne disparaisse, les sensations me revenaient. Le médecin me disait toujours que c'était normal. Quand on me parle de faire confiance à une personne dont je ne connais que le nom et le visage, c'est comme si mon cerveau dressait une barrière. Comme pour me dire : "Attention, tu sais pas ce qui peut se passer alors ne fais confiance à personne. Tu n'as pas envie de souffrir n'est-ce pas ?" Handicapant non ? Mais protecteur.

Elle me parlait du fait qu'elle soit maladroite. Un sourire se dessina sur mes lèvres. Il m'arrivait d'être distraite parfois. Le bleu sur ma jambe pouvait d'ailleurs en témoigner. Est-ce qu'il m'arrivait, avant, d'être maladroite ? Certaines personnes changent certains traits de leur comportement après un choc émotionnel. Mais, la plupart du temps, elle ont encore une mémoire pour le leur rappeler. Soudain, une pensée enleva mon sourire. Et si j'avais blessé quelqu'un à cause d'un faux mouvement combiné à mon pouvoir ? L'image du jeune garçon sur la photo que j'avais retrouvé dans mes anciennes affaires me revint soudain. Mais pourquoi ? Je ne pus le déceler.

-Tu dois me prendre pour une cinglée de rester allongée là par un temps pareil. Si le vent continu de souffler on risque bien de s'envoler. Il commence d'ailleurs à faire un peu froid.

La prendre pour une cinglée ? Jamais. Enfin... Pas pour cette raison en tout cas. J'aimais ce genre de temps. C'était calme, reposant. Sentir le vent soulever ses cheveux, sentir cet air froid caresser votre peau. C'était agréable. Contrairement à la chaleur. Quel tare ! J'avais beaucoup de mal à supporter la chaleur. Une sensation d'étouffement me prend à chaque fois et, si je ne m’aère pas, le malaise est vite arrivé. De même que les coups de soleil. Ma peau déteste que le le soleil projette ses rayons sur elle. C'est pourquoi elle rougit et me fait souffrir. J'étais un peu comme une vampire en fait. J'aimais la nuit et il suffit que je reste quelques minutes au soleil pour brûler. Bien sûr, je ne buvais pas de sang, qu'il soit animal ou humain.

- Ça te tente un café ?

J'hésitais. Après tout, j'étais venue ici pour pouvoir m'entraîner avec mon pouvoir. Si je ne travaillais pas, j'avais peur de ne pas progresser pour le contrôler. Mais cette Mallory, m'avait l'air sympa. Et puis, j'aimais le café. Ce breuvage doux, parfois amère, parfois sucré, selon nos goûts et nos préférences. Brun ou clair, mousseux ou non, j'adorais ça pourvu qu'il y ait un sucre et demi dedans.

-T'inquiète pas. Personnellement, j'adore ce temps là. Il m'apaise. Comme si le vent me murmurait des paroles réconfortantes. C'est... Agréable.

Après tout, c'était peut-être moi la cinglée dans l'histoire.

-Un café ? Pourquoi pas, ça fait une éternité que je n'en ait pas prit. Et je pense que j'en aurait bien besoin.

Je dormais peu en ce moment. Mais bizarrement, l'idée de prendre un excitant comme le café ne m'avait même pas traversé l'esprit. Je lui emboîtais le pas tranquillement, non pressée que quitter cet air et ce vent que j'appréciais. Elle semblait d'excellente humeur. Je ne voyais pas beaucoup de personnes comme ça à Rédemption. Les gens paraissent tristes ou préoccupés. Mis à part une certaine prof de dessin. J'aimerais bien être joyeuse de nature. Peut-être que je l'étais avant. Mais aujourd'hui, j'étais forcée de constatée que je n'étais pas différente de toutes ces personnes que l'on voit ici, l'air préoccupé, le visage presque tendu. Comme si l'on attendait que la vie nous offre quelque chose de meilleur.