« ... Ke... Kenny ! Nom de Dieu... »

Ce fut rapide. Son corps avait été secoué. Les phares avaient déviés. Ou alors était-ce lui qui avait quitté la route ? Il y avait eu un choc. Un corps contre le sien. Qui l'avait poussé. C'était cela, ainsi. Son cœur s'était accéléré. Il avait crut mourir. Peut-être aurait-il préféré cela. Ses souffrances internes auraient été abrégées ainsi. Peut-être... Ou peut-être pas. Son corps était toujours là. Il était toujours vivant. Il n'y avait pas à se poser ces questions.

Son corps tremblait toujours. Il ne savait plus vraiment où il était. Où il en était. Si son corps avait échappé au choc de la voiture, son esprit, lui, l'avait pris de pleins fouet.

Il continuait de hoqueter maladroitement, des hoquets semblables à ceux des jeunes enfants qui venait de subir une grosse frayeur. Mais, il put se calmer un peu. Lorsque son regard perdu, vague et brouillé par les larmes salées croisa celui de la personne qui venait certainement de lui sauver la vie, il se reprit légèrement. Il le reconnaissait. Ces yeux bleus profonds... Ce regard inquiet. Cette voix. Ces bras rassurants. Ce parfum. Ces cheveux décoiffés et ce visage à la fois dur, et terriblement doux. Aaron. Ce prénom franchit la barrière de ses lèvres, inconsciemment, dans un murmure étouffé. Qu'est-ce qu'il faisait là ?! Il venait de le sauver ?! Il sursauta d'une manière imperceptible. Lui... Ici.

Il fut pris de honte, d'être vu dans cet état, dans ce costume déchiré, et tâché de terre, à cause de sa course dans la nuit, avec ce maquillage ridicule défait par les larmes... Il était pitoyable. Pathétique. Il enfouit son visage contre le torse du jeune homme, désireux à la fois de ce cacher, mais aussi de sentir son ami près de lui, cette chaleur réconfortante. Là, il était mieux. il laissa échapper quelques sanglots encore, s'accrochant à celui qu'il admirait avec presque désespoir. Il avait besoin d'aide. Besoin de quelqu'un.

Be my friend
Hold me, wrap me up
Unfold me
I am small
And needy
Warm me up
And breathe me

« Je suis un monstre... J'suis un putain de monstre taré Aaron... »

En même temps qu'il prononçait ses paroles, des images atroces s'imposaient dans son esprit. Du sang. du sang et toujours du sang. Des cris et des larmes. C'était affreux. Il revit Seth. Il revit son regard troublant. Il ferma les yeux, poussant quelques gémissement de souffrance. Il ne s'en débarrasserait jamais. Il était perdu.


Il avait mal à la tête. Au cœur. Il se sentait mal, simplement. Certainement que la mort aurait été moins douloureuse. Mais dans la mort, il n'aurait pas trouvé ces bras. Il releva doucement la tête, déglutissant péniblement.

Il n'avait pas à lui imposer ses crises de folie. Il plaqua une main contre son visage, masquant ses yeux, tant pour se cacher que pour calmer cette affreuse migraine.



Il était pathétique, il le savait. Il se détacha du jeune homme doucement. Il entreprit de se redresser, mais ses jambes étaient trop faibles. Il était à bout de force. Épuisé.

Le pantin avait perdu ses fils, et ne pouvait plus lever les bras. Alors il les baissait, tout droits contre son corps. Il n'était plus rien. Avait-il été un jour quelque chose ? Il venait à en douter. Il n'était qu'un jouet de chair, une poupée au corps brisée, et il raisonnait toujours dans sa tête la voix de son maître, lointaine. Il n'était plus.

Il l'avait retrouvé. Aaron. Ils s'étaient retrouvés. Il lui parlait de son ton, si singulier. Si... Si Aaron. C'était ainsi. Il ferma les yeux. Ferma son esprit aux monstres qui tentaient de le consumer encore un peu plus. Aaron était là. Il palpa sous ses doigts tremblant sa peau, doucement. De la vie. Près de lui, contre son corps. Il soupira. Son visage enfouit contre son torse, humant son parfum, cet air familier, dans un univers hostile. Il hoqueta, encore, sans rien dire.

Il fallait le temps à sa langue de s'accorder de nouveau avec son esprit. Il fallait le temps à son esprit de chasser le Démon malsain qui faisait raisonner ses cris froids et ignobles dans sa tête. Il soupira, s’agrippant aux vêtements d'Aaron. Il avait besoin de s'accrocher. De ne plus le lâcher. Il avait trop peur que cela ne soit qu'une vision. Un tour fourbe de son esprit, pour l'enfoncer un peu plus dans la sombre folie. Il laissa couler quelques larmes sur son visage, plus sereines, apaisées.

Aaron lui fit relever le visage. Il fut obligé de plonger son regard dans le sien. Sa vue était encore brouillée par les larmes, mais il le voyait. Son visage sérieux et inquiet. Ses lèvres se mouvèrent dans la pénombre. Des questions. Toujours des questions. Le monde tournait aux incessantes interrogations de ses pantins.

Il soupira faiblement, hochant la tête gravement.



Il n'y avait qu'une réponse. Qu'une seule justification à tout cela. Aussi folle, aussi trouble que le reste.



Il soupira faiblement. Il devait passer pour un fou. Il était fou. Il fixa avec intensité son ami, pour appuyer son propos. Son désespoir mis de côté, son regard luisait d'un air sincère, et alarmant. C'était un avertissement. Grave. Il prévenait la fin d'une paix factice. Le rideau allait bientôt tomber. Des vies, avec, inévitablement.



Il rigola faiblement, sa voix rauque se brisant doucement. Oui, il n'était plus lui même. Mais cette prise de conscience sur son état ne relevait-elle pas d'une reprise en main soudaine ? Son coeur tapa brutalement en sa poitrine, et une lueur de vie parcourut son regard mort. Kenny Pevers était là. Toujours là. Il prit une profonde inspiration et sourit doucement. Il approcha son visage un peu plus de celui d'Aaron, son regard vissé au sien. Ses lèvres proches des siennes, il murmura simplement :



Il sourit une dernière fois, un sourire d'espoir. Puis, il vient faire mourir ce sourire sur les lèvres d'Aaron, venant y poser les siennes, doucement, l'embrassant finalement. Un baiser spontané, et pourtant, espéré consciemment ou non. Il se moquait de comment allait réagir celui qu'il appréciait tant. Il avait juste eût besoin de faire cela. C'était ainsi.

Kenny était ainsi.

Il suffoqua. Son corps plaqué contre le sol humide. Le changement avait été brutal. Il soupira. Il s'y était attendu. A un rejet. Il le savait. Il aurait dû le savoir. S'en douter. Mais il avait eu besoin de le faire. Il ferma les yeux, inspirant profondément. Aaron. Père. Sélène. Zachary. Des annonces. Des prénoms. Martelant son esprit, violemment. Bam. Bam. Bam. Cela faisait mal.


Il écouta sa tirade, complètement. Tout ce qu'elle avait à dire. En silence. Son cœur se serrait, au fur et à mesure de ses paroles. Ses yeux s'emplirent de larmes, et coulèrent le long de ses joues. Il resta au sol. Il aurait bien pût mourir ici, que cela aurait été moins douloureux. Il avait l'impression que le béton sur lequel il était étalé l'envahissait doucement. Paralysé. Il écoutait ses paroles. Elle avait raison. Il n'avait pas le droit de faire tout cela. Il n'avait pas le droit...


Son cœur semblait prêt à exploser, tandis que la voix de la jeune femme se tût finalement. Il pleurait, franchement. Ses pleurs faisaient écho à ceux d'Ariane. Et alors il sentit à quel point il était égoïste. A quel point il était mauvais. Il rouvrit les yeux. Brouillés par ses foutues larmes. Il toussota doucement, avant de se redresser.

Et alors il la prit dans ses bras. Elle, ce corps fins, fragiles, qui était secoué par des sanglots déchirants. Il la plaqua contre son propre corps. Glissant sa main dans ses cheveux, il la réconforta doucement, dans une étreinte tendre. Joignant quelques larmes aux siennes, il resta un instant silencieux, incapable d'émettre la moindre parole. Il se passait quelque chose dans son esprit. Trop de choses, en fait. Il allait exploser. Mais il retint cela. Il en avait marre, de lui même. Il en avait marre, d'être égoïste. Cet égoïsme poussé par sa folie décuplée. Il soupira, avant finalement de briser le silence de la nuit de sa voix brisée.

Like a wall of stars
We are ripe to fall

Il suffoquait, comme si on le privait d'oxygène. Il avait l'impression d'étouffer dans ce monde. Il y était trop étranger. Incapable de s'adapter. Il étouffa son sanglot et ses excuses contre l'épaule de la jeune fille. Il ne savait même plus où il en était. Il ne savait même plus où il était. Tout paraissait si loin soudainement. Comme un songe. Un souvenir lointain, tellement flou que le réel et le fantasme se mêle. Il soupira.

Ses doigts glissaient entre les cheveux de la jeune femme, doucement. Ariane. Il essayait toujours de la calmer, doucement, alors qu'il ne parvenait même pas à se calmer lui même. Il se redressa légèrement, pour relever son visage, et le prendre doucement entre ses mains pour la regarder dans les yeux.

C'était difficile. Mais il y parvint.

Elle avait un regard tellement différent de celui de son frère. Plus fragile. Plus sincère et émotif, ne cachant pas ses émotions. Elle se dévoilait. S'en était touchant. Il se mordilla la lèvre inférieure, sentant son cœur crier dans sa poitrine, violemment. Cette scène était si étrange. Inspirant doucement, il fit tout pour garder son regard déterminé. C'était difficile. La gorge nouée, il prononça finalement :


Il avait dit plus qu'il ne le devait. Il se tut brutalement, la gorge nouée. Et maintenant ? Il avait l'impression d'être dans un songe. Pas réellement un cauchemar. Un moment neutre. Mais douloureux. Aïe, c'était vraiment le bazar. Mais il garda la tête haute. Il la fixait, encore et toujours. Il pouvait se lever, et partir, si c'était ce qu'elle... ce qu'ils voulaient. Il pouvait sortir des vies. Se téléporter ailleurs. Loin de tout cela... Cela semblait si facile.

Il ne baissa pas le regard. Non. Cette fois, s'en était fini d'être lâche. Il la fixa. Il ne pouvait pas la quitter des yeux, à vrai dire. Ses paroles... Elles étaient si... Intenses. C'était étrange. Différent. Il ne savait pas ce qui lui arrivait vraiment, mais son esprit avait tendance à s'éclaircir, ou du moins être un peu moins brumeux. Il se mordilla la lèvre inférieure, sentant son cœur s'emballer toujours un peu plus à chacune de ses paroles. Il y avait quelque chose de profond en chaque mot qu'elle délivrait.

Il ne savait plus quoi dire. Il la regarda se lever, en silence. Il ne pleurait plus. Ne tremblait plus. Il n'avait plus peur. Il était comme apaisé, et pourtant retourné par ses mots. Il resta donc un moment assis. Elle le surplombait. Elle n'était certes pas très grande physiquement, mais elle dégageait une certaine prestance. Sa fragilité était sa plus grande force. Il soupira doucement, se décidant finalement à accepter sa main pour se redresser. A sa plus grande surprise, il parvint à se tenir debout, et à ne pas retomber. Il resta face à elle.

Il avait même gardé entre ses doigts sa petite main tremblante. Il lui sourit finalement. Un sourire encore faible. Encore blessé, malgré son regain de force. Il la fixa avec douceur, avant de lâcher finalement :



Comme pour lui même, il hocha doucement la tête. De sa main de libre, il essuya sa joue, son sourire grossier de maquillage défait. Il en avait marre de son masque, littéral et imagé. Il soupira faiblement, observant sa main tâchée, avant de relever son regard vers la jeune femme, avec un peu plus de sérieux.



Ses paroles restaient confuses. Il n'était même pas sûr de les comprendre lui même. Elles sortaient, et c'était tout. Sa folie, sa crise, ses visions, Aaron, sa solitude, bam, tous ses sentiments semblaient s'être enfoncés en lui. Pour l'instant il ne voyait qu'en face de lui cette jeune femme, si complexe, qu'il n'avait jamais vu ainsi. Ne jamais se fier aux premières impressions n'est-ce pas ? Il soupira faiblement, continuant de fixer la jeune Ariane avec toujours ce même regard de compassion, plus, d'affection même.

The pressure’s building with time
I made it up in my mind
I’ve got excuses for all these things that I tried in my life

Oui. Il l'aiderait, comme elle venait de l'aider. En quelque sorte, ils avaient besoin de l'un et de l'autre mutuellement. Elle avait besoin d'apprendre à extérioriser ses sentiments. Il avait besoin de remettre les siens en question. C'était complémentaire.

Il lui sourit faiblement, replaçant une de ses mèches de cheveux correctement, affectueusement. Voilà. Il s'était attaché. Bim, en deux minutes top chrono, il s'était pris d'affection pour cette petite rouquine. Il lui tapota doucement sur la tête. Son visage était encore humide, à cause des larmes, mais quelque chose avait changé en lui. Il se sentait reprendre un peu de force. Il avait eu besoin d'un déclic, peut-être. Mais restait à savoir si ce regain de vie était un simple espoir précaire, ou une nouvelle base fiable vers la Rédemption, la vraie, celle qui l'affranchirait de ses foutus péchés.