___Le bal de Noël. Rien qu’à repenser à ces quelques mots, elle se demandait pourquoi diable elle avait décidé d’y aller. Ces derniers temps elle avait été loin, très loin, du genre de fille qui passe des heures dans la salle de bain en cherchant quel rouge à lèvres irait le mieux avec tel fard à paupière. S’il valait mieux tracer un trait de crayon sous les yeux, ou peut-être uniquement en haut, voire même la couleur dudit trait. Du blanc pour agrandir les yeux, du noir pour un meilleur effet si l’on misait dans un look plus « smooky eyes »… Bref, des sujets typiquement féminin à ne pas en douter, à moins que l’on soit androgyne. Des sujets parfaitement superficiels à ses yeux, bien qu’elle ait du se remettre dans le bain le temps d’une soirée.
___En plissant les yeux pour mieux analyser le moindre détail de son reflet, une seule pensée lui venait à l’esprit : elle avait du mal à se reconnaître. Ou plutôt, de retrouver son « elle » actuel. Ses cheveux avaient eu droit à une petite séance chez le coiffeur, brave homme qu’ils n’avaient plus côtoyé depuis des mois. Sauf qu’il s’agissait là d’une femme, à qui elle a eu la bonne idée de laisser carte blanche. D’auburn ils étaient passé à noir, la lumière blafarde ne lui donnant aucun reflet brun mais bien bleu/mauve. Lissés à la perfection, ils étaient coiffés de sorte à ce qu’aucune mèche rebelle ne vienne la perturber durant la soirée. Il n’y a rien de pire que de passer le plus clair de son temps à remettre en place ses cheveux derrière son oreille. Même si la coiffeuse avait vu un peu long sur le devant et que c’était déjà la quatrième fois en dix minutes qu’elle remettait sa frange en place. Au moins, elle aurait essayé d’éviter ce désagrément, hm…
___Quant au maquillage, elle n’en avait jamais autant pris soin. Déjà lors d’une soirée avec quelqu’un que l’on connait on fait attention, mais alors là... Pas la peine de s’étaler deux heures sur combien de retouches elle a du faire ni le temps que ça lui a pris. La seule chose qui comptait, pour elle, c’est qu’elle n’avait pas perdu la main et savait toujours se mettre en valeur. Pas qu’elle soit du genre prétentieuse sur son physique, mais elle se savait mignonne. Belle avec les années même. Et là, tandis que son reflet lui renvoyait un petit sourire en coin, elle se trouvait craquante. Aucun narcissisme, juste un plaisir certain de se retrouver. Non la Ana timide qui essayait de se cacher derrière une mèche trop longue, mais celle sûre d’elle qui marchait droit en fixant devant elle et non en détaillant le sol.
___Toutefois, il n’y avait pas d’illusion à avoir : quand elle aura quitté la pièce cette assurance la quittera aussi vite qu’elle était apparue. Ou elle ne sera qu’un masque. Un voile passa dans les yeux de son double qui bien vite se baissèrent vers l’évier, tandis qu’un juron parvenait à sortir entre ses dents serrées. D’un coup elle comprenait mieux Brittany, son ancienne amie qui était du genre à se cacher derrière elle quand elle le pouvait. Peut-être devrait-elle essayer d’appliquer les conseils qu’elle lui avait donnés ? Oui, voilà… Cette soirée était l’occasion parfaite.

___Après quelques vérifications de dernières minutes et un sourire encourageant à son reflet, elle se dirigea vers le couloir non sans oublier de récupérer le paquet emballé sur le lit. Chose rassurante : elle avait beau ne pas avoir porté de talons depuis un moment, elle ne manquait pas de se casser la figure tous les deux mètres. En revanche, pour l’escalier… Héhé…
___Angoissée par un simple ensemble de marches ? Parfaitement. Dieu que cela faisait superficielle ! Mal assurée au début, elle finit néanmoins par retrouver le rythme, comme toute jeune femme qui avait passé des années à porter ces instruments de torture. Comme qui dirait c’est comme la bicyclette, ça ne s’oublie pas ! Fière d’elle plus que de raison, une fois arrivé à l’escalier néanmoins elle haussa un sourcil en jugeant le nombre de marches. Outch… Ce qu’elle enviait les petites veinardes disposant et de la rampe, et du bras de leur cavalier pour les aider dans ce véritable suicide…

___Malgré ses angoisses de se tordre la cheville, elle parvint sans encombre au bas des marches et sans avoir du s’accrocher à la rampe comme une désespérée. La seule chose qu’elle avait du faire était de tenir un pan de sa longue robe noire pour éviter qu’elle ne se prenne les pieds dedans. Autant la robe était belle, pour ne pas dire sublime et vu le prix qu’elle avait coûté il y avait intérêt, autant dans un escalier ce n’était pas le top.

___Forçant sa démarche à se faire assurée même si ce n’était qu’une façade qui allait bien vite s’effondrer, elle se dirigea vers le seul solitaire qu’elle avait vu depuis l’escalier. Ce ne fut qu’après avoir zigzagué entre la brindille qui lui avait donné l’impression d’être un nain de jardin et l’espèce d’armoire à glace qui de son côté lui avait donné envie de prendre ses jambes à son cou qu’elle se retrouva enfin aux côtés du supposé Cole. Face auquel elle se félicita mentalement d’avoir pris des talons, cela lui évitait de devoir trop lever la tête pour le regarder dans les yeux. Même si, vu les yeux tout bonnement renversants qu’il avait, cela ne lui paraissait qu’un faible prix à payer pour pouvoir les contempler.

___– Bonsoir… Je… hum…

___Ça commençait mal… Se mordillant la lèvre en regardant un court instant sur le côté, elle prit ensuite une profonde inspiration en ancrant son regard au sien. Sans roug… Bon d’accord, un petit peu.

___– Tu es Cole, n’est-ce pas ? risqua-t-elle en s’obligeant à ne pas se trouver un intérêt soudain pour le sol, un sourire incertain vissé à ses lèvres.

___Et si elle se trompait ? Eh bien, elle lui demanderait simplement s’il le connaissait après un échange de politesse. Mais curieusement elle était certaine que c’était lui… Ou peut-être qu’elle l’espérait simplement ?

___Visiblement, elle ne s’était pas trompée. Cela faisait déjà un poids en moins, même si l’intensité de son regard en ajouta rapidement un, comme pour équilibrer la balance pour qu’elle reste du côté « timide ». Oh cela ne la mit pas mal à l’aise, disons juste qu’elle se sentit obligée de se cacher derrière un sourire affable pour ne pas montrer son trouble. Oui, voilà, c’était ça le mot ! Mot qui paraissait bien dérisoire quand elle sentit malgré elle son cœur louper un battement quand il lui prit la main, même un court instant. Malgré la chaleur ambiante sa peau était froide, plus que la sienne alors que pourtant tout le monde n’avait de cesse de lui dire qu’elle avait les mains gelées.
___Son regard cessa de détailler la main du jeune homme quand il prit la parole, son sourire s’étirant davantage pour confirmer son identité même s’ils s’étaient reconnus avec certitude dans la foule. D’ailleurs, en l’écoutant parler, elle ne put s’empêcher d’oublier légèrement ce qu’il se passait autour. Comme s’il n’y avait plus que ses gestes qui comptaient, ses mots, la façon dont il remuait les lèvres… Il était envoûtant. Ou elle était fatiguée, au choix.
___Elle ne consentit à le lâcher des yeux que lorsqu’elle remarqua un éclat argenté du coin de l’œil – que voulez-vous, elle restait une jeune femme, espèce pire que les pies. Le bracelet qu’elle vit sortir de son écrin la laissa sans voix, mais l’étincelle dans ses yeux exprimait bien plus de choses que de simples mots auraient pu le faire. Ainsi réduite momentanément au silence, elle l’observa attacher le bracelet avec une aisance qui valait la peine d’être soulignée, et appréciée, tout en songeant que les grands esprits se rencontrent. Vous saurez bien assez tôt pourquoi, même si c’était assez évident. Aussi évident que sa gêne face au choix des mots de son cavalier d’une nuit.

___– Avec plaisir… et merci, il est sublime.

___Qui oserait dire non, aussi ? Ou plutôt, qui pourrait dire non ? Charmant, plutôt mignon, pour ne pas dire carrément craquant, il s’avérait en plus de cela être d’une compagnie agréable. En somme, elle n’aurait pas pu espérer meilleur cavalier pour ce soir. Cette soirée qui avait commencé avec une certaine appréhension avait toutes les chances de bien se terminer, et rien que cela, ça lui ôtait un poids. Même si la main de Cole eut vite fait d’en rajouter un. ___L’impression de déjà-vu était tout à fait normale, contrairement au sourire un peu plus assuré qu’elle lui adressa pendant que ses doigts se resserraient doucement autour des siens, dans une vaine tentative de les réchauffer. Si elle avait décidé un peu plus tôt de profiter de cette soirée pour retrouver un minimum de confiance en soi, ce n’est pas pour s’effaroucher au moindre contact ! Maintenant, il faudrait aussi le préciser à son cœur qui battait à un rythme soutenu, si bien que la musique aurait très bien pu devenir secondaire pour une quelconque… danse ?

___Ce n’est pas qu’elle ne savait pas danser, après tout elle l’avait fait des années, mais c’est que sa dernière danse en couple remontait à… quelques années. Peu avant que plus personne n’ose l’approcher à cause de ces choses étranges, d’ailleurs. Dites choses qui n’avaient plus eu lieues depuis qu’elle était ici, à sa plus grande stupeur bien qu’elle n’allait pas s’en plaindre. Bref ! Les premiers pas de sa part furent un peu maladroit, sans lui marcher sur le pied néanmoins qu’il se rassure, jusqu’à ce qu’elle cesse de regarder le sol pour lui adresser une œillade amusée à sa question.

___– Nullement, n’est-ce pas ce que nous sommes supposés faire à un bal ? Laisse-moi juste le temps de retrouver le rythme, ça fait longtemps…

___Il y avait un énorme point positif avec la danse : elle oubliait rapidement tout sentiment de malaise. Ses joues restaient subtilement rosées, du fait de la proximité, au sinon peu à peu ses pas se faisaient moins hésitants, tout comme ses regards. Regard qui lui fit noter qu’elle avait totalement oublié de lui donner son cadeau, l’étui reposant toujours entre ses doigts. Hm pas grave, elle le lui donnera après la danse, ils étaient trop bien partis et d’une certaine manière elle avait peur que son apparente assurance cesse en même temps que leur pas.

___– Je me disais…, commença-t-elle en déplaçant l’étui entre ses doigts de sorte à ce qu’elle puisse poser sa main sur son épaule sans être entravée par ce dernier. Tu devrais peut-être regarder où tu nous entraînes pour éviter qu’on ne leur fasse du rentre-dedans.

___Elle désigna d’un petit mouvement de tête le couple qu’ils avaient frôlé, lequel était une chance bien trop occupé à ne pas se marcher sur les pieds pour avoir remarqué à quel point c’était passé près. Curieuse de savoir quel pouvait bien être le sujet des pensées de Cole, elle s’abstint cependant de poser la moindre question, bien que ses interrogations puissent se deviner vu la façon dont elle avait légèrement penché la tête sur le côté.

___La danse s’était stoppée de façon aussi imprévisible qu’elle avait commencée. La jeune femme chercha aussitôt à croiser son regard, ce qui lui permit de remarquer que le sien balayait la salle comme s’il était à la recherche de quelque chose. Ou plutôt de quelqu’un, compte tenu du lieu dans lequel ils se trouvaient. Peut-être sa petite-amie ? Même si elle avait beaucoup de mal à l’imaginer en couple, il avait l’air d’être le genre de personne à préférer la solitude. Maintenant, les apparences pouvaient être trompeuses… Un rien perplexe elle essaya de l’imaginer main dans la main avec une quelconque fille dans les couloirs, riant à gorge déployée à l’une de ces bêtises que l’on se disait quand on était deux. Mais non… La solitude lui allait mieux. Le calme froid que l’on ne pouvait avoir sous peine de mettre l’autre sur les nerfs, à moins que l’autre ne soit semblable.
___Ne la regardez pas comme ça, elle ne pensait en rien être cette semblable. Elle l’avait eue, cette passe. Mais elle avait basculé Dieu seul sait comment dans la timidité – d’ailleurs, elle était passée où celle-là ? – et ça lui mettait les nerfs à vif. Certes, l’adolescence expliquait bien des choses, mais pouvait-on passer de la fille enjouée que rien ne semblait atteindre à celle aussi froide que la brise hivernale puis enfin à… une handicapée sociale.

___Elle eut à peine le temps d’avoir un air désespéré à cette pensée qu’elle se sentit emmenée ailleurs. Sans qu’elle ne pose la moindre résistance elle le laissa l’entraîner vers… là, au milieu de tous ? Une fois de nouveau arrêtée, face à lui, elle lui adressa un regard empli de questions qu’elle ne posa pas à voix haute. À quoi bon ? De nouveau un rien intimidée face à son regard, ce ne fut rien comparé au trouble qu’elle ressentit lorsqu’il réduisit encore plus la distance entre eux. Ses doigts dans son dos lui arrachèrent un léger frisson, froids à travers le fin tissu de la robe.

___– Voilà qui est bon à savoir…

___Qu’est-ce qu’elle disait un peu plus tôt ? Ah, oui, elle avait terriblement du mal à l’imaginer en amoureux transi. Le ton de sa voix la confortait dans cette idée. Trop… vide, à défaut de terme plus correct. Et puis… Mais bon sang, que cherchait-il dans cette salle ? Elle tourna la tête pour entrevoir un minimum ce qu’il se passait dans son dos, comme s’il allait il y avoir une quelconque aura blanche autour de ce qui occupait tant ses pensées. Mais non. Pas de miracle ce soir donc… C’est au même moment que leur regard se cherchèrent et s’accrochèrent, accentué par un haussement de sourcil de son côté. Encore une question muette à laquelle il ne répondrait certainement pas.
___Le coin de ses lèvres s’étira en un sourire rassurant après ses paroles. Prendre froid ? Allons, elle espérait bien le réchauffer avant, secondée par la température de la pièce. Ses doigts se resserraient doucement autour des siens, ceux de l’autre mains glissant sur l’étoffe de sa chemise de sorte à couvrir plus d’espace, le cadeau coincé entre le majeur et l’index et l’annulaire. Une chance que le paquet était fin, l’autre partie du cadeau étant resté dans sa chambre pour éviter de se le trimballer toute la soirée.
Et en accentuant leur contact ainsi, même si c’était à travers du tissu, même si ce n’était que quelques centimètres en plus, elle ne put que remarquer une fois encore à quel point il était froid.

___– Me voilà prévenue. Mais peut-être est-ce à moi de te réchauffer un tant soit peu et non à toi de me refroidir, cela ne t’a-t-il pas traversé l’esprit, Cole ?

___Soyez certains qu’elle n’aurait pas tenu ce genre propos avec un simple sourire affable si elle avait été plus concentrée sur ses mots que sur ses pas. Mais là ils sortaient comme ils auraient dû sortir, sans la retenue qu’elle avait acquise. Et cela faisait du bien, pendant un instant, de ne pas surveiller ses mots. Ne pas être traitée comme une sorcière aidait sans doute à cela, car il est vrai que depuis qu’elle avait franchi les portes de Redemption tout lui semblait un peu plus clair.
___Le pensionnat portait bien son nom à ne pas en douter. Pour le moment.

___Elle sourit simplement à ces derniers mots, s’abstenant de répondre qu’elle espérait que le sien lui plairait aussi. Ils verraient cela en temps et en heure… En parlant de voir, son regard se décrocha du sien pour chuter à ses lèvres fines, bien dessinées et dont le sourire avait tendance à être mystérieux. Sa gorge suivit ensuite, puis l’endroit dont elle ignorait le nom où ses clavicules se rejoignaient, marquant le début du torse. Sa peau était pâle à ne pas en douter. Belle aussi. Non, vraiment, elle avait la chance d’être en compagnie d’un homme magnifique, à ses yeux du moins. Si elle était du genre à tomber amoureuse au premier regard, elle aurait peut-être succombé. Peut-être.
___Elle ramena ses yeux sur sa peau, étonnée de se sentir frustrée par ce bout de tissus qui couvrait le reste. Comme une enfant qui n’avait pas droit de déballer son cadeau alors qu’il était juste là, sous ses yeux. Il serait certainement plus sage – et poli, aussi – de remonter son regard à hauteur du sien non ? Oui, voilà, faisons cela. Déshabiller quelqu’un du regard n’était pas la chose à faire lorsqu’on le voyait pour la première fois… Sauf que le regard ne semblait plus suffire. Soit son imagination se superposait beaucoup trop bien à la réalité, soit le bouton de la chemise était en train de se détacher, doucement. Comme s’il craignait qu’un mouvement trop brusque avertisse son possesseur de son méfait. Perplexe à souhait, elle surveilla le suivant qui, à son tour, imita le premier, toujours aussi subtilement, sous le haussement de sourcil de la jeune femme.
___Devrait-elle l’avertir ? « Hum, excuse-moi Cole, mais ta chemise est en train de se déboutonner toute seule… » Et encore, elle était certaine que cela sonnait plus ridicule dit à voix haute. Ce qu’elle se garda bien de faire, dardant un regard un peu anxieux sur le troisième, craignant qu’il suive la voie des deux premiers. Mais qu’elle se rassure, si ce n’était pas l’effleurement du tissus soudainement plus libre qui avertissait le jeune homme de ce déshabillage en règle, ce serait une curieuse sensation de chaleur au niveau desdits boutons qui se faisaient la belle. Cette sensation était semblable à ce qu’il aurait pu ressentir si c’était quelqu’un de bien « réel » qui s’attelait à cette tâche, sauf que ces doigts imaginaires étaient aussi chauds que les siens glacés, un fameux contraste donc… Surtout qu’ils n’étaient peut-être pas aussi imaginaires que cela ?

___Lui, ailleurs ? Allons, le terme était faible ! Sauf qu’il était totalement impossible de deviner ses pensées à travers ses expressions. C’était frustrant. Terriblement. Savoir que quelque chose se passait, mais ignorer quoi… et ne pas pouvoir la question. Car elle savait que la réponse ne serait pas ce qu’elle attendait. Floue, évasive. Tout comme sa propre réponse maintenant.

___– Rien de bien important, ne t’en fais pas.

___Certainement pas aussi important que la raison pour laquelle il laissait son esprit vagabonder. Dieu seul sait où. Auprès de Dieu seul sait qui. Ce n’est pas comme si elle avait à le savoir, ils n’avaient pas gardé les moutons ensemble ! … Les expressions ont la vie dure. Mais elles étaient loin d’être le sujet principal de ses pensées, quelques instants plus tard.

___Oh que non. Celui-ci se trouvait être un peu plus… étonnant. Du genre que personne ne devait avoir durant sa vie car c’était impossible. À moins que cela se déroule lors d’un éventuel spectacle de magie. Ou alors, si on s’appelait Harry Potter. Même si imaginer le Survivant détacher la chemise de l’un de ses camarades de classe durant une discussion était assez… euh… hors sujet. Et intéressant selon la chemise qu’il détachait, bien s… Bref ! Pas la peine d’essayer de partir dans des pensées totalement farfelues, cela ne modifiait en rien la réalité.

___Elle sursauta légèrement quand il parla, toute concentrée à fixer le troisième bouton pour qu’il reste sagement en place par la simple force de sa volonté. En voulant croiser son regard elle se heurta à son sourire en coin qui à lui seul la fit avoir un léger mouvement de recul, avorté quand elle se rappela de la main posée dans son dos. Prenant son courage à deux mains, elle se risqua enfin à croiser son regard, le sien étant empli d’incompréhension. Puis d’une légère irritation, caractérisée par la moue qui fit disparaître son sourire embarrassé.

___– L’idée à beau être tentante, je ne vois pas comment je pourrais m’y prendre vu que ma main est ici, commença-t-elle en accentuant légèrement la pression de ses doigts autour de ceux de son cavalier. Et la seconde juste là.

___Sauf que quand elle voulut resserrer ses doigts sur son épaule pour lui rappeler où ils se tenaient, son regard fut attiré par le troisième bouton qui à son tour faisait le grand saut. C’est pas vrai… Ni une ni deux, elle laissa sa main glisser jusqu’à lui pour le retenir, sourcillant en effleurant quelque chose d’assez chaud pour qu’elle sache que ce n’était pas un mouvement de l’air. Que… ? Sur le coup, elle retira sa main comme si elle avait subi un quelconque choc électrique, mais aussitôt le fourbe recommença. Qu’à cela ne tienne ! Elle le retint une fois encore, relevant dans le même geste son regard vers celui de son compagnon pour la soirée.

___– Je suis vraiment… confuse, Cole.

___Elle baissa la tête, comme pour masquer sa gêne. Mais la réalité était tout autre. Les doigts toujours serrés autour de ce bouton rebelle, elle releva le visage vers lui l’œil brillant, son sourire trahissant le fait qu’elle réprimait un rire. Nerveux à ne pas en douter.

___– « Déshabiller du regard » prend tout son sens maintenant, tu ne trouves pas ?

___Son air était passé de embarrassé à rieur en un claquement de doigts. Elle avait toujours eu le don de rire des situations les plus… délicates, comme celles-ci. Oh, parfois cela ne faisait qu’empirer les choses ou la faire passer pour une sans cœur, mais là… Là, soit elle en riait, soit elle devenait écarlate. Pourtant, ça ne pouvait pas être elle la cause de tout ceci. Ou alors, il faudrait lui expliquer comment.

___Hm, ça foutait légèrement la soirée en l’air… Étonnée par ses propres pensées, qui n’étaient pas aussi directes que cela d’habitude, elle détacha ses doigts de sa chemise et l’observa s’éloigner vers la jeune femme en pleurs. Sa petite amie… ? Sa tête se pencha subtilement sur le côté, tâchant de l’imaginer encore une fois avec ce genre de petites intentions parfaitement hypocrites. Inutiles. Hm, non, d’un coup elle comprenait mieux. Elle voulut rattraper Cole pour lui rappeler que sa chemise était toujours ouverte mais ses doigts ne se refermèrent pas assez vite sur sa manche car, déjà, il était auprès de la jeune demoiselle. Pouvait-on se mettre dans un état pareil, en public, pour si peu ? De loin elle n’a pas pu noter que sa chemise était trop échancrée, mais là… Ses larmes allaient-elles redoubler ?
___Hmpf, elle préférait ne pas voir ça.

___La solidarité féminine ? Des années qu’elle n’a plus du en faire preuve, cela se perd l’air de rien. Des années à ruminer à l’encontre des filles de sa classe sans jamais oser l’ouvrir, ça restait en revanche. Elle croisa les mains dans son dos, se sentant horriblement débile au milieu de tous ces danseurs. Le cadeau de Cole toujours entre ses doigts. C’était peut-être elle qu’il cherchait du regard ? Même s’il n’était pas en couple avec, cela ne l’empêchait pas d’éprouver de l’affection pour elle. Peut-être.
___– Je ne vois pas comment on peut avoir autant d’affection pour une pleurnicheuse…
___Elle sursauta et fit volte-face mais ne vit rien. Hm, elle avait du rêver… Mais pas penser trop fort, elle avait beau être assez hard dans ses pensées, jamais à ce point pour une inconnue. Perplexe à souhait, elle commença à s’éloigner vers le bar avant de s’arrêter. D’un côté, il allait peut-être simplement échanger quelques mots puis reven… Non, vu l’état de la jeune femme, il faudrait bien plus de quelques mots pour la calmer. Et si c’était bien ce qu’elle pensait, ce n’est pas ce qu’elle voulait. Une danse. Une étreinte. Un baiser. Et on sait tous comment cela se termine, n’est-ce pas ? Trop prévisible, trop ennuyant. Elle refit donc demi-tour et posa ses yeux sur Cole juste quand il fit signe de se joindre à eux.

___Héhé… Il voulait sa mort ? Elle devait la prendre pour une rivale. Note que… C’était de la panique qu’elle lisait dans ses yeux ? Un peu étonnée, elle jeta un nouveau regard au bar, plus que tentée par un verre. Ou alors elle devrait attendre de voir comment cela se passe. En restant plantée là ? … Pas de souci, elle avait de quoi s’occuper, elle qui adorait observer le comportement des autres. Quand celui-ci était un minimum intéressant, songea-t-elle en reposant brièvement son regard vers la jeune fille ébranlée. Alors, ces réflexions ne prenant pas plus de quelques secondes en réalité, elle nia un mouvement de tête poli et lui fait un geste de main comme pour dire « Occupe-toi d’elle, pas de moi. ». Puis, avec un léger sourire en coin, elle le désigna lui puis pointa son doigts sur sa propre poitrine, à la hauteur où les boutons s’étaient détaches de son côté. Certes il était beau, mais ce n’était pas une raison pour se balader de façon aussi débraillée !

___Quoiqu’il en soit, la jeune femme resta à l’écart tout en faisant comprendre qu’elle l’attendait toujours. S’il lui faisait encore signe de venir, elle le ferait certainement, mais en attendant elle était persuadé que sa présence à leur côté était bien la dernière chose que voulait l’adolescente en larmes. Tout comme la dernière chose qu’elle voulait elle était bien de supporter les reniflements. Ah, le pauvre lui faisait peut-être signe de ne pas le laisser seul face à elle… ? Allez, promis, au premier regard ou geste qui lui sera adressée manifestant clairement un « S.O.S. » elle accourait.

___À aucun moment elle n’avait signé pour ça.

___Cette phrase pouvait se répéter pour plusieurs moments. Le premier, quand la jeune fille leur dit qu’elle était désolée, instant durant lequel elle observait ailleurs et cela valait sans doute mieux vu la façon dont elle l’avait regardé avant cela : comme n’importe qu’elle fille jalouse. De toute manière, elle était trop loin pour répondre sans s’attirer le regard de plusieurs « couples » et elle ne voulait absolument pas attirer l’attention sur elle. Cela lui avait assez mal réussi ces dernières années, et elle préférait éviter de réitérer l’expérience.

___Le second, quand elle vit Cole se saisir du poignet de la demoiselle dont elle ignorait le nom. Intérieurement, elle n’avait cessé de lui intimer de ne surtout pas faire ce qu’elle pensait qu’il était sur le point de faire et de rester bien sagement à l’écart avec elle. Pas qu’elle lui semble apathique – même si on avait vu mieux comme meilleure impression –, mais si elle était bel et bien sous le charme du jeune homme comme elle le pensait… L’atmosphère risquait d’être tendue. Bon Dieu, il n’avait vraiment aucune idée de la psychologie d’une fille pour les réunir ? Soit elle serait une peste enragée, mais cela ne collait pas avec la crise de larmes, soit elle allait la regarder en chien de faïence. Ou mieux encore, la regarder par-dessous ses cils avec un air de chien battu en retenant ses larmes. Si elle se trompait complètement, cela serait merveilleux !
___Le bougre ne lui laissait même pas ne serait-ce qu’une petite chance de se faire la belle discrètement vu qu’il l’attrapa également pour l’entraîner dans son sillage.
___Soit…

___Le troisième moment de cette soirée qui pourtant se promettait agréable avant de tourner au drame romantique, c’était celui-ci. Celui où, une fois encore, après avoir échangé quelques mots avec la jeune fille, il lui adressait un regard désolé. Il n’avait pas à l’être, que du contraire. Il avait réussi à la faire rire et à lui faire oublier ses problèmes, elle qui pensait que le bal ne serait qu’un instant d’ennui et de malaise parmi tant d’autres.
___Enfin, si pour l’ennui cela avait su être évité, le malaise en revanche… Cela dut se voir aisément dans son sourire qui éteignit la lueur qui se voulait rassurante dans son regard. Aussi crispé qu’elle.

___– Tu n’as pas à te faire pardonner, tu n’y es pour rien…

___Elle se garda bien d’adresser un regard accusateur à la jeune fille et enchaîna d’une voix plus assurée :

___– Quant à ton cadeau… Je suppose qu’elle n’a pas planté son cavalier là pour le simple plaisir de te regarder, du moins je l’espère. Je vais donc vous laisser discuter tranquillement.

___Elle tendit la main pour attraper le verre, sans quitter des yeux son interlocuteur. La malchance aurait voulu qu’elle tâtonne un instant sur le comptoir pour le trouver mais ce ne fut heureusement pas le cas. Le sourire qu’elle lui adressa ensuite était plus détendu. Hâtive de les laisser en tête-à-tête pour ne pas les – ou du moins la – gêner plus longtemps. Elle le remercia donc pour le verre avant de se diriger vers l’autre côté de la salle. Sauf qu’au lieu de simplement passer derrière le jeune homme, elle posa une main sur son épaule, rallentissant à peine le pas pour les lui adresser.

___– Libre à toi de venir me rejoindre par la suite, Cole.

___Elle ôta sa main, non sans se questionner une fois de plus sur la raison pour laquelle il était si froid, et poursuivit sa route. Quant à la jeune adolescente, elle ne lui décocha pas un seul regard. Pas par snobisme ou autre imbécilités de ce genre, mais elle était pressée de mettre plusieurs pas de distance entre eux.