Et voilà encore Zachary qui déambule dans les couloirs. Comme chaque nuit, il est l'ombre qui tient les élèves dans leur chambre, emmitouflés dans leurs couvertures, tremblotant de froid et d'effroi. Si certains d'entre vous, chers élèves de Rédemption, ne vous en êtes pas rendus compte, c'est à cause de lui que vous avez peur. Où sont passés les rires ? Et les voix d'enfants ? La nuit est pourtant censée vous appartenir, vous, les jeunes âmes, les seuls qui pouvaient encore voir l'espoir dans la nuit la plus profonde.
Mais il n'y a pas un bruit.
Quelques respirations, quelques bruissement de draps. Et, bien sûr, les pas sûrs et lents du surveillant. Des pas de loups. Qui font peu de bruits mais sont tout de même là pour vous rappeler que vous n'êtes pas seuls et que le danger rôde.

La nuit, le centre est une forêt. Le loup rôde et les enfants perdus, abandonnés ou enfuis, en ont peur. Ils tremblent à chaque bruissement de feuilles, à chaque branche qui craque, croyant que le loup va les manger. Ils ont tort.
Le loup s'en fout.
Il y a, aussi, un autre danger, mais que personne ne perçoit. C'est l'ogre, chers enfants, l'ogre qui vit dans la maisons éclairés, là-bas, derrière la clairière. Il vous dit qu'ici vous serez en sécurité, ensemble, que vous serez heureux. Chez lui.
L'ogre ne veut que vous manger et le loup préfère marcher seul entre les arbres. Se perdre et hurler à la lune.
Le loup s'en fout, chers élèves, il n'a que faire de vous. Et malheureusement, de vos vies...

La nuit est déjà bien avancée quand Zachary emprunte les esclaiers du deuxième étage. Il a passé une grande partie de sa garde dans la chambre de Juliette. Il l'a regardée, il l'a écoutée. Il sort à peine et déjà elle lui manque.
" Juliette... " Ses lèvres bougent seulement et un nuage de buée apparaît devant son visage. L'espace d'un instant, ses yeux brillent d'un éclat vif dans la pénombre mais très vite, tout s'éteint. Il ne montre rien, il n'est rien. Il est invisible. Seulement une ombre perdue dans la nuit et le froid.
Il ne sait plus quoi lui dire à présent. Il s'excuse encore et toujours, elle pardonne encore et toujours. Combien de temps cela peut-il continuer ? Combien de temps peuvent-ils survivre à tout cela ?
Tout est de sa faute.
La frustration. La culpabilité. Il veut courir et hurler et frapper. Il n'en fait rien. Il n'est pas libre de ses mouvements, pas ici.
Pourtant il est seul...N'est-ce pas ?

Un bruit. Un bruit dans la nuit, cela faisait longtemps que ce n'était pas arrivé. Les élèves ont trop peur et trop froid pour oser, pour sortir. Sauf celui-ci peut-être...
Zachary accélère, suit son ouïe pour trouver la personne si peu discrète. Il entend une voix et son coeur se met à battre très, très vite. Il accélère encore et dit, pas trop fort pour ne pas briser l'atmosphère de la nuit : "Sélène ? Sélène, c'est toi ? "
Mais très vite il voit une chevelure claire, trop claire pour être celle de sa soeur et il s'arrête. Net. Son coeur bat encore mais le sourire qui commençait à venir s'installer sur son visage a bel et bien disparu. Devant cette inconnue, il n'est que le loup du Directeur, le surveillant de nuit. La terreur.
Son corps se tend, ses muscles de bandent, il se redresse. Il est grand et fort. Il est l'acier et il est impressionnant.

A-t-elle peur ? Dans la pénombre c'est dur à dire. Cet éclat, on dirait un sourire. Ne voit-elle pas le danger qui arrive à mesure que Zachary reprend sa marche vers elle ? Oui, elle sourie, de toutes ses dents. Une inconsciente.
Les instincts de Zachary reviennent, les instincts qui lui font tuer sans s'en rendre compte, sans remord. Il se replie en lui-même, dans cet endroit profond, enfoui, où tout va bien.
Visage fermé, poingt serrés. Menace noire.

Un grognement sourd. Un grincement de dents. Ses yeux flamboient.

Alors tu as peur ? Ne te voile pas la face, ça se voit dans tes yeux. Voyez-vous, chers élèves de Rédemption, Zachary est comme ça. Il peut inspirer la peur en un regard, en un mot. Il promet la mort par un grognement. Et les gens tremblent. Oh, oui ils tremblant. Comme des feuilles avant de tomber au sol, d'être piétiné. Et Zachary, avec un soupçon de dégoût pour son âme en peine, se dit qu'il aime assez ce tremblement; Ces lèvres, prêtes à pousser un cri, qui reste fermer, ces yeux qui se transforment en fontaine, tous les traits du visage qui se déforment. Tout ça grâce à lui.
Oui, Zachary est paradoxal. Il a deux Destins, deux vies, deux personnalité. Le coeur n'est-il pas séparé en deux ? Zachary l'est aussi. Et la partie qui prend le contrôle aunjourd'hui, c'est celle qui aime faire trembler, c'est celle qui se fout de la vie des autres.
Alors, petite impertinente, pourquoi n'as-tu pas peur ?

Zachary se sent outré, en colère. Cette petite fille, cette blondinette, ose lui sourire, ose l'approcher, ose lui parler sur ce ton-là ! Il pourrait partir et la laisser seule, ou simplement la mettre dehors mais il y a quelque chose qui l'en empêche. Il ne comprend pas, ce besoin de se venger, de lui faire comprendre. Il croyait qu'il n'était pas comme ça...Le pauvre, au fond de lui, il croit encore qu'il n'est pas un meurtrier. Il devrait savoir, depuis le temps, que ce genre de choses ne partent pas facilement. Elles restent ancrées en lui. Tous ceux meurtres, ces cris et tous le sang qu'il a versé; Ça l'a changé.
Alors quand la blonde plante son regard bleu dans ses yeux froids, c'en est trop. Trop.
La lame de métal pur commence à apparaître dans sa main. Il baisse la tête vers elle, ne sourit pas, non, il ne sourit pas, il la regarde seulement. Peut-être qu'il essaie de trouver des remords, ou sa conscience, dans les yeux bleus de la victime. Il ne voit rien.
Le loup a trouvé sa proie, petite impertinente. Et cette proie, c'est toi.
L'acier est froid contre sa peau. Et il ne ressent rien. Pas d'impatience, pas de peur. Rien, il est vide, si vide. Et si différent, différent de lui-même...
Tremble, jeune idiote, tremble car devant toi est la mort.


Et maintenant, elle a l'air d'avoir peur. Elle a du voir le couteau. Qu'elle a l'air terrifiée, cette jeune fille ! Si jeune, si pâle. Et ses yeux...Ses yeux !
Zachary se retire précipitament. Recule, recule jusqu'à heurter le mur derrière lui. Son crâne produit un bruit sourd contre la pierre, il n'a aucune réaction. Le couteau tombe au sol, avec un tintement clair qui lui vrille les oreilles. Puis, il disparaît. Il a l'air apeuré, Zachary, abasourdi.

Pauvre agneau...Voyez-vous, élèves de Rédemption, et toi, jeune fille perdue, vois-tu cet homme si seul, si triste. Si faible. Si le Directeur était là, oh! qu'il serait en colère ! Il serait furieux, bouillonnant de rage à la vue de son meilleur soldat, perdant la face. Mais il n'est pas là. Alors Zachary n'ose se relever, n'ose punir.
Qui es-tu Zachary ? Pourquoi est-ce si dur de tuer à nouveau ? Ton coeur d'acier, il a disparu ? Qu'as-tu vu dans ses yeux près de la mort ? Ta soeur, ton âme soeur, les deux peut-être. Et ça, juste ça à réussi à te détourner de ton devoir ?! Pauvre de toi, Zachary, tu es mal baré. Ouep, tu es mal barré.

Zachary contemple le dallage noir. Le froid fait de son souffle un nuage blanc. Il ne pleure pas mais dans cette pénombre, on pourrait prendre ce reflet de peut pour une larme. "Pourquoi faut-il que chaque acte que je fais soit si plein de conséquences ?" qu'il se dit. Il n'a pas tort. Si ça se sait...Si cela se sait, il n'ose même pas y penser.
Self-preservation.
La question de la fille, si impertinente, si stupide, si détestable sur le moment, lui revient en tête. Elle prend tout son sens à présent. Elle est si simple. Elle veut tout dire pourtant. Cette fille, elle a l'air d'avoir tout compris à la vie à Rédemption.
Il lui doit bien une réponse. Après tout, il a faillit la tuer...
" Je suis là...Car je ne peux pas partir. Contrairement à toi. Tu devrais fuir."
Fuir, loin de lui, loin du Directeur. Fuir, oui car ici la mort approche. Et si Zachary refuse d'êtres son messager, elle en trouvera un autre, tu peux en être certaine, petite fille.
"Tant que tu le peux encore."

Zachary sort de sa torpeur, une seconde ou plus. Et elle est là. Sa victime, encore en vie. Cette poupée courageuse, qui a réussi à éveiller sa conscience, à faire de lui un homme meilleure, pour un instant. Il la fixe, des larmes dans les yeux. Tout est flou, mais sa voix...sa voix est claire. Les paroles pénètrent son esprit tout entier, l'envahissent.
"Il ne tient qu'à vous de cesser d'être un monstre... Il n'a pas le droit de faire de vous un tueur... Personne n'en a le droit..."
"Elle a raison, non ? Il ne tient qu'à moi...Mais je n'ai pas la force, le courage. Je suis...Je suis déjà perdu, perdu. Dans les ténèbres, dans la nuit, perdu dans la propre image que j'ai de moi. Je suis un monstre."
Le droit ? Pourquoi parler de droit ? Il n'a plus de droit, que des devoirs. Le devoir de sauver Sélène, le devoir de sauver Juliette. Le devoir de continuer à vivre, juste pour elles, le devoir de ne pas laisser tomber, de faire tout ce qu'il faut, même s'il faut tuer, même s'il faut massacrer. Même s'il faut devenir un monstre. Ca en vaut le coup.
Ou tout du moins...Ca en valait le coup. Mais à présent ? A présent, il est perdu dans ses propres doutes. Il a perdu de vue qui il était, son but. Il a oublié comment sourire, comment aimer vraiment, il a oublié comment tuer.

La jeune fille a disparue. Sa trace est toujours là. Une empreinte de main, des mots flottant dans la nuit. Elle a disparue comme elle est arrivée, un ange. Il lui a suffit de quelques mots, d'une rencontre au hasard, pour tout changer.
Oui, il y a des choses, comme ça, qui arrivent. On se sait pas pourquoi, on se comprend pas. Il y a des choses qui arrivent, et qui nous changent, nous sauvent.
Après ce soir, Zachary ne sera plus le même. Après ce soir, Zachary aura pris conscience de ses actes, de ses erreurs. Le monde va changer, son monde au moins. Ce ne sera pas facile. Lutter contre ses instincts. Lutter contre le Directeur. Lutter contre le loup, en lui. Mais tout cela c'est pour demain. A présent, Zachary sombre de nouveau dans l'oubli. Le sommeil le prend et il se sent faible, si faible. Il croit avoir fait une nouvelle erreur. Il a tort, bien sûr qu'il a tort. Tout va bien à présent...Il m'écoute enfin.