Depuis quelques temps déjà, je dirais peut-être deux bonnes semaines, souvent je me surprenais à marcher sans but perdue loin dans mes pensées. J’étais mélancolique et ce matin en me levant, je m’étais rendue compte de la raison de toute cette tristesse légère qui m’avait envahie. La date approchait, celle qui avait fait basculer ma vie à tout jamais, celle qui m’avait amenée en Angleterre et envoyé dans un foyer où je n’étais pas vraiment la bienvenue. Quelle importance? Aucune évidemment. Enfin, pour moi, cela en avait! Mes sentiments, mes pensées profondes, je les gardais pour moi en général. Je passais pour une fille intelligente mais sans cervelle… Je m’en sortais toujours très bien en cours, mais il m’arrivait régulièrement de jouer les idiotes superficielles. Ça m’amusait et les gens sans importance n’avait pas à savoir qui j’étais vraiment, ça ne les regardait en rien. Quelques personnes m’avaient découvertes sous mon vrai jour, une fille un peu plus réfléchie que ce que je laissais entrevoir. Je me remémorai en marchant tranquillement ma vie d’avant, la vie que j’avais à Québec. Nous n’avions pas grand-chose, mais nous étions heureuses et le rire peuplait notre vie. Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de cette époque, j’étais bien trop jeune et cela m’attriste. Je me rappelle de l’appartement miteux dans lequel nous vivions, je me rappelle de son sourire et de ses beaux cheveux noirs comme l’ébène. C’est à peu près tout. Le reste des images venaient de photographies que je gardais précieusement dans ma garde-robe sous une pile de vêtements, bien cachées. Je n’avais aucune crainte de me faire voler, mais je ne voulais pas que quelqu’un d’autre que moi ne puisse poser les yeux sur ces clichés si précieux, pour l’instant du moins.

Des notes jouées sur un piano me sortirent de ma torpeur. Une voix grave s’élevait dans le couloir malgré le brouhaha constant des élèves qui marchait d’un pas vif. Je suivis la musique et me retrouvai rapidement devant la salle de musique de Rédemption. Je posai l’oreille sur le battant de la porte et me mit à sourire doucement. Sortant mon magnétophone, j’appuyai sur enregistré et l’appuyai doucement sur la porte. Je savais que c’était un mec qui jouait et chantait mais je ne reconnaissais pas sa voix. Je restai derrière un long moment. J’aimais cette chanson qu’il jouait, je l’aimais vraiment beaucoup. À chaque fois que je l’entendais, elle m’envahissait et m’apaisait. Pourquoi? Je n’en avais absolument aucune idée, mais c’était ce qui se passait à chaque fois. Aujourd’hui, c’est cette chanson si douce qui m’avait sorti de mes pensées mélancoliques et me faisait sourire à nouveau. J’étais bien devant cette porte à me demander qui pouvait bien avoir une voix si belle. Un combat intérieur se mit en marche. Une partie de moi voulait vraiment savoir qui il était afin d’avoir une chance de l’entendre chanter à nouveau, et l’autre était désireuse de garder le secret afin de pouvoir en rêver encore. Laquelle de ces deux parties allaient gagné? La curiosité l’emporterait-elle? Presque sans aucun doute, je dirais que oui.

Après quelques instants de combat intérieur, je posai ma main sur la poignée. Prenant une grande inspiration, je la descendis avec lenteur pour pouvoir me glisser sans bruits dans la salle. Je ne voulais pas déranger l’artiste pendant sa représentation solitaire. Mon magnéto toujours allumé, je me glissai dans la pièce et refermai la porte. Je regardai l’étudiant qui jouait. Il ne m’avait pas entendu entrer. D’où j’étais, je le voyais de profil. Son visage détendu et emporté par la musique, ses yeux fermés me firent sourire. Je regrettai de ne pas avoir mon appareil photo avec moi, ça aurait fait un magnifique cliché. La chanson arrivait à sa fin et je ne pouvais quitter des yeux ses doigts qui couraient sur le piano. J’étais un brin jalouse, j’avais toujours rêvé d’être capable de jouer d’un instrument de musique, mais je n’en avais jamais eu l’occasion. En réalité, j’aurais certainement pu le demander à ma tante… mais je ne proposai jamais rien, j’acceptai ses propositions si elle m’en faisait mais c’est tout. J’étais mal à l’aise avec son argent, même si c’était également le mien maintenant.

Je frissonnai agréablement aux dernières notes jouées, la dernière phrase. La chanson était finie, mais le silence planait dans la salle et je ne voulais pas le briser tout de suite. Emportée par sa chanson, j’avais voyagé loin de Rédemption, dans mes souvenirs. J’avais repensé aux photos, je les ressortirais ce soir en rentrant à la chambre. Je souriais, rayonnante. M’avançant d’un pas dans la pièce, je me mis à parler d’une voix basse et douce. Je ne voulais pas le faire trop sursauter vu que j’étais presque sûre qu’il ne m’avait pas du tout entendue entrer. J’avais les yeux brillants, j’avais failli pleurer durant sa représentation solitaire. J’étais vraiment heureuse d’être passée par là, de m’être arrêtée, d’avoir enregistré… Ce soir, je pourrais le réécouter chanter et jouer pour me calmer et m’apaiser. Lui dirais-je que je l’ai sur cassette? Je n’en étais pas sûre, j’aurais peur qu’il ne veuille pas que je garde la cassette… Mais bon, s’il voit l’appareil, je n’allais pas non plus mentir ou le cacher.

Tu joues magnifiquement bien…

Tout en parlant, j’éteignais l’appareil. Je n’enregistrai jamais une conversation sauf d’un commun accord. Le regardant un peu plus en détail, je me rendis compte que je l’avais déjà croisé à quelques reprises. Il était plus âgé que moi de quelques années, il me semble qu’il doit être en terminale. Je l’observe un moment, il est plutôt mignon. Je me mords doucement la lèvre et reprend.

Je suis un peu indiscrète… Désolée de m’être incrustée. Mais je t’ai entendu depuis le couloir et je n’ai pas pu résister. J’aime beaucoup cette chanson.

Je lui souris doucement. Je ne suis pas vraiment une fille hyper timide… Même pas du tout le plus souvent. Et pourtant aujourd’hui, j’étais quelque peu intimidée par celui qui me faisait face.

Quand il se retourna pour voir qui avait parlé, je lus la surprise sur son visage. Il ne m’avait pas entendue entrer dans la pièce comme je m’en étais doutée. Il n’avait pas l’air vraiment convaincu par le compliement que je lui fis. Bon okay, c’est vrai qu’il ne l’avait pas joué non plus parfaitement bien, quelques fausses notes ici ou là avait percé. Mais cela avait-il vraiment de l’importance? Non pas vraiment, du moins pas pour moi. J’aimais la musique, mais j’aimais aussi l’imperfection… C’était le fardeau de l’Homme et je le trouvais charmant. Il me remercia en hésitant un peu puis je m’excusais un peu de mon intrusion, même si je n’étais pas vraiment désolée d’être entrée. Je n’avais pas vraiment l’habitude de m’encombrer de politesse inutile… j’étais toujours, enfin le plus souvent, correct et polie, mais parfois je dépassais les bornes et m’incrustai! Comme aujourd’hui un peu. J’espérai quand même que ce n’étais pas un mec bourru et désagréable, il n’en avait pas l’air mais les surprises pouvaient toujours être au rendez-vous lors d’une première rencontre. J’eus enfin droit à un beau sourire. Il était charmant, je suis presque sûre que c’était un tombeur… enfin j’en savais rien, mais j’aimais me faire des films dans ma petite caboche pour essayer de deviner quel type de personne j’avais devant moi au niveau du caractère et de la perception des autres.

Oui, moi aussi j’aime beaucoup cette chanson. Et ne t’inquiète pas, je n’ai pas l’habitude de jouer devant quelqu’un, mais il faut bien un début à tout, même si le public n’est constitué que d’une seule personne.

Il me fit un clin d’œil pour ponctuer sa phrase. Je lui fis un large sourire. Il avait l’air d’être quelqu’un d’extraverti et cela me plaisait. J’avais toujours du mal avec les gens trop coincés… les faire parler, ça allait au début mais je me lassai vite. J’allai commencer ma slave de questions comme d’habitude quand il me prit de court. Il marquait des points en étant un peu bavard. C’était toujours plus facile de faire connaissance quand vous êtes deux à parler.

Au fait, je m’appelle Damon. Et toi qui est-tu? Je t’ai croisée dans les couloirs, mais nous n’avons jamais eu l’occasion de faire connaissance.

Damon, ce nom me disait vaguement quelque chose, mais impossible de savoir où je l’avais entendu… enfin je savais que c’était ici à Rédemption, mais à quel sujet? Absolument aucune idée, je m’en souviendrais peut-être plus tard, si ma mémoire digne revenir me voir. Je souris en l’entendant dire qu’il m’avait croisée dans les couloirs, j’aimais savoir que je ne passais pas inaperçue. Je l’avais aussi croisé à quelques reprises dans les couloirs, il m’intimidait un peu quand même. Mais ce n’est pas ça qui va vraiment m’empêcher de faire ma curieuse et ma bavarde… Il faut avouer que je suis quand même flattée qu’un élève plus âgé m’ait remarqué… même s’il m’a juste aperçu au croisement d’un couloir, je sais pas, je suis flattée et ravie.

Camellya, ravie de te rencontrer… J’ai aussi souvenir de t’avoir croisé une ou deux fois. Tu es en Première ou en Terminale?

A vrai dire, j’étais presque sûre qu’il était en Terminale, mais bon… il ne fallait pas non plus trop qu’il se rende compte que je savais. Il ne fallait pas non plus qu’il croit que je m’intéressais à lui. Pas que ce soit pas le cas, enfin! Disons que je le trouvais mignon, mais ce n’était pas ça qui faisait que je savais en quelle années il était. J’avais juste la chance d’avoir la mémoire des visages. Il me suffisait de croiser quelqu’un pour me rappeler de son visage, après ça ne garantissait pas que je me souvienne d’où je l’avais croisée, mais bon. Je lui souris et m’assied sur une des chaises, un pied replié sous moi. Je le regarde un moment puis continue, je suis curieuse… ça, c’est un défaut que j’ai sans aucun doute…

Tu joues depuis longtemps au piano?