Le vent soufflait légèrement, faisant doucement flotter un long manteau noir sur le bord du toit de Rédemption. La nuit était tombée depuis peu et les lumières du pensionnat ainsi que ceux de la ville c'étaient peu à peu allumer dans leurs maigres tentatives de repousser l'obscurité. Une figure se tenait en équilibre sur la rambarde, immobile si ce n'est pour le mouvement de ses cheveux face au vent. Ses yeux bougeaient de droite à gauche, tentant de percer l'obscurité. Tenter ? Oui, c'est ce que la plupart des gens auraient fait. Mais Alaric n'avait pas besoin d'essayer pour voir à travers l'obscurité. Pour lui tout était aussi clair que si le jour était encore levé à quelques détails près. La différence entre le jour et la nuit n'était qu'un simple passage d'un monde plein de couleur à un monde en noir et blanc, comme si le contraste de "l'écran" qu'est ses yeux était passé au minimum.

Mais ses yeux n'étaient pas la seule chose qui lui permettait de voir. Les murs de la chaufferie se trouvant derrière lui étaient tout aussi visible à son esprit que le hibou qui survolait la forêt devant lui. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il se trouvait sur le toit de Rédemption et non dans son enceinte. Car pour lui, les couloirs illuminés du pensionnat le rendait en quelque sorte aveugle au monde autour de lui tandis que les ténèbres lui offrait une liberté et une sensation unique et exquise ... Au point de devenir une dépendance. Chaque fois que le jour se levait il devenait incroyablement irritable pendant quelques heures, avant qu'il ne s'habitue une nouvelle fois à cette cécité. Oui, Alaric devenait irritable, une chose difficile à croire mais vraie tout de même. Et lorsque l'obscurité reprenait une nouvelle fois sa place dans le monde, il se sentait libéré de ce fardeau invisible qui l'avait suivi toute la journée.

La majorité des gens évitent la nuit car elle leur fait peur et qu'ils ne peuvent pas voir. D'autres l'aime pour la sensation de solitude que l'incapacité de voir leur procurait. Qu'est-ce que cela faisait de lui qui s'y réjouissait car il n'y avait que dans la nuit qu'il pouvait réellement voir, qu'il se sentait réellement vivant ? Rien qui ne sorte de l'ordinaire si on considère toutes les autres personnes aux pouvoirs étranges vivant au sein du pensionnat.

Ces pensées, ou plutôt le flot d'émotions qui avait prit la place de ses pensées dernièrement, commençaient à s'éloigner de la plénitude qu'il avait ressentit quelques instants plus tôt, lorsque la nuit était enfin tombée. Il fallait remédier à cela. Un léger mouvement du poignet et un couteau en argent gravé se trouvait dans sa main. Il se souvenait encore du jour où son frère lui avait appris comment faire et de sa joie quand il avait lui-même réussit à reproduire le geste quelques semaines et des heures d'entrainement plus tard. Ces dernières émotions commençaient vraiment à menacer de faire fuir le peu de sérénité qu'il ressentait encore. Il porta le couteau à sa main droite et se taillada légèrement le bout de son annulaire droit à l'aide du couteau, tenant sa main droit devant lui pour éviter de tâcher sa bague d'arme.

Le sang commença à couler, goutte par goutte. Alaric se concentra sur chaque goutte, suivant leurs parcours des yeux et de l'esprit. Il suivi leur descente vertigineuse des trois étages qui composaient Rédemption jusqu'à leur impact sur le ... sol ? Non, ce n'était pas le sol, les gouttes venaient s'écraser sur le balcon du premier étage. A quelques mètres de l'endroit de leurs impactes se trouvait deux jeunes filles apparemment en pleine discussion. Elles étaient trop loin pour qu'il puisse les distinguer clairement, mais assez proches pour que son autre perception y arrive. Bien sûr il ne pouvait percevoir que des formes, ce n'étaient pas de vrais yeux après tout mais simplement ce qu'il ressentait à travers les ténèbres, comme si l'obscurité était en faite des mains lui permettant de toucher - non pas que cette métaphore ne puisse pas devenir réel non plus. L'une des jeunes filles lui était inconnue, mais en ce qui concernait l'autre, il aurait pu reconnaitre sa silhouette entre mille.

L'idée de descendre les escaliers et d'aller lui parler lui traversa l'esprit et c'est sûrement ce qu'il aurait fait si une autre idée, bien plus intéressante n'était pas venu pointer le bout de son nez. D'un mouvement tout aussi léger et rapide que le premier il rangea le couteau dans sa manche, avança et ... tomba. Le vent sifflait à ses orreiles tandis que le balcon se rapprochait de plus en plus de lui. A aucun moment il ne cria ni ne se débâtit, se contentant de se maintenir droit, et sourit légèrement. Arriver à quelques mètres du balcon, quelque part à mi-chemin entre le deuxième et le premier étage, les ténèbres se concentrèrent et se matérialisèrent en dessous de lui, ralentissant sa chute comme s'il était tombé dans une gelée traditionnelle anglaise, le goût horrible et la couleur affreuse en moins. Ses pieds touchèrent le sol sans aucun bruit et les ténèbres se dissipèrent aussi vite qu'elles étaient apparues. Pendant sa chute, la capuche de son manteau s'était rabattu sur sa tête, ne laissant voir que quelques traits de son visage. L'homme vêtu tout en noir, encapuchonné et qui venait tout juste de tomber du ciel s'avança donc vers les deux jeunes filles et leurs adressa la parole.

L'excitation de sauter dans le vide et un léger rire de la part d'Alarya et tout rentrait dans l'ordre. Son esprit était de nouveau calme, une rivière coulant lentement le long d'une douce pente, sa surface quasiment lisse si ce n'est pour le mouvement de l'eau. Alaric enleva sa capuche, laissant voir un grand sourire à ses lèvres tandis qu'il observait sa cousine. La façon dont elle avait parlée à la jeune femme l'avait un peu surpris mais d'une bonne manière. Quelques jours plus tôt il aurait réagi différemment, mais il avait laissé tout cela derrière lui. Se tournant vers la dénommée Ellen, il hocha légèrement la tête.

- Alaric Stark, pour vous servir. J'espère que je ne vous dérange pas mesdemoiselles. Je vous ai remarqués de là-haut et je me disais qu'un peu de compagnie en cette nuit ne me ferait pas de mal.

Ce qui n'était pas totalement vraie, car il n'était venu chercher que la présence de sa cousine. Il n'avait absolument rien contre Ellen, mais il n'était pas du genre à se lier d'amitié avec quelqu'un dès la première rencontre, bien que son attitude puisse parfois montrer le contraire. Mais étant donné que les deux jeunes femmes étaient en pleine discussion, ou du moins arriver au stade des présentations, avant son arrivée et que l'atmosphère ne semblait pas tendu, il lui laissa tout de même le bénéfice du doute.

Levant les yeux au ciel, Alaric admira les étoiles et la lune. Même s'il ne se sentait vraiment à l'aise que dans les ténèbres profondes, le ciel de nuit avait quelque chose de magique et son regard se tournait vers celui-ci à chaque fois qu'il se perdait dans ses réflexions. Toutefois, bien que la lumière des astres ne le gène aucunement, il en était tout autre de la lumière artificiel. Alaric s'avança vers la rambarde et sauta sur elle, tournant sur lui-même pour faire face à la porte qui séparait le couloir du balcon.

- Comme je le disais, c'est une magnifique nuit, dit-il d'une voix mystérieuse, comme celle d'un magicien sur le point de faire un tour de magie. Une nuit si belle qu'il serait dommage, voir criminel, de la gâcher avec autant de lumière, n'est-ce pas ? Hé bien tout ce qu'il nous reste à faire c'est ..., s'exclama t-il un peu plus fort tout en levant les mains en l'air.

Un claquement de doigt et c'est le noir total. Toutes les lumières, que ce soit celles du couloir, celles provenant des chambres ou encore celles des différentes salles qui avaient des fenêtres sur cette façade du bâtiment, cessèrent instantanément d'émettre de la lumière, plongeant le balcon et une partie de Rédemption dans les ténèbres.

- D'éteindre les lumières !

L'air froid s'insinua rapidement dans ses poumons et en ressortit sous forme de fumée blanche, laissant derrière elle une sensation exquise. La fumée stagna quelques instants dans l'air avant d'être emportée par la brise qui souffla sur les trois jeunes gens rassemblés sur le balcon en cette nuit, tirant quelques tremblements de certains. Descendant délicatement de son promontoire, Alaric se défit de son long manteau de cuir et, s'approchant de sa cousine, lui enveloppa ses épaules de celui-ci. Il fit ensuite de même avec sa veste et Ellen, accompagnant son geste de quelques mots.

- Il serait dommage que vous attrapiez froid, n'est-ce pas ?

Tout ce qu'il restait au jeune homme était une simple chemise noire, rien de bien résistant face au froid glacial d'une nuit d'hiver. Mais c'était sans compter la présence des Ténèbres. Ces dernières vinrent littéralement draper son corps, formant une réplique parfaite du manteau dont il venait de se défaire. Le plus étonnant était peut-être que tout cela n'était en rien l'oeuvre d'Alaric. Comme à leurs habitudes lorsqu'il était dans les parages, les ténèbres avaient agi de leurs propre chef. Une personne normale aurait pu trouver cela déconcertant, mais pour lui qui avait été habituée toute sa vie à avoir un serviteur à ses côtés, il n'y avait rien d'inhabituel à ça. Retournant à la rambarde, il se contenta cette fois de s'adosser légèrement à elle.

- Excusez-moi si mon arrivée vous à quelque peu surpris, j'ai toujours tendance à "m'oublier" un peu lorsque la nuit tombe. Il est si facile de se laisser emporter par sa beauté parfois ...

De là où il se tenait il pouvait distinguer clairement le visage des deux jeunes femme. Mais Alaric connaissait déjà celui de sa cousine par coeur et sa présence seul lui suffisait. Curieux de connaitre un peu mieux Ellen, ou du moins savoir ce qui avait poussé Alarya à engager une discussion avec elle, il se concentra donc sur cette dernière. L'un des grand avantage de la nuit était la discrétion qu'elle apportait et avec la Lune dans son dos, il était sûr de pouvoir l'observer sans que personne ne le remarque. L'observation. C'était une occupation à laquelle Alaric s'adonnait souvent avec ces camarades de classe. Il est toujours intéressant et parfois prudent, de connaitre les gens que l'on côtoie tous les jours comme le disait souvent son père. Mais ce n'était pas la seule raison pour laquelle il faisait cela. Il était également à la recherche de personnes remplissant certains critères. Il avait déjà ainsi repéré deux élèves de Rédemption, mais cela n'était pas suffisant. Pas s'il espérait un jour mettre son plan à exécution.

Il continua d'observer les deux jeunes femmes mais l'attention d'Alaric se trouvait ailleurs. Il ne savait pas quoi, mais quelque de familier semblait sortir des mots d'Ellen. Quelque part dans son inconscient une petite lumière s'était allumée, mais sa signification restait encore obscure ... Pour l'instant. Décidé à en avoir le coeur net, le jeune homme se détacha un peu du monde réel et plongea dans ses pensées.

* Reprenons depuis le début. Tu connais son nom. Ellen Chase. Un nom commun en somme. Son visage ne te dis rien, tu ne la donc probablement jamais rencontrée. Ensuite ... ses origines. Le Devon. Il y a bien plusieurs personnes que tu connais qui viennent de là-bas mais d'un autre côté tu connais beaucoup de monde à travers l'Angleterre. La plupart font partie de la noblesse anglaise bien qu'il y a quelques exceptions. Hmmm ... continuons. Deux frères. Andrew, Christopher. Attends. Ellen, Andrew et Christopher Chase ... tu as déjà entendu ça quelque part ... Oh ! *

Alaric releva la tête, son visage s'éclairant tout d'un coup. Il savait exactement pourquoi cette sensation de familiarité lui était venu maintenant. Tout cela semblait peu probables, mais le jeune homme avait vu trop de choses improbables voir impossible devenir réalité ici, à Rédemption, pour être surpris par cette notion. Revenu à la réalité, il remarqua que la jeune fille avait continuée de parler. Une petite fouille dans les méandres de sa mémoire lui permit de retrouver sans problème ce qui s'était dit. C'était une compétence qu'il avait développée durant les soirées mondaines organisées par sa famille et qu'il avait trouvé très précieux pour éviter d'offenser certaines personnes en avouant n'avoir prêté absolument aucune attention à ce qui s'était dit.

Les raisons de sa venu à Rédemption ... Contrairement à la plupart des personnes présentes au pensionnat, Alaric savait parfaitement qu'il existait d'autres personnes doté de pouvoir dans le monde. Alarya ainsi que ses deux serviteurs, Nathan et Noah, en étaient les preuves vivantes. Aucun d'eux n'avaient cachés aux autres leurs pouvoirs pour la simple et bonne raison qu'il n'y avait aucune raison pour le faire, ou plutôt que les raisons habituelles de le faire n'étaient pas valides dans ce cas-là. La peur d'être rejeté à cause de notre différence, de ne plus être aimé par les êtres qu'on chérit plus que tout au monde, d'être incompris. Tout cela avait été impossible car les liens qui unissaient Alaric et ses serviteurs, et de même le lien entre le jeune homme et Alarya, était bien trop puissant pour se laisser ébranler par des notions aussi simples que celles là. Il n'avait été aucunement surpris en recevant la lettre de Rédemption. Une école pour personnes dotés de pouvoir hors du commun était tout à fait logique. Mais ce besoin d'être parmi des gens comme lui ne lui était pas venu, car il vivait déjà en présence de telles personnes. Non, ce qui l'avait vraiment décidé à venir ici était le regard que ses parents lui portaient. Un regard portant les traces de peur et d'ignorance. Un regard qu'il avait su supporter lorsqu'il venait de personnes qu'il ne connaissait pas ou peu, mais qui avait été d'autant plus blessant lorsqu'il venait de ses propres parents. Alaric avait donc pris la première occasion qui se présentait à lui pour fuir, aux côtés de sa chère cousine et c'était retrouvé ici.

Toutefois, il n'avait aucune envie de discuter de cela. Il était venu rejoindre les deux jeunes femmes afin d'alléger un peu son humeur et il avait réussi. Replonger dans une semi-mélancolie en parlant des raisons de son arrivée au pensionnat n'était pas dans ses plans. Apparemment il était temps pour lui de s'éclipser et de laisser les deux jeunes femmes à leur discussion. Le tout était de le faire avec classe. Il lui fallait une sortie tout aussi spectaculaire que son entrée après tout. Alaric s'éloigna de la rambarde avec un grand sourire et sa voix lorsqu'il parla avait, en plus de son calme et élégance habituelle, une trace de mystère qui passait difficilement inaperçu.

- Une question intéressante ma chère, mais je crains de ne pas avoir le temps d'y répondre car le devoir m'appelle. Ne prenez pas cela mal, après tout, la famille de mes amis sont mes amis, mais il y a des choses qui n'attendent pas malheureusement.

Il leur tourna le dos et sauta, de nouveau, sur la rambarde, observant les horizons tandis qu'autour de lui une aura obscure prenait forme, comme si les Ténèbres prenaient vie à son contact ... ce qui est exactement ce qui était en train de se passer.

- Passez mon bonsoir à Mardy de ma part si vous le voulez bien. Et dites lui que j'espère que notre prochaine rencontre sera beaucoup moins sanglante que la précédente. Ahahah !

Le jeune homme tourna la tête une dernière fois dans leur direction, un grand sourire aux lèvres et fit un léger clin d'oeil à l'attention d'Alarya ... avant de sauter dans le vide. L'écho de son rire se répandit à travers la nuit, se faisant de plus en plus légers avant que le silence reprenne sa place. Tout redevint normal l'espace de quelques instants. Mais Alaric avait loin d'en avoir fini comme il le démontra lorsqu'il réapparut, monté sur le dos d'un faucon noir géant, zébré de longues lignes d'un pourpre sombre luisants comme des néons. Ses yeux perçant étaient deux orbes noir comme la nuit avec deux points rouge sang pour ce qui faisait office de pupilles. La créature ouvrit la bouche en direction d'Alarya et Ellen et le son qui en sorti avait tout du cri habituelle du rapace qu'il était censé être, sa puissance proportionnelle à la taille de la bête. Assit confortablement sur son dos, quelque peu à l'avant des ailes, Alaric fit un léger signe de la main aux deux jeunes filles. L'instant d'après, le faucon s'élevait majestueusement dans les airs, propulsé par deux puissants battements d'ailes qui balayèrent le balcon du pensionnat et disparaissant dans les ténèbres de la nuit.

[HRP : Un peu, beaucoup, trop, en retard mais mieux vaux tard que jamais n'est-ce pas ? Et si ce n'était pas assez claire, oui je part à la fin du post donc vous êtes libres continuer toute les deux ^^]