La fatigue. Pas vraiment mon amie. Enfin, de toute façon, j’ai pas d’amis, alors c’est pas la fatigue qui va avoir une place dans mon cœur. Déjà que les êtres humains n’y parviennent pas… Enfin, j’étais vraiment crevé, donc de mauvaise humeur, donc irritable, donc on me parle, je remballe.

Bon, bref. Je m’étais levé après avoir passé une nuit pas super agréable. C’est pas cool de dormir quand on a froid. Et comme un c… comme un imbécile, je n’ai pas eu la brillante idée de mettre un pull pour finir ma nuit ! C’est quand je me suis levé que j’ai compris ce que j’aurais dû faire au moins quatre heures avant. Et donc, pour ne pas répéter la même erreur toute la journée, j’avais pris grand soin de mettre un bon pull et une veste bien chaude, dans le but de me promener un peu hors du pensionnat. J’arborais une magnifique tête de déterré avec quelques cheveux qui partaient partout dans tous les sens. Une sorte de pseudo-zombie quoi.

Le temps d’attraper mon carnet et mon stylo, je me mettais en route vers… vers où ? Je ne savais même pas où aller. Alors une fois dehors, je fis quelque chose de plutôt laborieux pour moi : réfléchir.


Quelques longues minutes de réflexion intense plus tard, j’ai abandonné. Trop dur pour moi. Puis je me souvins d’une chose une fois que je me remis à marcher. Mon cahier était plein. Plus de place. Nada. Quedal. Bon bah, ça me faisait déjà une destination : papeterie. Devant le vendeur, j’essayais de paraître un peu plus réveillé que je ne l’étais, en faisant un faux sourire, en étant faussement poli. Puis je repartais (après avoir payé, bien évidemment) avec un cahier tout neuf, plutôt épais. Je cherchais un endroit où me poser pour écrire un truc. Je sais pas quoi, mais je voulais écrire. Puis j’ai vu le bar.

J’allais m’y installer, et pourquoi pas tester le café. Ma commande passée, j’ouvrais mon cahier. Et je sortais mon stylo. Heu… quoi écrire ? Bonne question ! Puis mon café arriva. Cette boisson était réputée pour réveiller les gens. Donc pourquoi pas, vu mon état. Et trois gorgées plus tard, j’ai compris pourquoi. Vu l’amertume de cette… chose, personne ne pourrait s’endormir après ! Je faisais une grimace en me forçant à finir ma tasse. Et c’est après que j’ai compris que le serveur avait mie à côté de moi du lait et du sucre. Alors pour faire passer le goût de ce jus de chaussette, j’ai mangé un morceau de sucre.

Je reprenais la première page de mon cahier tout neuf que j’aimais déjà. Puis je commençais à écrire. Juste quelques mots. J’avais l’impression que ma main écrivait toute seule, mais vu ma fatigue, je ne devais pas contrôler mon geste. Puis une fois que ma main s’était arrêtée, toute seule, comme par magie, je lisais ce que j’avais écris :

« Il attendait, sans rien faire. Aucun but précis. Jusqu’à ce qu’une jeune fille vienne à sa rencontre. »

Je regardais ma feuille, perplexe. Mon cerveau n’avait jamais pensé ça une seule seconde. Et je me surpris à grommeler :

« Qué c’est qu’ce bordel ? »

Je me demandais toujours pourquoi j’avais écrit ça. Mais bon, ça devait être à cause de la fatigue. J’avais l’impression qu’à tout moment, j’allais me rendormir. En même temps, je commençais à avoir un peu chaud, c’était agréable. J’évitais de reposer ma tête sur ma main pour me forcer à garder les yeux ouverts. Je tapotais mon stylo en essayant de chercher des idées pour écrire. Panne sèche. Aucune inspiration. Je reprenais un sucre pour passer le temps, me réveiller un peu si possible. Mais aucun effet désiré, toujours aussi crevé. Et en plus, pas d’inspiration. Aujourd’hui je m’auto-désespérais… Je me retenais de me taper la tête contre la table, je passerai pour un fou. Je scrutais la salle et voyais des gens. Trop de gens pour moi, j’hésitais même à partir. Mais trop fatigué, je restai. Juste pour me poser, me reposer un peu.

J’avais cédé à la tentation. J’ai appuyé ma tête sur ma main. Et j’ai mis de la musique plutôt calme pour masquer le bruit de fond. Juste un écouteur dans l’oreille posée sur ma main. Je regardais dans le vague, juste devant moi. Mon autre main tenait mon crayon sur la feuille. Et je ressentais ma main écrire toute seule. Juste un mot. Je devais être carrément taré. Je lançais un regard à ma feuille. « Maintenant » Puis je fermais les yeux. Deux secondes. Pas plus. Parce que je les rouvrais quand une jeune fille vint me parler. Elle souriait. Je lui lançais un regard de pseudo-tueur. Quand elle m’avait demandé si elle pouvait s’assoir, je n’avais pas répondu, j’avais juste lancé deux mots suite à sa remarque en me passant une main dans les cheveux :

« Mal dormi… »

Je respirais un grand coup en me redressant et m’étirant. Puis en m’adossant au dossier de ma chaise, je lui dis :

« Pourquoi tu viens me parler ? T’as pas peur que je sois un pédophile-violeur-tueur en série qui saute sur la première fille que je vois ? Surtout que ça a pas l’air super bien fréquenté ici… »

Je reprenais encore un sucre, sachant que ça n’allait pas m’aider à rester éveillé et que pour les dents, c’était pas top-top. Mais c’était bon ! Puis je me mis à penser. Non, non, pas réfléchir, penser, c’est pas la même chose. Je croyais comprendre un truc. Peut-être que je me trompais mais bon. Si celui dont j’avais parlé dans al petite phrase écrite involontairement et elle, c’était celle qui venait le rejoindre ? Et ce « maintenant » juste quelques secondes avant qu’elle n’arrive. Puis je fus tiré de mes pensées quand je me rendais compte que je me balançais sur ma chaise et que ce n’était pas tellement une bonne idée. Je me remis bien en place sur ma chaise, posai mes coudes sur la table. Sans le vouloir, je fis craquer un doigt, ce qui me fit grimacer. Horrible sensation que de se craquer les doigts… Puis je lui demandais en la fixant dans les yeux, qui étaient d’ailleurs d’un plutôt beau bleu :

« Comment tu t’appelle ? Moi c’est Gregory. »

Elle s’était assise sans que je ne lui donne la permission. De toute façon, elle risquait surement de partir vu le caractère particulièrement désagréable que je pouvais avoir aujourd’hui. J’étais quelqu’un qu’il fallait éviter de fréquenter quand j’étais sous un mauvais jour, pas parce que j’étais spécialement dangereux, mais je pouvais être trop franc et cracher des injures même à une personne qui me veut du bien. Des fois, je me déteste. Enfin je déteste mon caractère. Enfin c’est compliqué, ça demande de réfléchir, donc bref.

Quand je lui avais fait ma tirade sur ce que je pouvais bien être (et que je n’étais évidemment pas), elle avait éclaté de rire. Haha. Très drôle. J’étais franchement pas d’humeur à rire moi. Quoi que, c’était pas tellement terrible ce que je lui avais sorti. Si je l’étais vraiment, ce pédophile-violeur-tueur en série, je l’aurais pas dit. Il y a bien des fois où je me comprends pas…

Je la voyais se mettre dans la même position que moi pour me répondre. Elle avait bien dit que ça se voyait que j’avais mal dormi. Et puis j lui faisais pas peur. Comme quoi, je devrais vraiment revoir ma technique pour faire fuir les gens quand j’ai une effusion d’asociabilité. Puis quand elle m’avait dit que c’était pas spécialement bien fréquenté ici, tout en me donnant l’exemple d’un gros bourré qui l’avait abordée, j’avais lâché un ricanement. Et pour elle, c’était plutôt drôle. Je lui lançais un regard bizarre entre « tu te fiche de moi » et « t’es tarée ! » Et au final, elle me dit son nom. Nina. Et elle m’avait appelé Greg. OK. Sans moi. On est pas encore pote, pour elle, ce sera Gregory.

Puis elle m’avais demandé si elle pouvait lire ce que j’avais écrit en posant les yeux sur mon cahier. Ce à quoi je répondais :

« Bon déjà, tu m’appelle Gregory. Puis tient, tu peux lire ça a rien de personnel. Juste une phrase carrément pourrie et un mot qui sert à rien. »

Je lui avais tendu mon cahier pour qu’elle puisse lire. Elle aurait pu dire plus simplement qu’elle était curieuse si c’était ça, parce qu’une phrase et un mot, c’est parfois quand même intriguant.

Quand elle avait pris mon cahier, j’avais vu un sourire plutôt étrange se dessiner sur son visage. Je me demandais à quoi elle pensait. De toute façon, je m’en fichais un peu. Ses pensées n’avaient surement rien à voir avec moi, enfin normalement. Enfin bref, voilà, je m’en fichais !

Une serveuse lui apporta sa commande mais c’est moi qu’elle fixait. Mais quoi encore ! Pourquoi les gens me fixent constamment quand je vais quelque part ! J’en ai marre moi, c’est carrément chiant ! Puis la dénommée Nina avait recommencé à me parler en me disant que je paraissais pas bien réveillé. Naaaan ! Juuure ! J’ai pas dormi de la nuit alors je pète la forme ! Puis elle avait insinué que je pouvais être toujours comme ça. Je suis sous un mauvais jour, là ! Puis elle m’avait dit qu’elle espérait que je sois pas comme ça tout le temps. Bah non, la plupart du temps, je me tais, ou je frappe, au choix. Puis elle eut son verre d’eau qu’elle avait commandé.

Elle me dit alors qu’il était temps de se réveiller. Et là, elle m’avait appelé par mon nom complet. Heureusement. Puis elle fit quelque chose qui m’énerva au plus haut point. Elle avait prit son verre pour me jeter le contenu dans la figure ! Je manquais de tomber de ma chaise en faisant un écart inutile pour éviter l’eau. Je l’entendais rire. Je me levais et posais brusquement mes mains sur la table en lui hurlant :

« Putain mais t’es pas bien ?! T’es malade ! Ça caille dehors et toi tout ce que tu trouve à faire c’est me balancer ton verre d’eau à la gueule ? T’es vraiment pas bien dans ta tête !! »

J’essuyais mon visage du revers de ma manche en marmonnant des mots du style « putain » ou « fait chier ». là, elle m’avait vraiment énervé. Je reprenais mon cahier et mon stylo en lui disant sèchement, toujours énervé :

« Franchement, si c’est pour ça que t’es venue me causer, c’est vraiment pas malin surtout vu le temps. Alors tôt ou tard t’as intérêt à t’excuser. Comme si tu croyais que c’était ça qui allait me faire devenir joyeux, tu t’es gourée ma belle. Et c’est pas parce que j’ai soi-disant une belle gueule que je suis sympa. Ça fonctionne pas comme ça avec moi. »

J'avais employé un ton menaçant aussi. Puis je partais en direction de la sortie, sentant le regard des gens sur moi, ce qui me força à accélérer le pas pour partir au plus vite en dehors et ne plus me sentir observé.

Je continuais de marcher d’un bon pas pour m’éloigner au plus vite de ce bar et de cette folle. Je commençais vraiment à me les geler. Je me retenais de m’énerver contre la masse de personnes qui m’observait. En même temps, voir un homme trempé se balader dans la rue alors qu’il fait plutôt froid, c’est pas courant. Je continuais d’avancer. Puis à un moment, je ne sais pas comment ça se faisait, mais e n’étais plus mouillé. Quand j’avais compris ça, je m’étais arrêté. Puis j’entendais quelqu’un me parler. Je me retournais.

C’était Nina, alias la folle au verre d’eau. Elle s’excusait de m’avoir lancé son eau à la figure. Et le fait qu’elle n’avait pas pensé à la météo montrait qu’elle n’avait pas vraiment réfléchi sur le coup. Comme moi, j’agis toujours sur des coups de tête. Un peu comme quand je me suis énervé. Puis elle m’avait dit qu’elle n’aimait pas s’excuser, mais que dans mon cas, quelque chose la poussait à le faire. Puis elle m’avait demandé de la pardonner.

Je réfléchissais. Enfin j’essayais. Elle avait fait une connerie, je m’étais énervé, elle avait réparé son erreur et s’était excusée. Peut-être qu’il faudrait aussi que je m’excuse pour ma réaction, lui avoir hurlé dessus. Alors je lui dis d’un ton calme :

« C’était pas la peine de courir comme ça pour moi. Surtout après ce que je t’ai dit, je vois pas pourquoi tu persiste à vouloir me parler. »

C’est tout ce que j’avais trouvé à lui dire. Pourtant je devais lui dire autre chose. Lui dire que j’acceptais ses excuses, qu’elle ne devait plus recommencer, m’excuser à mon tour. Ça se voyait qu’elle était sincère, vu le regard qu’elle me lançait. Après quelques instants de silence, je lui dis :

« J’accepte tes excuses, j’ai pas été sympa avec toi aussi… Mais juste, ne recommence jamais s’il te plait, sinon tu me verra recommencer une crise comme tout à l’heure. »

J’avais lancé un petit rire. Puis je continuais :

« Je m’excuse aussi de t’avoir hurlé dessus et de t’avoir insulté. Mais pourquoi tu t’es excusée alors que d’habitude tu ne le fait pas ? Surtout après ma réaction. C’est quoi qui t’as poussée à le faire ? »

Cette question me trottait dans la tête. Ça me faisait bizarre qu’elle veuille s’excuser alors que certaines personnes mériteraient plus ces mots que moi.

Je me demandais encore pourquoi elle s’était excusée. Mais quand je lui avais présenté mes excuses, elle avait souri. Elle paraissait plutôt sympa au fond, pour avoir tenu à présenter ses excuses à un parfait inconnu qui l’avait insulté. Et d’ailleurs, elle fit quelque chose qui me surprit un peu. Beaucoup même.

Elle avait posé sa main sur ma joue. J’avais haussé un sourcil en me demandant où elle voulait en venir. Et le su quelques instants après quand elle approcha son visage du mien et posé ses lèvres sur les miennes. Je ne l’avais pas repoussée. Je ne sais pas pourquoi, je m’étais laissé faire. Peut-être parce que je trouvais ça agréable. Puis elle m’avait chuchoté juste après avoir mis fin à ce petit moment que c’était pour ça qu’elle s’était excusée. Sur le moment, je ne réalisais pas vraiment ce qu’il se passait. Jusqu’à ce qu’elle s’écarte brusquement en s’excusant à nouveau. Pendant qu’elle s’expliquait en disant qu’elle ne savait pas pourquoi elle avait fait ça, je me demandais ce qui lui avait pris de m’embrasser. Je me sentais un peu rougir. Je tirais une tête bizarre, entre l’étonnement et le choc. Ça faisait vraiment bizarre, surtout que je ne la connaissais pas. Enfin presque pas. Je savais au moins comment elle s’appelait.

Puis elle m’avait dit qu’elle comprendrait que je la traite de folle ou que je ne lui parle plus. Elle ne comprenait pas ce qui lui prenait de réagir comme ça, moi non plus d’ailleurs. Je lui dis un peu gêné, mais pour la rassurer :

« Non, t’inquiète pas c’est pas grave ! Je… je t’en veux pas ! Puis je te prend pas pour une folle ! Pas du tout ! Et c’est parce que… enfin bref, c’est pas pour ça que je vais plus te parler !»

J’avais essayé d’être le plus convainquant possible. Mais il m’arrivait quoi à moi aussi ? Quelqu’un me fait ça, je sis plus du genre à lui hurler dessus ou à le repousser. Mais là, non, je l’ai laissé faire. En même, temps, c’était agréable. Quelques passants nous regardaient, ce qui me gênait encore plus. J’avais envie de bouger d’ici. Alors je lui attrapais la main et déposais un petit baiser sur ses lèvres avant de lui dire dans l’oreille :

« On bouge ? »

Et avant même d’avoir sa réponse, je l’emmenais avec moi, toujours en lui tenant la main. Pour aller dans un endroit où on ne sera pas fixés par des inconnus qui mettent bien mal à l’aise ! Je me dirigeais vers le parc, qui semblait vide. Tant mieux ! J'en avais un peu marre de tous ces regards indiscrets !