Les flocons tombant doucement dans une danse hypnotique, la Lune, pleine et rayonnant de sa douce clarté, les branches nues des arbres craquant sous la petite brise qui soufflait sur le parc de Birdsall et le crissement de la neige sous ses pas. Le monde entier semblait résonner en coeur avec la délicate symphonie qui émanait de l'instrument de musique posé sur l'épaule d'Adelheid. Ses cheveux flottaient au vent et sa robe ondulait légèrement tandis que ses mains s'activaient sur le violon. Tout ce quel portait en cette nuit d'hiver était cette simple robe noire qui laissait ses épaules et ses bras dénudés, en proie au froid qu'on pouvait s'attendre en cette période de l'année. Mais pour la petite Adel ce n'était rien, elle qui était habituée à bien pire dans les climats peu hospitaliers de sa Norvège natale. Elle avait toujours un sourire lorsqu'elle voyait les habitants de cette petite ville habillés des pieds à la tête, au point de ressembler à des légumes géants sur pattes, pour se protéger de ce qu'elle considère comme une température de printemps. Il lui arrivait même de rire en voyant la tête que certains faisaient en la voyant elle, aussi peu habillée et se baladant comme si de rien n'était.

Adel ferma les yeux, laissant la musique guider le flux de ses pensées comme elle le faisait si souvent. Combien de nuit avait-elle passer dans ce parc à remplir le silence par ses mélodies ? Combien de fois s'était-elle perdu comme ça dans ses songes, laissant les heures défiler comme des étoiles filantes tandis qu'elle reposait là, dans la neige - ou l'herbe, ou un tas de feuilles, selon les saisons - n'ayant que les cieux pour seul toit ? Et encore une fois cette nostalgie du passé, du temps où elle vivait en Norvège avec sa famille et où tout était normal. Où tout allait bien. Cela faisait maintenant quatre ans et à chaque fois, pendant l'hiver, cette même nostalgie refaisait surface, un peu plus prenante à chaque fois.Les souvenirs de sa famille se faisaient de plus en plus vagues, elle n'arrivait presque plus à se souvenirs de leurs visages si ce n'est celui de sa soeur. Et elle redoutait le jour où même cela lui serait enlevé.

A mesure que le flot de ses pensées suivait un cours plutôt mélancolique, la mélodie suivait la même courbe. C'est un lien mutuel, la musique guidait son esprit là où il désirait aller sur le moment et son humeur guidait la musique par ce qu'elle lui faisait ressentir. Certains auraient appelés cela un cercle vicieux, mais cela n'avait rien de vicieux. Elle aimait ressentir ces émotions et plus elle étaient profondes et puissantes, qu'elles soient triste ou joyeuses, plus elle les appréciaient.

Le mouvement de l'archet et de ses doigts sur les cordes se firent de plus en plus rapide rendant les sons un peu plus chaotique tout en restant dans le même ton que ce qu'elle jouait précédemment. Etrangement - ou pas - le vent commença à souffler plus fort comme s'il était vivant et qu'il dansait en rythme avec les notes. Son pouvoir, pourtant si volatile quand elle essayait de le contrôler, semblait, en cet instant, suivre parfaitement sa volonté, ou du moins celui de son subconscient. Elle trouva quelque chose de calmant à ce phénomène - c'est-à-dire plus que d'habitude - et le rythme de la musique se fit une nouvelle fois plus lente, les notes devenant plus longues et prolongées pour finir avec une finale, qui ne s'arrêta que lorsque son archet ne put plus continuer. Laissant tomber ses bras le long de son corps, le violon et l'archet avec, un sourire à la fois triste et joyeux se traça sur des lèvres rosées par le manque de chaleur.

Un léger crissement de neige provenant de derrière elle brisa le silence qui s'était installé après qu'elle eu finit de jouer sa dernière note et que le vent s'était calmé. Son visage s'illumina d'un vrai sourire. Il n'y avait qu'une seule et unique personne pour l'instant qui venait l'accompagner lors de ses escapades nocturnes et les nuits où il faisait son apparition devenait magique. Elle ne connaissait ni son nom, ni ce qu'il faisait dans la vie ou quoi que ce soit d'autre à propos de lui, car ils n'avaient jamais prononcé de mots lors de leurs rencontres. Mais malgré cela ils parvenaient à communiquer parfaitement leurs sentiments et leurs pensées au travers de la musique. A chaque fois il venait avec un instrument différent de la nuit précédente, mais quel que soit l'instrument qu'il utilisait, il en jouait à la perfection au point de se demander s'il était réellement de ce monde et non pas juste une création de son esprit. Bien qu'elle se soit souvent posé cette question, Adelheid n'avait jamais osée s'en assurer par peur de briser irrémédiablement ce lien qu'ils partageaient. Au final qu'importe qu'il soit réel ou imaginaire, la joie qu'elle ressentait lorsqu'ils jouaient ensemble était réel elle et c'est tout ce qui comptait pour la jeune fille.

C'est donc en s'attendant à voir "l'Homme en Noir", comme elle aimait l'appeler dans son esprit et parce qu'il était quasiment toujours vêtu de noir des pieds à la tête, qu'elle se retourna joyeusement, faisant encore une fois virevolter les pans de sa robe. Pendant une fraction de seconde, lorsqu'elle remarqua que ce n'était pas lui, la déception s'insinua dans son esprit. Jusqu'au moment où elle remarqua les cheveux roux flamboyant de la jeune femme, illuminées par la faible clarté de la lune, qui se tenait devant elle. Le sourire figé sur son visage, elle ne bougea pas, comme si elle était paralysée par la vue qui se présentait à elle. Puis, tout doucement, une larme commença à couler le long de l'une de ses joues. Elle fut bientôt suivi d'une autre ... et encore une autre, jusqu'à ce que les petites gouttelettes se transforment en un petit ruisseau glissant délicatement contre l'arrête du nez, poursuivant son chemin à travers les méandres des traits de son sourire pour finir par s'immobiliser quelques instants sur la falaise former par son menton où elle resta là, pendant quelques instants fugaces, avant de choir de son promontoire et finir sa course dans la neige. Lorsqu'elle parvint enfin à ouvrir la bouche c'est une voix faible, proche du murmure qui en sorti.

« Wil ? ... Wilhemine ? »

Semblant enfin libéré de cette paralysie qui l'avait si soudainement prise, Adel fit quelques pas en avant en direction de la jeune femme. Laissant tomber son archet à terre, elle tendit, très lentement, sa main vers un visage qui lui paraissait si familier. Mais, alors que ses doigts n'étaient plus qu'à quelques centimètres de toucher la peau pâle qui ressemblait tellement à la sienne, elle s'arrêta. Le même dilemme que pour l'Homme en Noir se posait à elle. Est-ce que l'être qui se tenait devant elle était réel ou simplement le fruit de son imagination ? Est-ce que c'était vraiment sa soeur qui se tenait là, ou avait-elle seulement perdu l'esprit ? Mais, tout comme pour l'Homme en Noir, elle ne voulait pas savoir. Elle ne voulait pas risquer de briser ce moment en se rendant compte que ce n'était qu'une hallucination et qu'elle venait de sombrer dans un stade de folie profonde. La jeune fille rétracta donc lentement sa main, tremblante sous l'émotion, se contentant d'observer silencieusement la silhouette, réel ou pas, de sa grande soeur.