Le temps passe. Impossible à attraper, impossible à arrêter. Vautrais dans un fauteuil que j’avais trouvé, un livre ancien entre les mains, je ne pouvais m’empêcher de lire. Ce document ruisselait de connaissances que je m’efforçais de cumuler. Impressionnant... Même s’il n’était pas dans ma langue, je comprenais bien, voir même très bien. Je n’aurais sû dire depuis combien de temps j’étais ainsi plongée dans ma lecture. Chaque minute passe trop vite lorsque l’on a une occupation. Chaque heure est insaisissable. Comme le souffle du vent, comme la caresse de l’océan, rien ne nous échappe plus que le temps. Le silence règne en maître dans ces lieux, comme un seigneur sur ses terres. Et seul le bruit d’une page que l’on tourne le briser. Une attaque de plus comme pour affaiblir sa défense.

Soudain, un autre bruit. Insolite. La porte que l'on ouvre et que l'on referme, doucement, comme pour ne pas se faire repérer. Je referme mon livre, me redresse. Cela ne veut rien dire, pourtant je me méfie. Pourquoi ne pas vouloir que l'on sache sa présence ? Surtout que j'étais seule ici. A moins que la personne étrangère ne soit là pour commettre un vol, ou une dégradation, je ne voyais pas d'autres choix. Un doute, puis bientôt une certitude. Thibault... Jeune garçon de mon âge, plutôt mignon, que j'avais envoyé bouler il y à quelques heures à peine. Il n'avait pas apprécié. Il m'avait lancé un regard lourd de menaces silencieuses. Grand, d'un brun tirant sur le noir, la peau pâle, un piercing à la lèvre. Il en avait sûrement charmé plus d'une, mais ses manières de don juan ne m'avaient pas plu. Je me levais, silencieusement. Avec la grâce d'un chat, je me déplaçais sans bruits sur le sol parqué. Je faisais preuve de prudence, veillant à ne pas me faire repérer. Aucun grincement, aucun bruit de pas, même le souffle de ma respiration semblait éteint. J'avais appris à me mouvoir ainsi en observant Andromède, mon chat, décédé il y a quelques années.

Finalement, je l'aperçu. Il ne m'avait pas vu et semblait chercher quelque chose ici. Ou plutôt quelqu'un, pensais-je, avec un petit sourire forcé. Manque de chance pour lui, ce serait moi qui lui tomberait dessus et non l'inverse. Je l'observais. Il se mouvait lui aussi dans un silence presque absolu. Seulement, j'entendais sa respiration. Infime. Mais je l'entendais. Je me mis à le suivre, ombre furtive et insaisissable, se déplaçant avec autant de bruit qu'un chat marchant sur du velours. Nous nous approchions dangereuse du siège que j'avais déserté, quelques instants plus tôt. Mais je ne pouvais rien faire pour le changer de sa cible, il me repérerait après et je courrais un danger. Oui, effectivement j'avais facilement deviné qu'il ne nourrissait pas des intentions pacifiques à mon égard. Au mieux, il m'aurait frappée... Au pire je ne préférais même pas l'imaginer. Il fila vers le siège désert dès qu'il l'aperçut. Il vit le livre abandonné. Il savait que je l'avais repéré. Je le vis regarder de tout côté. Nouveau sourire mesquin de ma part. Et oui, mon grand, surprise ! Je retins un gloussement.

Je disparus derrière un rayon. Oh, je ne savais pas trop où aller et je savais que le quittant des yeux, ainsi, j'avais bien plus de chances de tomber sur lui. Mais bon. Autant m'éloigner un peu pour lui préparer un mauvais coup. Il fallait que je lui fasse un piège. Sans mon chien loup, j'étais relativement sans défense. Je n'égalais pas la force des hommes, je ne courrais pas plus vite que le vent et je n'avais pas un pouvoir fait pour l'attaque. Je ne pouvais compter que sur ma discrétion et ma ruse. Seulement je ne voyais pas. Je n'avais aucune idée. J'avais beau fureter autour des rayons en évitant soigneusement le beau gosse qui me cherchait, je ne trouvais pas d'idée. Me rendre ? Idée bien plus que stupide. Maintenant qu'il savait que j'étais là et que je me cachais, il serait bien pire qu'avant. Je l'avais humilié devant tous ses potes, lorsqu'il était venu me voir, près du lac. Il ne m'avait rien fait, car Ravage était avec moi et parce qu'il y avait du monde. Mais là...
La voix de Thibault retentit alors. Il ne me parlait pas. Il parlait à quelqu'un d'autres. Surement à son portable. Simple à deviner...

« Allô ? Ouais, tu pourrais venir ? Cte p*te me donne du fil à retordre, faut que jla coince. A deux sa sera bien plus simple... La bibliothèque, oui...Jm’en fou que tu sois occupé, tu te ramène maintenant... Ouai, j’taiderais après t’inquiète pas... A tout de suite. »

Dialogue de folie. Je devinais, grâce à ses pas qu'il s'était dirigé vers la porte de la bibliothèque pour m'empêcher d'en sortir. Bientôt j'aurais deux cassos sur le dos... Mais comment j'allais me débrouiller, moi ?... Appeler quelqu'un aussi ? Non, je me ferais trop rapidement repéré, au son de ma voix. Un sms ? Je n'avais le numéro de personne ici. Je me mordillais la lèvre inférieure tandis que j'observais Thibault dans un interstice entres deux bouquins. Bien sûr la salle n'était pas gardée par un adulte, nous n'étions que tous les deux. Bientôt trois avec son copain... Ma seule chance reposais sur le fait que quelqu'un débarque et me sauve la mise, si j'arrivais à le convaincre de ma bonne foi...