* Laisse moi tranquille ...

- Jamais, mon chère. Jamais. Qu'est ce qu'il t'arrive ? *

Birdsall défilait autour de lui tandis qu'il marchait à travers ses rues. Il avait les yeux braqués devant lui, mais son regard était vide. Il regardait sans toutefois voir. Qu'est ce qu'il faisait là ? Bonne question. Aucun besoin particulier ne l'avait mené hors des murs de Rédemption ni une quelconque envie de fuir quelqu'un ou quelque chose se trouvant à l'intérieur ou le pensionnat en lui-même. Non, tout était dû à une impulsion. Subitement l'envie de marcher lui avait prit et c'est ce qu'il faisait donc. Marcher. Heureusement pour lui cette impulsion lui était venu après qu'il se soit habillé et il ne se baladait pas tout nu dans les rues de la petite bourgade. Comme toujours il portait des vêtements à la fois simple et classe. Pantalon, chemise, veste et fedora, le tout en noire, venaient donner la touche de simplicité tandis que leur couture stylisé et leur matière rare et couteuse venait rajouter un peu, beaucoup, de classe. Que de la marque, des chaussettes au couvre-chef en passant par ses sous-vêtements. Rien d'étonnant pour un Stark. Mais avoir de beaux vêtements ne suffit pas, il faut également savoir les porter et dans ce domaine là Alaric excellait. Tout semblait être accordé au millimètre près pour donner un effet d'harmonie complet. Il faut dire aussi qu'il avait eu l'un des meilleurs maîtres en la matière: Roy Bennedict, son majordome, chauffeur, assistant, mais aussi et surtout ami. Cet homme avait acquis une tel maîtrise de l'art de se vêtir que même lorsqu'il était en tenu de sport il arrivait à paraître classe.

* J'en ai assez. Toutes ces règles, ces obligations, ces devoirs. J'en ai assez.

- Arrête de les suivre alors. *

Quelques personnes passaient près de lui, marchant eux aussi dans les rues de la 'ville'. Il en reconnu certains, aperçut au détour d'un couloir du pensionnat ou dans une salle de classe. Les autres devaient sûrement être des habitants de Birdsall. Que ce soit l'un ou l'autre, il arbora son sourire habituel, celui qu'il montrait toujours en présence d'autres personnes, qu'il soit en colère ou en pleine euphorie, et les salua tous d'un hochement de tête accompagné d'un bref mais courtois "Bonjour". Il n'avait pourtant aucune envie de le faire. Au contraire il aurait préféré rester silencieux et les ignorer. Mais quoi qu'il fasse, quelle que soit ses envies, ses habitudes et don éducation venaient toujours prendre le dessus sur le reste.

* Je ne veux pas. Je ne peux pas. Je ne doit pas. *

Tout aussi soudainement que l'envie était venue, elle disparut. Il n'avait plus du tout envie de marcher. Mais que faire ? Où aller ? Tout ce qu'il voulait maintenant c'était s'allongé quelque part et se reposer. Arrêter de penser. Plonger dans la douce inconscience que le sommeil apportait. Retourner à Rédemption ? Non. Il ne trouverait aucun repos là-bas. Cet endroit ne faisait qu'alimenter la folie qui le prenait lentement. En ville ? Il n'avait jamais visité Birdsall depuis qu'il était arrivé au pensionnat, mais une petite ville comme ça devait bien avoir un lieu où il serait tranquille. Un parc, une ruelle vide, un cimetière, n'importe quoi qui soit calme et désert.

* Tu te complique tellement la vie. Pourtant rien n'est plus simple.

- Et tu as une solution peut-être ? Tu as la réponse à la grande question, de la Vie, de l'Univers et du reste ? Toi ?

- Oui ou du moins pour la partie 'vie'. Parce que après tout je suis la mieux placé pour la connaitre, n'est-ce pas ? *

Quelques pas plus tard, il trouva exactement ce qu'il cherchait. Le parc. Pour une fois la chance lui avait sourit. A première vu l'endroit était relativement vide. Parfait. Il foula l'herbe de ses magnifiques chaussures Tod's noir. Le parc n'était pas bien grand, mais cela serait suffisant.

* Et tu serais prête à me la révéler ?

- Bien sûre ! Mais ce n'est pas quelque chose qui puisse se 'dire'. Je peux te la montrer par contre. Il suffit que tu me fasse confiance et ...

- Non ! Plus jamais ! Va t-en ! Tout de suite !

- Mais ...

- Je ne le dirais qu'une seule fois. Laisse moi en paix. Ne me force pas à le faire. *

Silence, enfin. Pourquoi aussi peu de gens savent profiter du silence ? Ils ne comprennent pas. Ils ne comprennent jamais rien. Alaric se trouva un petit coin d'herbe tranquille et s'y assit, ne faisant pas plus attention à ces vêtements que cela. Il n'en avait même plus la force. Il était tellement fatigué. Un peu de repos et tout irait mieux ... Mais rien ne va jamais mieux. La loi de Murphy l'explique parfaitement. "Si quelque chose peut mal tourner, alors cette chose finira infailliblement par mal tourner.". C'est exactement ce qui aller arriver, il le savait, il le sentait au plus profond de lui. Tout irait mal.

* Sacré Murphy. En voilà un qui a tout compris à la vie. *

Alaric tourna lentement la tête vers la personne qui venait de lui parler. Magnifique était le mot approprié pour décrire la jeune femme tout comme le sourire qu'elle arborait. Son style vestimentaire était pour le moins spéciale, mais cette touche de folie très originale ne faisait que la rendre un peu plus attrayante. Elle possédait tout ce qui était nécessaire pour séduire n'importe quel homme et si Alaric avait été dans son état normal peut-être que même lui se serait laissé tenter. Mais ce n'était pas le cas. Il était trop fatigué. Tout ce qu'il voulait était un peu de repos, mais le destin semblait tout faire pour le lui refuser. Quand donc aurait-il droit à un peu de répit ? Son sourire commença lentement à refaire surface et il s'apprêta à se lever. Les habitudes. Encore et toujours les mêmes habitudes.

* Arrête. Ne bouge pas.

- Je peux t'aider.

- Je t'ai dit de t'en aller ... *

Finalement Alaric resta assit mais l'hésitation qu'il eu avait été flagrante. Il hocha tout de même la tête en direction de la jeune femme. Voilà tout ce dont il était capable. S'empêcher de se lever. Rien d'autre. Comment en était-il arrivé là ? Et cette fatigue omniprésente ... quoi qu'il fasse elle ne disparaissait jamais, toujours planqué dans un coin de son esprit quand elle ne la remplissait pas totalement comme aujourd'hui. Son subconscient, prit d'une soudaine pulsion masochiste et décidé à lui rendre la vie plus lamentable qu'elle ne l'était déjà, répondit à la jeune femme. Sa voix ne fut pas différente de d'habitude, calme et posée, mais même la fatigue pouvait quand même être sentit derrière chacun de ses mots.

« Alaric Aegis Gwolou Stark, pour vous servir. Enchantée. »

* Pitoyable. Regarde-toi. C'est vraiment ce que tu veux être ?

- Va t'en ... Lâche ... moi. Je n'ai ... pas ... besoin ... de toi ...

- C'est inutile, tu le sais très bien. Tu as à peine assez de force pour te contrôler physiquement et tu espères pouvoir le faire mentalement ? *

Un nouvel assaut. Ses habitudes frappaient maintenant à coup de bélier aux portes de l'esprit du jeune homme. Ce n'était plus qu'une question de temps avant que ses maigres défenses ne tombent. Qu'arrivera t-il alors ? Murphy ? ... Sans aucun doute.

« Que me vaux le plaisir de votre présence, mademoiselle ? »

* Laisse-moi t'aider. Tout ira mieux après. Fait moi confiance.

- S'il te plaît ... arrête ... *

De pire en pire. Ce qu'il montrait physiquement et ce qu'il ressentait mentalement ne pouvaient être plus éloignés l'un de l'autre qu'ils ne l'étaient déjà. Mais tant qu'il arriverait à garder la face avec la jeune femme tout irait bien. La dernière chose dont il avait besoin était que quelqu'un s'aperçoive de l'état dans lequel il était réellement.

Alaric rit nerveusement. Ce fut aussi soudain qu'étrange venant de sa part. Le rire commença très lentement en un murmure quasi inaudible, mais se fit de plus en plus fort, comme si, quel que soit le ou les sentiments derrières celui-ci, il ou ils étaient en train de s'accumuler de plus en plus. Et c'était effectivement le cas. Il était difficile pour les gens de s'imaginer à quel point Alaric tenait à ne rien révéler de lui-même. Pour tout dire, si ce n'était pour sa volonté, ou incapacité selon les cas, de ne pas vouloir paraître impoli, il ne parlerait à absolument personne.

Voilà que cette jeune femme sortie de nulle pars l'abordait sans raison apparente et lui disait qu'elle pouvait entendre la moindre de ses pensées, qu'elle avait libre accès à ses secrets les plus intimes, qu'elle savait. Le fait que tout cela puisse être faux et qu'elle ne possède pas les pouvoir qu'elle prétendait avoir n'avait aucune importance. Oh, bien sûr, avoir des pouvoirs n'avait rien d'étrange lorsqu'on savait ce qui se trouvait à Rédemption, mais cela ne voulait pas dire que tout Birdsall en avait également. Quand bien même elle pouvait lire dans l'esprit de quelqu'un, peut-être que c'était limité aux pensées de surface. Rien de ceci n'avais d'importance maintenant, car la seule idée que cela puisse être vrai, cette possibilité que quelqu'un ai pu lire en lui comme dans un livre, suffisait. La graine avait été plantée. Et elle grandissait à une vitesse impressionnante.
Alaric s'arrêta de rire et plongea son regard dans celui de la jeune femme. Ses pupilles n'avaient pas changé de couleur, comme c'était le cas à chaque fois qu'il était prit d'une émotion forte. Au contraire, elles étaient teintées d'un marron très clair, voir trop, comme si un voile blanc se trouvait devant eux.

* Laisse-toi emporter par le courant de mon amour pour toi, petit frère. Laisse-toi aller dans ma douce embrasse. Car je suis là pour toi. Je serais pour toujours ta chère soeur et je ne laisserais jamais rien ni personne changer cela. *

Elles s'échappèrent pour la première fois en six ans de leurs prisons, glissant délicatement contre l'arrête du nez, poursuivant leurs chemins à travers les méandres des traits de son sourire, toujours figer sur son visage, pour finir par s'immobiliser quelques instants sur la falaise former par son menton. Elles restèrent là pendant ce qui sembla être une éternité. Puis vint la chute. La longue et douce chute dans le vide. C'était la fin de leurs périples. La fin de leurs calvaires. La fin de tout. Et tout du long ses pupilles s'obscurcissant lentement. Le voile blanc tombant pour laisser place à un abysse sans fond.

* ... Merci ... *

Et ainsi Alaric se laissa aller mentalement. Il oublia tout. Ne pensa plus à rien. Et les ténèbres vinrent lentement entourer son esprit. Une mère enlaçant son fils pour le protéger. Pour qu'il reste à tout jamais avec elle. A tout jamais son fils. Sa possession.

Alaric sourit. Ce n'était plus le sourire triste qu'il arborait quelques instants plus tôt ou encore un de ces faux sourires qu'il avait l'habitude de montrer. Non, celui était un vrai sourire, car on pouvait sentir le bonheur derrière lui. Mais ce n'était pas Alaric qui était heureux. Il était enfin libre de tous ces devoirs et obligations, libre de ces besoins matériels, libre de tout. Il était enfin en paix, mais il n'était pas heureux. Ce bonheur ne venait pas de lui, mais des ténèbres qui résidaient à l'intérieur de lui.

Ces ténèbres auxquelles Alaric c'était abandonné complètement. Ces ténèbres qui contrôlaient maintenant le corps du jeune homme dans le seul et unique but de le protéger. Les ténèbres appartenaient maintenant à Alaric tout autant qu'il appartenait aux ténèbres. Ils étaient deux tout en ne faisant qu'un. Chacun avait ses propres pensées mais celles-ci étaient pourtant les mêmes. C'était une relation simple et complexe à la fois. Harmonieuse et malsaine. Quelque chose de voulu, mais qui a été forcé.

« Je suis moi-même bien sûre. Qui veux tu que je sois d'autre ? »

Le jeune homme accompagna ses paroles d'une délicate caresse de ses doigts sur la joue de la jeune femme. Son esprit, ou plutôt leur esprit, était dénué de toutes pensées. Il ne subsistait que des sentiments. Pour une fois depuis un long moment, il n'était pas ensevelit sous une avalanche de pensées. Il ne disait pas de choses qu'il n'avait aucune envie de dire, ne faisait rien qu'il ne voulait pas faire.

Il garda ses yeux braqués sur elle. Ses pupilles étaient peut-être d'un noir profond, mais ils étaient aussi plus ... ouverts. C'était comme s'il n'y avait aucunement besoin de lire dans son esprit pour savoir ce qu'il pensait. Tout était dans ses yeux. Et on ne voyait absolument rien. Mais on pouvait ressentir quelque chose. Il s’en dégageait un certain sentiment de sérénité. Et si ce n’était pour cette sensation, on aurait pu croire que l’esprit d’Alaric était mort, qu’il n’était plus qu’un simple réceptacle vide, un corps sans esprit.

« Tu veux savoir qui je suis vraiment ? Tu veux savoir ce qu'il se passe ? »

Le jeune homme sourit de plus belle, mais cela n'avait rien d'amical. Comment peut-on avoir l'air amical lorsqu'un halo sombre vous entour et que vos yeux sont aussi noir qu'une nuit de nouvelle lune ? Le fait qu'il commence à parler d'une voix grave et profonde n'arrangea pas les choses, loin de là.

« Je suis l'Alpha et l'Omega, le commencement et la fin. Je suis l'éternel Vide qui donna naissance à toutes choses et destiné à tout engloutir jusqu'à qu'il ne reste de nouveau plus rien.

Quand cela commencera, les cris des enfants se feront entendre - comme si provenant d'une grande distance. Une orbe sombre va croître haut dans le ciel et de là sortiront un millier d'ombres affamés. Et quand je glisserais à travers cette ouverture dans ma vraie forme, vous n'attraperez qu'un aperçu de mon éclat avant d'être incinérés sur place.

Puis, tandis que des larmes noires ruisselleront le long de mon visage, mon sombre travail commencera. J'ouvrirais l'une de mes six bouches et je chanterais la chanson qui mettra fin à ce monde. »

Tandis qu'il parlait le monde entier sembla prendre vie soudainement. Malgré le fait que le ciel soit dégagé et qu'il n'y avait aucun nuage à l'horizon, il fit de plus ne plus sombre autour d'Alaric et de la jeune femme. Les ombres des arbres alentours s'obscurcir et s'animèrent, faisant passer le petit parc de Birdsall pour une forêt hantée. L'ombre du jeune homme s'éleva littéralement du sol et se tint derrière son propriétaire. Mais elle ne se contenta pas de rester sur place, elle grandit petit à petit tandis qu'autour d'elle d'autres ombres s'assemblaient. Puis celle de la jeune femme, rester immobile depuis le début, s'évapora en une fumée noire et fut absorbée par la gigantesque ombre. Les autres ombres s'évaporèrent également et subirent le même sort. Et lorsque l'ombre fut assez grande pour remplir tout le parc à elle seule, la nuit tomba sur les deux jeunes. Plus que la nuit, c'était les vraies ténèbres. L'absence totale de lumière.

Pendant quelques instants plus rien ne se passa - plus rien de visible en tout cas - jusqu'au moment où un rire vint remplir le silence de la scène. Comme si ce rire était une lance brisant les ténèbres et la vision cauchemardesque qui venait de s'installer, tout revint à sa place. Les ténèbres disparurent, les ombres reprirent leurs places et formes, le ciel reprit sa couleur naturelle. C'était comme si rien de tout cela n'était réellement arrivée. Alaric quant à lui était toujours assit par terre, le halo sombre ayant disparu, mais il était maintenant légèrement penché en arrière et riait aux éclats.

« Hahahahaha ! Excuse-moi, je n'ai pas put m'empêcher de faire cela. C'était simplement hilarant ! Hahaha ! J'ai reprit ça d'une de ces vieilles bandes dessinées que mon oncle regardait sur son rétroprojecteur quand j'étais petit. Ca parlait de choses étranges comme une invasion d'alien sous les ordres d'un cucurbitacée noire géant, venu détruire la Terre. La seule chose que j'ai retenue de ce film fût ce monologue. J'ai toujours voulu le ressortir un jour ou l'autre, mais je n'en ai jamais eu l'occasion ... avant aujourd'hui ! Hahahaha ! »

Il fallut quelques instants à Alaric pour se remettre du fou rire qui l'avait prit, mais même s'il s'arrêta de rire au bout d'un moment, il arborait toujours un grand sourire, celui-ci beaucoup plus chaleureux que le précédent.

« Tu n'entends plus de pensées et tu veux savoir pourquoi hein ? C'est très simple. Les pensées sont inutiles. Tout comme les mots, ils sont ... Hmmm ... c'est assez dur à expliquer en faite. Ah ! J'ai une idée ! Je vais te chanter une chanson, peut-être que tu comprendras mieux alors. »

Alaric se releva. Il sorti de la poche de sa veste un petit lecteur mp3 noire et les écouteurs allant de pair avec celui-ci. Après quelques manipulations sur l'écran tactile de l'appareil il plaça ses écouteurs autour de son cou, les laissant pendre là et ferma les yeux quelques instants. Lorsque la musique commença, les petits écouteurs s'avérèrent être assez puissants pour que celle-ci puisse être clairement entendu. Alaric ouvrit les yeux pour les fixer à nouveau sur ceux de la jeune femme et commença à chanter en rythme avec la musique, connaissant les paroles par coeur de cette chanson des Depeche Mode bien que la musique soit la version remasterisée par Mike Shinoda du groupe Linkin Park. Mais Alaric ne se contenta pas de chanter et accompagna les paroles par de petits gestes pour accentuer leurs significations.

Depech Mode - Enjoy The Silence

Lorsque la musique s'arrêta enfin, Alaric se tenait accroupit à quelques centimètres devant la jeune femme, un léger sourire au lèvres et la fixant toujours du regard.

La peur. A la fois douce et mortel. Il n'y a aucune honte à avoir peur, toute créature consciente ressent cette émotion. La peur de perdre quelque chose, la peur de la mort. Mais elle fait aussi partie de notre instinct de survie. C'est elle qui nous pousse à fuir lorsque le danger nous guette, que ce soit un à cause d'un prédateur ou d'une catastrophe. Pourtant, il ne faut pas grand-chose pour que cette peur devienne fatale, qu'elle nous paralyse et nous rende impuissant. Alaric pouvait ressentir la peur qui émanait de la jeune fille devant lui, il pouvait en quelque sorte le sentir dans l'air qui l'entourait. Pour lui qui pensait maintenant par le biais de sentiment c'était aussi facile et inné que de respirer.

- Je me sens seule. Mon esprit est totalement vide.

Ces mots blessèrent Alaric mieux que ne l'aurait fait un couteau en plein coeur. Des bribes de son passé lui revinrent à l'esprit.

~~~


Seul. Je suis seul. Non. Ils sont là aussi. Ils sont là pour leur affaire habituelle. Ca n'a plus d'importance. Un coup de poing au ventre. La douleur est là, mais elle ne m'atteint plus. Un autre coup de poing, au visage cette fois. Encore une fois la douleur surgit, mais elle glisse sur moi sans m'affecter. Ils s'énervent. Prévisible. Ils commencent à s'armer de ce qu'ils trouvent par terre, bout de bois, barre de fer - la ruelle en est remplie. Ils frappent encore et encore et encore. Et je reste là, immobile si ce n'est pour l'effet de chaque coup qu'ils me portent. Aucun cri ne sort de ma bouche - je ne ressens rien après tout. Une barre de fer vient me frapper violemment la jambe et me fait tomber par terre. Mon visage heurte le sol dur et du sang commence à dégouliner de mon nez. Ils frappent toujours, plus vite, plus fort. Je suis comme un étranger dans mon propre corps. Je me demande brièvement pourquoi et la réponse me viens naturellement à l'esprit.Je suis vide. Rien de ce qu'ils font ne peut m'atteindre, car il n'y a rien à atteindre. Il est mort et je suis seul. Seul et vide.


~~~

Pendant un instant le monde sembla vaciller sous les yeux d'Alaric. Le souvenir même de cette nuit il y a si longtemps de cela menaçait de le submerger dans un torrent d'émotions. Pendant un très court instant des pensées resurgirent dans son esprit. C'était chaotique, il y en avait de partout et ils se mélangeaient entre eux pour ne laisser au final qu'un flot totalement incompréhensible.

Puis un drap de ténèbres vint recouvrir ces pensées et tout redevint calme. Alaric fixa la jeune femme devant lui. Il observa la larme couler le long de sa joue. Il tendit lentement la main vers son visage et essuya délicatement cette larme avec un air triste. Il ouvrit légèrement la bouche et un murmure en sorti. Sa voix était calme, rien d’étonnant à cela car elle l’était toujours, mais elle était aussi très apaisante, tout comme les ténèbres l’étaient … lorsqu’elles étaient bien utilisées.

« Je sais. Je comprends. Désolé. »

Le jeune homme s'assit dans l'herbe en face d'elle et passa une main sur son visage avant de soupirer brièvement. La journée avait été longue pour Alaric et c'était la première fois qu'il prenait le temps de se poser quelques instants pour assimiler tout ce qui venait de lui arriver.

« J'ai l'impression que tout ceci est 'parti en couille' comme qui dirait. »

Il rit brièvement avant de se racler la gorge et reprendre un sourire aux lèvres.

« Tout d'abord, j'aimerais te dire merci. Sans toi je n'aurais jamais pu régler mon problème et il était plus que temps qu'il le soit. Je m'excuse aussi pour t'avoir effrayé ainsi. Disons que c'est dû à l'excitation du moment. Ahah ! Pour me faire pardonner et pour te remercier de ce que tu as fait pour moi, même si c'était sans aucun doute involontaire, je répondrais à toutes les questions que tu dois sûrement te poser sur tout ce qu'il vient de se passé. »

« Quand est-ce que tu me redonnera mes pensées ? Qu'est-ce que tu es ? J'ai senti quelque chose dans ton esprit, qu'est-ce que c'est ? Pourquoi t'as fait ça, hein ? Si tu me comprend si bien ? Rends moi mes pensées ! Et en quoi je t'ai aidé à réglé tes problèmes ? »

« Oulà ! Du calme, du calme ma chère, pas besoin de s'énerver, une question à la fois. Te rendre tes pensées ? Si je puis me permettre ce sont 'mes' pensées pour commencer. Ensuite, je pourrais bien me forcer à le faire si ça te fait plaisir mais ça restera différents des pensées que tu dois avoir l'habitude d'entendre. »

Alaric souleva son fedora d'une main et repoussa ses cheveux en arrière de l'autre avant de reposer le chapeau. C'était un geste simple et anodin, mais qui avait l'avantage de lui permettre de cacher son visage avec son fedora pendant quelques instants. Ainsi le léger sourire jaune qu'il eu en rapport avec la question suivante passa inaperçu le temps qu'il reprenne une expression faciale normale.

« Ce que je suis ? Ah, voilà une question compliquée. Comme je n'arrête pas de te le dire je suis moi, Alaric Stark, un simple élève de Rédemption et tout ce qui va avec. »

* Que ce soit le meilleur ou le pire. Quoi que j'ai surtout montré le pire, alors pourquoi pas une petite démonstration ? *

Il tendit sa main, vide, vers la jeune femme et claqua des doigts. Un bouquet de fleurs apparut dans sa main. Il sourit et le jeta dans les airs. Les fleurs se transformèrent en une myriade de papillons noirs qui s'envolèrent dans tous les sens, laissant dans leur sillage de minuscules particules de ténèbres, retombant délicatement au sol tel de la neige. Dans la main du jeune homme il restait toutefois une rose noire qu'il déposa dans le creux de l'oreille de la jeune femme.

« Ce que c'est ? ... Hmm ... C'est assez difficile à expliquer. C'est une partie de moi, de mon pouvoir, en quelque sorte. Mon problème venait du fait que je ne m'en étais pas rendu compte ... »

* ... Que je ne voulais pas m'en rendre compte plutôt. *

« Tu m'as en quelque sorte forcé à prendre une décision et tout va bien maintenant grâce à ça. Si j'ai agi 'étrangement' après ça c'est parce que tu m'as justement forcé à choisir. Hahaha ! »

* Donc on pourrait dire que d'une certaine façon tu n'as fait que récolter ce que tu as semé. *

« Enfin bref ! Tu me poses toutes ces questions, mais je n'ai pas encore eu l'occasion de faire de même maintenant que j'y pense. Est-ce que je pourrais au moins savoir ton nom ? »

« Mélissandre ? C'est un très joli nom qui te va à merveille. Bouquiniste tu dis ? Ca tombe bien j'adore lire. Je ferais sûrement un tour par ta boutique très bientôt, je n'ai pas encore eu l'occasion de me procurer de nouveaux livres depuis que je suis ici et la vie est morne sans le plaisir de la lecture, n'est-ce pas ? »

* Oh ! J'espère qu'elle aura la suite de 'A Song of Ice and Fire', je l'attends depuis des lustres ! Oh ! Oh ! Et aussi le dernier tome des 'Annales de la Compagnie Noire ! Et puis il y a aussi la suite de 'The Lost Fleet', celle de 'A Tale of the Malazan Book of the Fallen' ou encore la fin de 'The Wheel Of Time' ou le tome que je n'ai jamais réussi à trouver du 'Cycle d'Ender' ! 'L'assassin royal', 'Les aventuriers de la mer', 'La trilogie de l'Elfe Noire', 'la Symphonie des Siècles', le 'Cycle des Rigantes' ... il y en a tellement. Ce serait magnifique si je pouvais tous les trouver ici. Qu'est-ce que je dis, même un seul d'entre eux me suffirait. *

Les pensées revinrent plus facilement que Alaric ne l'aurait cru. Mais il faut dire que la littérature est l'un des rares vrais plaisirs dans la vie du jeune homme. Parmi toutes les choses qu'on lui avait appris à faire - et cela fait beaucoup, beaucoup de choses si on considère l'éducation qu'Alaric a eu en tant de membre de la famille Stark - les livres et la musique - l'écoute seulement, jouer ne lui déplaisait pas, mais se poser quelques instants au calme et écouter un morceau de musique n'a pas son pareil - étaient les seules activités qui arrivaient à lui faire ressentir quelque chose.

« Il n'y a rien de mieux que de lire un bon livre autour d'une bonne tasse de thé tout en écoutant de la bonne musique. Quoi que, la tasse de thé, la musique me suffisent si on y ajoute une charmante compagnie. Qu'est-ce que tu en dis ? Et puis si tu acceptes, peut-être te laisserais-je fouiner un peu dans mon esprit. Mais je ne garantis pas que ce que tu y trouves soit d'un grand intérêt pour toi. »

Alaric sourit chaleureusement à Mélissandre et remercia intérieurement son père pour ses conseils avisés sans lesquelles il n'aurait jamais pensé à emmener une partie de sa réserve personnel de thé avec lui aujourd'hui. Non pas qu'il doute de la qualité du thé qu'il aurait pu trouver ici à Birdsall, mais il préférait tout de même être paré à toute éventualité.