La mort lui fait peur.
C'est si définitif. Si triste aussi. Et pour une fois, cette tristesse qu'elle ressent, ce pincement au cœur, est vraiment le sien. Oui, pour une fois Eleonore ne fait pas que ressentir la peine d'un autre, elle a des émotions, de vraies émotions. Elle souffre. En silence, doucement et sans vraiment l'oser. Mais quand même : elle souffre.
Car ce matin, Eleonore est passée devant le cimetière de Birdsall. Par curiosité, elle est entrée. Par curiosité, elle a regardé une tombe, presque neuve. Aucune fleur, aucun ornement. Seulement un nom et des dates. Froid et concis. Et les larmes ont commencé à couler sur ses joues blanches. Car ce nom, elle le connaît. C'est- C'était- celui d'un élève de Rédemption. Elle se rappelle de lui, très bien. Son visage s'est effacé de son esprit, mais tout le reste, TOUT le reste est encore ancré en elle.
Elle a vu son âme.
Et, à présent, se demandent-elle, où est partie cette âme qu'elle connaissait par cœur ?
Réponse : Elle a été détruite.


Vivre, c'est souffrir ? Probablement. Et ça elle s'en doutait déjà en réalité. A force de voir les cœurs et les âmes de chaque être humain qui croise sa voix, Eleonore commence à avoir compris la leçon. Tout le monde a mal, tout le monde a déjà été blessé. Même elle, même si elle n'a jamais pu le voir. Même si personne ne l'a jamais vu.
Ses grand yeux bleus cachaient son mal de vivre.

Pas aujourd'hui. Aujourd'hui les grands yeux inquiétants sont emplis des lourdes larmes. Et la belle jeune fille est perdue. Perdue dans un grand cimetière vide, perdue entre les tombes de centaines de personnes qu'elle a connu. Qu'elle a vu. Elle ne leur avait jamais parlé, à peine regardé. Pourtant elle connaissait leurs rêves et leurs espoirs. Elle pouvait voir qui ils serraient, qui ils deviendrait. Leur passé lui brûlait les yeux tandis que les possibles de leur futurs, leurs grandes âmes en puissance, se frayaient un chemin dans son esprit.
A présent tout ce la est réduit à néant.

Eleonore n'arrive pas à faire le deuil. Voyez-vous, d'ordinaire, on pleure les morts car leur absence nous pèsent, car ils nous manque, car on ne sait pas si on peut continuer à vivre sans eux. C'est une douleur égoïste, certes, pourtant, le fait est qu'elle est là et qu'elle nous plonge dans le désespoir, nous plonge dans le noir le plus profond. Puis le temps passe, et peu à peu on se fait à cette absence. On se réveille un matin et on voit la lumière.
Le problème pour Eleonore, c'est qu'elle n'est pas égoïste. Ces dizaines de personnes mortes au printemps dernier, ne lui manquent pas. Elle les détestaient, pour la plupart. Sa peine est celle d'une petite fille qui découvre ce qu'est la mort. Et qui comprend.
C'est fini, ces gens ne reviendront pas. Et tout ce qu'ils ont été est effacé de la surface de cette Terre. Et personne ne saura jamais qui ils sont. Ils n'ont pas eu leur chance, on ne leur a pas laissé le temps. De vivre, de changer, d'être.
Eleonore est la seule qui se souviendra de cela. Elle est la seule qui détient leurs secrets, elle est la seule qui saura jamais leur âme. Elle est la gardienne des morts.


Et la seule chose qu'elle arrive à penser, c'est : Pourquoi ? Comment la vie peut elle disparaître ainsi, si soudainement ? Ces personnes, si complexes, si pleines de vie, de pensées, de peurs, de goûts...Peut-on vraiment effacer tout cela aussi facilement ?
Peut-on vraiment rester un simple nom sur une tombe pour le reste de l'éternité ?