Voilà maintenant deux jours. Cela faisait exactement deux jours, deux heures et trente minutes que Stanislas m'avais pris un peu de mon pouvoir. Et ce temps de liberté mentale qu'il m'avait offert, je l'avais savouré, je l'avais aimé. Ça m'avait fait un bien fou ! J'avais pu reprendre un peu de mes esprits. J'avais pu me concentrer sur mes propres pensées et oublier les autres.
Et Isaac, quand il l'avait appris le soir, après que j'ai eu droit à mes premières heures de tranquillité et de joie complète, Isaac avait été heureux. Au moins autant que moi. Il avait été aux anges d'apprendre que j'avais eu une telle chance. Heureux de savoir que le mot "sérénité" était pour moi accessible. Oui vraiment, cela avait été deux jours merveilleux.
Deux jours dont il a profité pour me battre aux cartes. Mais ça, c'est autre chose.

Donc voilà que j'avais l'esprit bien en ordre, les idées tout à fait claires et ma liberté de pensée encore grande, malgré le fait que celles des autres commençaient déjà à se faire plus nettes. Mais ce n'était qu'un détail. Stanislas m'avait offert le plus beau cadeau qu'on ne m'avait jamais fait depuis longtemps et je ne pouvais pas me permettre de me plaindre qu'il ne durait pas assez.

En songeant à Stan, d'ailleurs, j'avais décidé de me rendre à Rédemption. Je lui avais promis que je passerais le voir. Au moins pour le remercier. Mais surtout pour savoir s'il se portait bien, avec sa nouvelle capacité. Car même si je lui avais refilé mon fardeau sans trop me préoccuper de son sort, j'étais inquiète à son sujet. J'avais une conscience, tout de même !

Alors je l'avais cherché. Mais autant dire que mon don me manquait sérieusement et que ce n'était pas avec un son si faible que j'allais capter si vite les siennes. Ce qui était certain, c'était qu'il n'était pas dans sa chambre. Personne n'y était d'ailleurs. Il n'était pas non plus dans le hall, ni dans la cour, ni dans les couloirs du premier et du deuxième étage.

Je continuais donc ma recherche au troisième, incertaine. Oui, la semi-perte de mon pouvoir avait fait que j'étais un peu moins assurée qu'à l'habitude. Je n'avais plus la même garantie quand à la présence ou non de personne aux alentours, alors je restais davantage sur mes gardes. Malgré tout, je n'avais pas perdu ce sale caractère qui voulait que, de toute manière, je fasse ce que j'avais envie de faire envers et contre tout. Et là, j'avais envie de le voir. Alors peu importait ce qui s'en suivrait, je chercherais.

Je me retrouvais par hasard dans la salle d'astronomie. J'y entrais sans trop me soucier de rien. Juste comme ça. Et quel n'était pas mon plaisir de voir des télescopes, des cartes, des photos de galaxies, et tout un tas d'autres trucs fascinant du même genre. Alors, à la limite de l'émerveillement, j'avais relevé la tête. Et là, surprise !

J’ai toujours aimé les étoiles. Pas vous ? Elles sont tellement belles et tellement inaccessibles. Enfin, ça s’est ce que vous croyez. Je suis sur que tôt ou tard, je pourrais les rejoindre et visiter ce qu’elles cachent. Je ne suis pas fou hein. J’ai juste vécu assez longtemps pour … vous assurer que je sais de quoi je parle.

David se promenait dans les couloirs de Rédemption. Il était bientôt midi. Il errait, amusé par le regard des gens. Les élèves qui passaient ou lui souriaient, ou
l’ignoraient. Il s’en fichait pas mal en vérité. Depuis le matin ou il avait ouvert les yeux, il ressentait une sorte de malaise. Les nuits étaient courtes pour lui depuis très longtemps.

Les journées a sourire, les journée ou la bonne humeur subsiste. Voilà a quoi se réduisait son temps. Un temps sans aucune valeur. Un temps infini. Il avait encore longtemps devant lui. Trop longtemps … Surement là que viens son mal de tête constant.

Les couloirs se faisaient de plus en plus déserts. Il se dirigeait vers la salle d’astronomie. Actuellement réservée au directeur, mais depuis quelques temps désertée, David s’est pris un malin plaisir a venir y fourrer ses affaires. Dans cette pièce, il pouvait faire ce qu’il avait envie.

Un professeur étrange non ? Avec l’autorité ? Contre l’autorité ? Il s’en fichait pas mal en vérité. Tous le monde a des dons ici. Même les professeurs. Mais lui, personne ne devait savoir. Enfin pas plus que nécessaire. Haha, la discrétion, c’est pas son fort malheureusement.

Il entra dans la salle et referma doucement derrière lui. Il mit ses lunettes et ouvrit le placard pour sortir une grande carte. Il soupira et passa sa main dans ses cheveux. Un coup de fatigue rien de grave. Puis il entendit du bruit, ce qui le fit sursauter. Il fronça les sourcils et rangea le plan avant d’ouvrir la porte et de rentrer dans quelqu’un. Il tomba a la renverse et se frotta la tête.

« Bah dis donc… »

Il ouvrit les yeux en grand et fut une tête étonné. Une petite rousse. Aucun uniforme. Il secoua la tête. Il y a pas d’uniformes ici … Il se releva avec une mine sérieuse et inquiétante.

« Qu’est-ce que tu fais là ? Je ne t’ai jamais vu par ici. Ni dans mes cours. »

Puis il lui tapota la tête en riant. Un sourire détendu venait de naitre sur son visage. Un peu excentriquement, il poursuivit.

« Haha, je rigole ! Désolé, je te ferais rien ! Mais … qu’est-ce que tu fais ici ? Tu t’es perdu ? Remarque, je te comprends, c’est tellement grand. »

J'étais rentré dans quelqu'un. Je l'avais senti, ressenti, et touché. Je m'étais reculée lentement et avait levé les yeux jusqu'à atteindre un regard étrange embelli de lunettes rectangulaires à la monture foncée. Une allure inhabituelle. Une manière de s'habiller disons, loufoque (et on évitera la comparaison avec mes fringues). Un prof en converses ? Eh bien, c'était la première fois que je voyais ça et personne ne m'en avais jamais parlé. Nouveau ? Possible. Si c'était le cas, j'aurais de quoi rire un peu avec Dorian. Il serait au moins surpris que moi, car pour me surprendre à moi, il en fallait beaucoup. Non vraiment, il avait une apparence peu commune.

- Qu’est-ce que tu fais là ? Je ne t’ai jamais vu par ici. Ni dans mes cours.

Ah. Faudrait-il que je déguerpisse ? Que je mente ? Soit. J'entendais un peu mieux les pensées des autres, mais pas suffisamment pour être certaine qu'il s'agissait bien des siennes. Je pourrais peut-être contrer, si je m'y prenais bien.

Il me tapotais la tête et émit un rire franc. Une attitude qui m'arracha un sourire. Étrange, ouais. C'était le mot. Je le regardais d'un air curieux, de la même façon que je le faisais en découvrant un objet nouveau ou comme s'il avait s'agit d'un animal difforme.

- Haha, je rigole ! Désolé, je te ferais rien ! Mais… qu’est-ce que tu fais ici ? Tu t’es perdu ? Remarque, je te comprends, c’est tellement grand.

Il ne me ferait rien... Hein ? Est-ce que je pouvais être honnête ? Oui, certainement. Dans le pire des cas, je pourrais toujours mentir d'une manière ou d'une autre. Ça n'était pas un problème. Mais ce professeur avait l'air d'être un spécimen et il me semblait qu'il n'était pas dangereux. J'étais curieuse de savoir comment il réagirait, en plus. Alors...

- Je suis venue à Rédemption pour rendre visite à un ami. Et je suis tombée ici par hasard.

Voilà qui était fait. Qu'est-ce qu'on disait maintenant ? "Oh ! Mais c'est qu'elle à du culot, Mélissandre !" Ouais. Je vous le fait pas dire ! Et c'est pas toujours une bonne chose.

- Et vous ? Qui êtes-vous ? Un professeur ou quelque chose dans le genre ?

Est-ce que j'aurais raison de me méfier ? J'en doutais franchement. Il me semble que ça ne risquait vraiment rien. Vraiment.

Une fille vraiment étrange, voilà ce qu’il pensait de la petite rouquine. Elle avait été honnête, il le ressentait au plus profond de lui. Elle n’avait pas l’air dangereuse non plus, plutôt perdue. Sa réaction d’étonnement lui arracha un sourire, et un rire intérieur. Il s’empressa de ranger ses affaires et laissa échapper un petit bâillement. La nuit … il déteste vraiment la nuit. C’est tellement long, presque interminable que sa vie.

Il s’écarta légèrement d’elle et dissimula toutes ses affaires dans le placard qu’il referma. David avait toujours ce sourire rassurant aux lèvres. Il l’affichait toujours, même pendant les plus désespérantes des situations. Optimiste vraiment. David passa une main dans ses cheveux, geste qu’il effectua pour la deuxième fois. Il avait un petit sourire en coin, des yeux rêveurs sans oublier une petite aura gênée.

Elle disait venir ici pour un ami. Cela le surprit fortement. Pourquoi risquer sa vie dans cet endroit pour un ami ? Il devait être important. Soit. Il n’insisterait pas là-dessus. Mais une chose étant sure, si un autre professeur mettait la main sur elle, elle aurait surement quelques problèmes. Il soupira, son mal de tête semblait dissiper. Comment était-ce possible si rapidement ? David passa une énième fois la main dans ses cheveux.

« Rendre visite a un ami. Tu es inconsciente ma pauvre. Quoique … tu peux te fondre dans la masse, tu es tellement petite ! »

Il rit encore et approcha son visage du sien pour chuchoter.

« Effectivement, je suis professeur ici. Heureusement, avec moi tu ne crains rien. J’ai pas de temps a perdre a torturer les jeunes filles ! »

Il soupira un grand coup et ferma la porte de la salle avant de replacer ses lunettes sur son nez. Il se regarda dans un grand miroir et les enleva finalement en laissant échapper un grognement. Il se retourna vers elle en hochant la tête.

« Cependant, si tu n’es pas élève … Cet endroit peut-être dangereux si tu te fais prendre par un surveillant ou autre. »

La rouquine était mignonne. Un air enfantin la démarquait des autres. Ses yeux était pénétrants. Comme un petit animal sauvage cherchant malencontreusement a se glisser dans le terrier d'un autre afin de sauver un de ses précieux.

Inconsciente oui. Petite aussi. Mais pas tant que ça ! Il ne fallait pas exagérer tout de même ! Et puis mon mode vestimentaire rattrapait bien le fait que je n'étais pas si grande. M'enfin. En même temps, c'était certain que pour un type comme lui, je n'étais pas grand chose.
Sa manière de me considérer me déplaisais. On aurait dit que j'étais... Je ne sais pas. On aurait dit qu'il me trouvait gamine. Et ça avait le don de m'agacer. Mais bon. Nous n'étions en rien obligé de se supporter et s'il m’agaçait de trop, je laisserais ce type louche à la tête de renard derrière moi.

- Effectivement, je suis professeur ici. Heureusement, avec moi tu ne crains rien. J’ai pas de temps à perdre à torturer les jeunes filles !

Même pas surprise. Vraiment, j'avais de très bonnes intuitions et mon don était comme qui dirait franchement pratique.

- Cependant, si tu n’es pas élève … Cet endroit peut-être dangereux si tu te fais prendre par un surveillant ou autre.

Tutoiement ? OK. Cool. C'était plus sympathique. Je n'avais jamais aimé le vouvoiement. En fait, ça m'avait toujours ennuyée. Ridicule et idiot. Et ça servait à quoi ? A instaurer le respect entre deux personnes au rang social différent. Mais encore ? Je n'étais pas élève à Rédemption. Il n'avait donc aucune emprise quelconque sur moi si ce n'était le fait qu'il puisse me dénoncer en tant qu'intruse dans l'établissement. Mais ça, ça m'était égal. Aucune valeur donc. Et puis, même s'il m'agaçait un peu, il me paraissait sympathique, ce renard géant.

- Tu penses ? J'ai largement les moyens de les semer.

Oui. Même s'il était affaibli, mon pouvoir était toujours actif. En plus de courir vite, je pouvais lire dans leur esprit et ainsi, prendre les directions qu'ils redoutent le plus. C'était aussi facile que de fuir un cochon. Les cochons sont idiots.

- Et dans le cas où je n'y parviendrais pas, qu'est-ce que je risque au juste ?

Au contraire. En fait, c'était presque mon rêve de rencontrer ce fameux directeur. Le voir apaiserait mes curiosités et je pourrais enfin savoir si oui ou non il serait bien pour moi d'intégrer Rédemption. Car pour l'instant, je n'étais certaine de rien. Et puis, s'il était responsable de ces enlèvements, comme beaucoup le soupçonnaient, je le saurais en maniant bien la conversation. Et en admettant qu'il ne soit pas télépathe à son tour. Alors je ne sais pas ce qu'il se passerait. J'aurais certainement un mal de tête terrible.
Mon air énigmatique en disait long sur ma personnalité. Pas besoin de me connaitre pour savoir que j'étais une vraie tête de mule et que je n'avais pas froid aux yeux.

- Et toi, sais-tu ce que tu risques en restant ici ?

Mais ça, bien entendu, je ne lui dirait pas. J'avais trop l'habitude qu'on hurle au scandale parce que je "violais leur jardin secret". Bon, j’admets que ce n'est pas faux. Mais d'un côté, ce n'était pas comme si je n'étais pas une personne de confiance et que j'allais m'empresser de crier sur les toits leurs fautes. Je crois que, même si je tombais sur un tueur ou un quelconque criminel, je n'irais pas le dénoncer. Ce qui peut paraitre idiot, mais croyez moi, à ma place, vous feriez pareil.

David était amusé par les réactions de son interlocutrice. Il ne pensait pas a mal dans ses paroles, ses regards. Tout était tellement maladroit. Ses yeux dégageait une tristesse désespérément cachée au plus profond de sa pupille. Tout son corps fébrile prouvait un combat entre raison et désir. Il ne savait pas vraiment que faire face a une situation comme celle-ci. Les relations humaines, l’amitié, l’amour. Simple façade d’un unique désir : communiquer, apprendre sur l’autre.

Mais a quoi bon quand l’autre ne peut te connaitre, ne peut te comprendre ? Plus rien ne sert de se rapprocher de quelqu’un, de souffrir pour rien alors qu’on sait que tôt ou tard, elle disparaitra. La philosophie de David. Un renard solitaire épris de ses plus grandes peurs, certifiée par le passé.

Il la regardait, l’écoutait, l’analysait. Il gardait une certaine distance, comme avec tous le monde. Une distance qu’il avait pour devoir de maintenir. Elle semblait avoir ce même air têtue que lui adolescent. Elle n’avait pas peur, était confiante. Il appréciait cette qualité chez tous le monde. Et en particulier chez les personnes en danger, en connaissance de cause. C’est marrant non ? A quel point les gens peuvent être courageux … sans l’être vraiment.

« Les semer ? Mais comment ? » Il hocha la tête. « Tu dis ne pas être élève ici, mais si tu prétends pouvoir leur échapper, j’espère que tu as une bonne raison. »

Il prit une chaise et s’assit vite fait, lui en tendant une au passage.

« Ce que tu risques ? De ne plus sortir d’ici. M’enfin, tu serais avec ton ami ! »

Il ne disait pas cela a mal, sans doutes pour détendre l’atmosphère ou lui arracher un sourire. Il n’avait jamais vraiment eu de tact. Dans toutes les manière dites, la vérité est la vérité non ? Puis ce que la rouquine ajouta lui arracha une grimace. Qu’est-ce qu’il risquait lui ? Aucune idée … Il n’avait pas vraiment réfléchi a ça. Pour lui, rien du tout mais l’opinion de la jeune fille l’intéressait.

« Euuh … Qu’est-ce que je risque ? Je ne sais pas. Je n’y est pas vraiment pensé. En restant ici, je suis peut-être pas bien mais je suis mieux qu’avant. Mais dis moi … qu’est-ce que je … risque ? »

Il plongeait inlassablement son regard dans le sien, nageant dans ses yeux noisettes, comme s’il nageait dans un océan sombre et dénué de joie, une impression pesante mais pourtant masqué par un sourire aux rayons de soleil. Ses pensées ? Rien d’important, juste une migraine qui persistait depuis la matinée. Un cauchemar. Toujours le même depuis des années. Depuis toujours presque … l’éternité arrondie a une année.

« Qu’est-ce qui te rends si spéciale ? Ne mens pas. Tes yeux ne sont pas normaux. »

Un soupire. Un soupire. Un soupire. Un poids. Un poids. Un poids. Un sourire. Un sourire. Un sourire. Un rire moqueur.

Chaleur.

Ne plus sortir d'ici. Sa phrase avait fait l'effet d'une mini bombe atomique dans mon être. D'un coup, j'avais été détruite. Réduite à rien. Moi qui était toujours sûre de moi, qui étais pleine de convictions, qui me pensais intouchable. Ces quelques mots m'avaient diminuée au titre de vulnérable. Il avait répondu à ma question tout bêtement, mais ça avait fait ressortir d'autres aspects de la choses, d'autres vérités.
Je m'étais rendue compte que je n'étais pas la seule à posséder une faculté exceptionnelle. Cette école en était remplie. Et rien ne m'indiquait que personne d'autre que moi lisait dans les esprits. Rien ne m'indiquait que personne ne pouvait savoir où j'étais en ce moment-même, ce que je faisais. Je n'étais pas seule. Et c'est un point très important que j'avais fait en sorte d'oublier pour taire les faits que je n'étais pas en sécurité, que pour une fois, je n'étais pas surpuissante par rapport aux autres et que malheur pouvait m'arrivait.
Mais même maintenant, je refusais de me rendre à l'évidence que je ne devais plus revenir ici. Je refusais par ce que j'étais fière. Parce que j'avais des amis. Des devoirs. Des désirs. Parce que j'étais rebelle. Parce que je ne me laissais pas soumettre aussi facilement. Parce que j'avais un sale caractère. Parce que j'étais idiote et me moquais des conséquences. Parce que j'avais des principes et qu'ils pouvaient bien paraitre idiots, je ne les lâchais pas.

- Euuh … Qu’est-ce que je risque ? Je ne sais pas. Je n’y est pas vraiment pensé. En restant ici, je suis peut-être pas bien mais je suis mieux qu’avant. Mais dis moi … qu’est-ce que je … risque ?

- Et si je n'étais pas si innocente ? Si ta vie était en danger ?

Par vie, je n'entendais pas là son état de santé, mais plutôt son état moral. Les gens se créaient bien souvent tout un tas d'illusions qui leur font paraitre la vie meilleurs qu'elle ne l'est. Et moi, j'avais le pouvoir de tout détruire, en quelques paroles bien construites.
J'éclatais de rire. J'avais bien assez fait de dégâts dans ma vie pour ne pas avoir même l'envie de retenter l'expérience. Et seulement l'idée me dégoutait. Alors non, je ne ferais pas ça. Mais c'était toujours intéressant de semer le trouble dans l'esprit de quelqu'un. Et souvent, de cette façon, j'en venais à rire de ces pensées confuses. C'était un de mes petits jeux.

- Qu’est-ce qui te rends si spéciale ? Ne mens pas. Tes yeux ne sont pas normaux.

- En quoi ne sont-ils pas normaux, mes yeux ? Et pourquoi je te répondrais ? Si tu savais, tu t'en voudrais de m'avoir posé la question.

Son esprit était des fois réduit a l’état de zombie. Plus rien autour ne voulait lui répondre. Comme si sa connexion mentale avec le reste du monde avait été brouillée. Dans ces moments là, il n’y a que lui-même. Des chansons au loin se font entendre mais la réaction se laisse désirer. Le rire n’est plus là, il est aussi loin que les chants. La gentillesse et la tendresse ne sont que l’espace d’un léger sourire. Et tout s’est envolé.

David ne comprenait plus vraiment grand-chose a son discours. Il essayait de se concentrer sur ses paroles mais devinait a l’écoute que tout cela avait un sens caché. En essayant de cacher des trucs, la jeune rouquine les dévoilait a son insu. Tout son visage était une mine de renseignements. Oui, il était du genre observateur et depuis longtemps, il avait appris a lire sur le visage d’une personne. Il n’avait pas verrouillé la porte, ne comptait pas le faire savait pertinemment qu’elle ne chercherait pas a s’enfuir.

Elle lui répondit fièrement et sur un ton, quoique limite menaçant par une autre question. Cela avait le don de l’embrouiller. Et s’il n’était pas si innocente ? Alors pourquoi son visage se décomposait a l’idée « ne plus sortir d’ici. » ? Et si sa vie était en danger ? Cela signifierait la mort n’est-ce pas ? Et bien pourquoi pas ? Cela faisait longtemps qu’il était de ce monde hein.

« Si ma vie était en danger ? Et bien … je ne sais pas. Elle ne l’est pas pour le moment. A moins peut-être que tu sois dangereuse comme tu dis. Mais j’en doute fortement vois tu. »

Il n’avait sans doutes aucune peur a avoir. Et même si c’était le cas, il n’aurait aucun effroi a son égard. Il se demeurait de rester calme, pour son métier de professeur. Son visage se devait froid et sévère. Or, ce n’était pas dans les habitudes de David d’être quelqu’un de sévère. Distant certes mais pas strict a ce point. Il détestait ces manières de politesse, ou encore de professionnalisme.

« Tu as des yeux fiers. C’est marrant, comme si tu retenais au fond de toi quelque chose de secret. Que tu ne voulais pas que je sache. Cependant, rien qu’en me disant ça, tu me prouves pourtant bien que j’ai raison. »

Il se leva, saisit son menton et le coinça entre son pousse et son index. Il plongea ses yeux marrons dans les siens, la forçant a le regarder. Il se plongeait dans son âme comme si ses pupilles était une entrée vers son intérieur. Il cherchait en elle, comme dans un livre, lisant les lignes de son cœur. Mais il ne voyait … pas grand-chose en vérité. Un sourire joueur naquit sur son visage, pas forcément péjoratif pour la demoiselle. Il approcha sa tête de la sienne. Son halène sentant fraichement la menthe. Son sourire s’adoucit, comme s’il revenait a une certaine innocence.

« Voyons voyons. Ce n’est pas bien d’être sur la défensive comme ça. Je ne vais pas te manger. Et tu es beaucoup moins jolie quand tes sourcils se froncent.~ »

Il la lâcha. De toute façon, il avait surement assez fait de dégâts comme ça. Sans doutes pour qu’elle s’énerve encore plus … ou au contraire qu’elle se détende. Dans les deux cas, le résultat était le même. Il voulait des réponses.

C'est fou comme les gens sont naïfs. Ou du moins, comme ils croient dur comme fer à leurs impressions premières. Et là, en l’occurrence, il ne se doutait de rien. Non, de rien. J'avais brisé tant de cœurs, tant de vies, tant de personnes aux cours de mon enfance...Vraiment, j'avais fait tant de mal autour de moi... Et tout cela ne m'avait pris que quelques minutes, le temps d'écouter une ou deux de leurs pensées et de leur détruire leurs illusions par quelques phrases bien tournées, à ma façon. Je n'aurais pas pris autant de plaisir à faire ça si j'avais seulement eu idée de ce qui nous attendait par la suite, à eux et en conséquence, à moi. Mais j'étais jeune à l'époque et inexpérimentée. Et j'avais payé. Je l'avais payé de ma famille et de cette joie enfantine que je tentais avec mal de retrouver à présent. Oui, moi aussi, j'avais des illusions confortables sur lesquelles reposaient ma vie et mon bien être en général.

Et j'avais été surprise lorsqu'il avait pris mon menton si rapidement que je n'avais pas pu faire aucun mouvement de recul, même seulement y penser. En fait, même avec plus de temps, je ne l'aurais pas fait. M'enfin...
On aurait dit qu'il fouillait à travers mes yeux, en moi. C'en était presque dérangeant. Mais comme vous l'avez surement déjà remarqué, peu de chose parviennent à me déranger, à moi. Alors je m'étais laissée faire, l'examinant à mon tour sans vraiment savoir ce que je cherchais.
Mais ce qui était certain, c'est que pour l'instant, je n'avais aucune information sur lui. Et il fallait que je me débrouille pour lui faire cracher le morceau. Par simple curiosité.

- Voyons voyons. Ce n’est pas bien d’être sur la défensive comme ça. Je ne vais pas te manger. Et tu es beaucoup moins jolie quand tes sourcils se froncent.

Je riais sans retenue à sa dernière phrase. Je sentais mes pommettes rosir doucement, joliment.
De la fierté ? Surement. Mais ce qui m'avait perturbée, c'est que le mot qui revenait sans cesse habituellement n'était là, cette fois-ci : Enfantin. Mes yeux avaient cette lueur que les gamins ont. Un petit plus qui faisait qu'ils semblaient toujours heureux, cette petite flamme qui nous ravivait à chaque regard, celle-là même que je possédais. Et c'était ça qui était beau chez moi.

- Et vous ? Qu'est-ce que c'est, vôtre truc ?

C'était un marché. A l’intonation de ma voix, à mon regard. J'avais rendue la phrase explicite. S'il me répondait, alors sans doute, je lui dirais ce dont j'étais capable. Mais pour le bien de tous, je m'abstiendrais et ferais comme si je n'entendais rien. Comme je l'avais fait par gentillesse avec Dorian. Comme je le ferais dorénavant pour mon bien, pour leur bien.

Rien n’était décidé. Il l’appréciait. Il se demandait au fond de lui si elle montrait un quelconque intérêt pour lui. Ce qui le fit douter fortement pendant quelques minutes. Il n’avait plus l’excuse de la relation professeur élève vu qu’elle ne semblait pas vivre à Rédemption. Ma foi, il était nouveau ici et il ne fallait pas trop lui en demander. Toujours joyeux et de bonne humeur, il l’avait écouté depuis le début, même si c’était apparemment lui qui posait les questions vraisemblablement.

Mais tout bascula quand elle prit pour parole une question personnel. Son truc ? Hm. Il n’aimait pas parler de ça, ni de sa vie, plutôt secret et discret (Enfin discret, ça dépends vu son allure.) Alors aborder un sujet aussi malsain que celui-ci ne pouvait le faire sourire davantage.

« Et vous, qu’est-ce que c’est votre truc ? »

Il haussa un sourcil, elle l’avait vouvoyé. Pourquoi ? Aucune idée. Il détourna le regarda et toussa. Ses yeux devinrent inexpressif comme s’il était sérieux. Une chose assez rare chez lui. Que répondre a ça ? Il n’en savait rien. Comme s’il avait peur de la vérité. Une vérité dérangeante et impossible a assumer. Une vérité qui ronge. Alors il se rassit, silencieux, neutre. La fixant dans les yeux, d’un air presque méchant. Pourtant son regard ne dévoilait rien. Ni de l’agressivité, ni de la méchanceté. Juste … rien.

C’était dans ses moments là, considérés comme « paumés. » qu’il se havissait. Incapable de répondre quelque chose. Pas même un bafouillage.

« Disons … rien d’extraordinaire. »

Puis ce fut le tour de la tristesse de s’emparer de ses yeux marrons. Il baissa la tête, sans pouvoir ajouter quoi que ce soit de plus. Il avait honte de ne pouvoir juste répondre a une simple question. Furtivement, il se releva, partant rangé ses listes de classe. Il ne se devait de s’attacher a quelqu’un. Comme la petite rousse. Dans l’optique ou, il n’aurait jamais assez le temps d’en profiter.

HRP : c’est nul é.è … désolé.

Pourquoi ? Oui pourquoi je l'avais vouvoyé ? Et bien surement parce que je m'étais énervée et que j'avais été assez troublée pour en oublier mes principes, laissant paraitre l'âge e le statut avant tout. C'était idiot de ma part et je m'en voulais presque qu'il l'ait remarqué, que ça l'ait à se point frappé.

- Disons... rien d’extraordinaire.

C'était tout ? Il ne pouvait pas développer ? J'avais du mal à comprendre ce type. D'abord parce que le fait que je n'entende rien à ce sujet dans ses pensées était assez troublant pour que je me demande sérieusement s'il n'était pas au courant pour mes dons de télépathie, ensuite parce que la tristesse qu'il avait ressentie par la suite avait été violente et pour ma part, sans queue ni tête. Je n'avais strictement rien compris et il me semblait qu'il n'y avait rien à y comprendre. Mais pourtant, mon mauvais caractère faisait que je ne pouvais pas me contenter de ça. Alors, je savais qu'il aurait mieux valu que je m'en tienne là, qu'accepter son choix de ne rien révéler était sans doute plus sage, mais c'était plus fort que moi, je ne pouvais pas m'empêcher d'y penser encore et encore. Me posant tout un tas de questions, listant toutes les possibilités, faisant marcher mon imagination un maximum.
Malgré cela, je faisais mon possible pour mettre cet aspect là de côté. Et pourtant...

- Je ne comprend pas.

Si "rien" était son don, pourquoi être là ? Pourquoi être triste ?
Je le regarder ranger des affaires. Enfin ranger était un bien grand mot. On aurait plutôt dit que ça n'était qu'un prétexte pour ne pas me regarder en face. Voir la vérité en face. Moi.

- Es-tu malheureux ?

C'était la seule explication que je trouvais à sa présence et à ses réactions. Mais encore une fois, peut-être que j'étais allé trop loin.

La frustration de ne pouvoir parler, de ne vouloir parler. Pourquoi cette petite rousse posait-elle autant de questions ? Il n’en savait rien, il ne voulait pas le savoir. Disons que sa journée, qui avait déjà mal parti semblait lui lancer des signes toutes les cinq minutes, surement pour lui rappeler … qu’elle était vraiment à chier. Mais positivons ! Oui ! Positivons ! Parce qu’il faut … toujours positiver. Phrase qui se résume à la vie de David. Simple, clair, intuitif.

La jolie jeune fille se rapprochait. Elle se rapprochait de la vérité, elle se rapprochait de ses points sensibles. A savoir pourquoi il était là ? Elle lui demanda s’il était malheureux. Une question bien étrange. Il ne se l’était pas vraiment posé … ni même réfléchi. C’est tout lui ça. Se mettre dans des galères et après, réfléchir quand quelqu’un l’interpelle. A croire qu’il était stupide, niais ou même carrément candide. Mais disons que c’est ce qui faisait son charme non ? Oui, disons ça.

Quand il eut fini de trier en masse ses feuilles. (enfin, au lieu de ranger, il les a dérangé …) Il se tourna enfin vers elle, s’asseyant sur le bureau. Il la regardait en souriant comme un enfant. Toute sa tristesse avait disparu aussi vite qu’une larme tombant d’un visage. Elle s’était évadée au loin. Il faut positiver ! Oui, surement. Si tu as mal aux yeux, devient aveugle. Si tu ne veux plus écouter des mensonges, devient sourd. Si tu as peur, fermes les yeux. Souris. Souris aussi longtemps que tu le peux. Ne te laisse pas abattre.

Comme les nombreuses personnes avaient pu lui apprendre. Un don peut-être un médicament ou une malédiction. Cela dépends des personnes et leur niveau d’objectivité. Une malédiction … Une malédiction … Destiné a vivre éternellement la même lassitude. Il faut positiver, positiver ~ Destiné à vivre éternellement pour mieux avoir le temps de tout observer, tout visiter, tout découvrir. Même l’univers qui sait ! Bref … Il croisa les bras.

« Moi ? Malheureux ?! »

Il eut comme une illumination. Bouarf, ça serait pas la première fois. Il se leva, mit ses lunettes et partit inspecter sa bibliothèque. Il cherchait, il cherchait, il cherchait. Il croulait sous les mots les plus indicibles ! Il nageait dans un océan de savoir, un océan. Des vagues. Aussi mouillées que des larmes. David avait l’air d’un fou, à la recherche d’une utopie cachées entre les lignes. Il s’approcha de la jolie rousse et lui montrait les différentes lignes, partant alors dans un monologue vraiment étrange :

« Le bonheur ? Tout ces livres m’apportent une définition plutôt abstraite ! Un état de plénitude, de satisfaction ? Corporelle, spirituelle, physique, mentale, abstraite, impensable, jolie, moche, négative, méliorative, étoiles, parcours, sérénité, suffocante, haletante, jouissive ?! Terre … »

Il soupira, essoufflé. A peine s’il comprenait se qu’il venait de dire lui-même. Il passa sa main dans ses cheveux et jeta les livres sur le bureau. Il lui écorcha un sourire, sérieux.

« Je ne pense pas être malheureux. On va dire que j’ai l’éternité devant moi pour trouver ce que c’est que le vrai bonheur ~ »

Il avait sorti sa phrase philosophique de la journée. Il était fier. Non, en réalité, il était plus mélancolique a l’idée de ne plus la voir chercher dans ses yeux noisettes … la vérité se cachant en lui.

Je l'observais brièvement tandis qu'il rangeait ses feuilles. J'avais l'impression que c'était un geste mécanique tant il ne semblait même pas se rendre compte de ce qu'il faisait. Parfois, une de ces feuilles se pliait sous ses doigts sans qu'il s'en rende compte.
Et mes yeux, alors qu'il s'était assis assez brusquement sur son bureau, se figèrent immédiatement dans les siens.

Ses pensées avaient quelque chose d'étrange et ses émotions n'étaient que passagères, disparaissant aussi rapidement qu'elles étaient venue. L'avantage pour moi, c'est que le sentir triste ne m'était pas aussi désagréable que s'il avait s'agit d'une tiers autre personne. Provoquer chez lui un sentiment de mélancolie, ne me faisait pas culpabiliser. Il s'en débarrassait soudainement, par une des ces phrases qu'il semblait se répéter sans cesse. "Il faut positiver". Oui, il fallait positiver. N'étais-ce pas ce que j'essayais de faire en permanence ? Et son sourire avait fait naitre le mien, involontairement. Un retour à l'enfance. Une naïveté ? C'était ce dont il donnait l'impression. Mais ses pensées en disaient bien plus long que son visage. Et dieu sait ce que j'avais pu voir dans ses prunelles.

Autant dire qu'à le voir comme ça se lever d'un coupe puis farfouiller partout cherchant je ne sais quoi, j'avais été surprise. Mais qui était ce type ? !

Je m'approchais lentement alors tout en regardant attentivement ce qu'il faisait, passant ma tête par dessus son épaule de temps en temps.
Je reculais lorsqu'il s'était retourné, échevelé et essoufflé. Complètement taré. Je riais doucement. Moi aussi, on m'avait souvent regardé en disant ça. Et maintenant, j'avais l'occasion de le penser, aussi. Étrange, ce renard géant.
Son discours m'en avait donné presque mal à la tête et j'avais froncé les sourcils, dérangée par le précédent flot d'idées qui lui étaient venues.

- Je ne pense pas être malheureux. On va dire que j’ai l’éternité devant moi pour trouver ce que c’est que le vrai bonheur.

Tilt. Une ampoule rayonnante au-dessus de ma tête. Un mot écrit sur son front. Une image dans mon cerveau. Éternité.

- Alors c'est ça ? Monsieur le renard géant est éternel ? Fantastique !

Mes yeux pétillaient et je ne le lâchais plus. Scrutant la moindre de ses pensées qui ne me parvenaient que comme un murmure, écartant au mieux les songes parasites.
Voilà, je m'emballais. Tournais sur moi-même. Étouffant mes rires. Je pouvais donc le frapper qu'il ne ressentirait rien ? Et s'il se jetait du haut de Rédemption ? Et s'il y avait une bombe qui lui tombait dessus, là, maintenant ?

Fantastique ? Ce mot résonnait maintenant dans sa tête. C’était fantastique ? La demoiselle n’avait pas l’air de comprendre. Pourquoi tous le monde pense t-il que c’est super de ne pas mourir ? Il soupira. Ses pensées demeuraient en désordre. C’était toujours les mêmes depuis des années. Oui … des années. Car il avait vu tellement de choses. Il avait évité tellement de choses. Il avait vécu … tant de choses. Un passé lourd dans les deux sens. Un passé qu’il faut oublier.

Une page se tourne.

Il est temps d’accepter, non ? Il est temps de se résigner, il est temps de vivre sans se cacher. Il est temps de positiver. Marche droit devant toi ! Marche droit devant toi ! Bref. Il regarda la rouquine avec des yeux pétillants, comme si elle venait de le sauver, de le libérer d’une souffrance éternelle. Mais comment stopper l’éternel ? En le prolongeant … En l’oubliant tel qu’il passe plus vite. Elle avait compris si vite. Plus vite que lui-même.

L’encre coule.

Il toussa, s’étouffant à moitié. Il aimait bien la regarder. Elle était petite, mignonne, apaisante. Il aimait se perdre en dessinant de ses yeux ses quelques petites formes, son mince gabarie. Il regarda par la fenêtre d’un air las et apaisé. Grâce à elle sans doutes. Il ne partageait pas son avis. Il ne lui dirait rien. Il savait qu’elle savait. Il savait qu’elle était là, dans sa tête. Il la sentait fouiner comme un petit animal curieux. Il la sentait allé et venir pour percer la coquille de son âme.

Mélange de lettres.

Mais voilà, son âme était perturbée, en désordre. Déstructurée comme un jeu pour enfants, se déboitant et s’assemblant. Il ne faisait que sourire, la défiant tendrement de réussir à trouver la juste clé pour entrer dans son esprit. Il n’arrivait à se concentrer pour que tout devienne clair. Il ne voulait pas. Il ne pouvait pas. Alors il se rapprocha d’elle et lui caressa la joue, doucement jusqu'à remonter à sa mèche de cheveux qu’il souleva délicatement.

Page arrachée …

« Ne cherche pas … tu ne trouveras rien. Il n’y a rien plus rien d’intéressant, juste un cumul de lassitude et de désespoir. »

De quoi déprimée pendant une semaine non ? Il était à moitié sérieux, à moitié joueur. Impossible de discerner son véritable caractère. Mystérieux et lunatique, il ajouta en riant.

« ça me fait plaisir que tu penses ça. Mais … tu es loin. Ça n’a rien de fantastique, plutôt frustrant. »

A quoi penses tu la rouquine ? Aux étoiles ? Tu aimerais être loin d’ici ? Tu aimerais vivre éternellement pour visiter et voir mourir l’univers ? Moi aussi. Mais sache que c’est impossible. Et là est la véritable frustration.

S'était étrange. Le fait qu'il me trouve apaisante, je veux dire. C'était rarement le cas. En fait jamais. C'était bel et bien la première personne qui me disait ça. Je ne le prenais ni pour un compliment, ni pour autre chose. Simplement, ça m'avait paru bizarre. C'était que sa vie devait être bien tourmentée pour trouver une personne comme moi "apaisante". Oui, franchement, c'était bien le dernière adjectif auquel on aurait pensé pour me décrire. Autant dire que j'étais surprise.

Mes yeux s'écarquillaient soudainement sur le visage du renard géant souriant. Comment savait-il ? Avait-il un second don ? C'était quoi, ça ? Ça aussi, c'était le première fois. Et je m'étais approchée, comme pour me convaincre que tout cela se passait réellement. Pour me convaincre que, non, ça n'était pas le résultat d'une nuit un peu trop agitée. Et en effet, ça ne l'était pas.

Je ne comprenais pas. Pourquoi faut-il qu'à toutes les fois où je me rend à Rédemption, tout soit aussi complexe depuis quelques temps ? Pourquoi là et pas avant ? Pourquoi tout m'avait paru si simple autrefois : les gens me voyaient, mais ne savaient pas.

Peut-être que c'était une des rares personnes qui soit réellement "présente" dans son esprit ?
Mon état de lucidité précédent semblait devenir de plus en plus confus à cause de toutes ces pensées étranges que j'avais peine à percevoir, contrairement à l'habitude et heureusement pour moi, grâce à Stanislas.

Et puis moi, je ne trouvais pas que ses pensées n'étaient que ce "cumul de désespoir". Je trouvais qu'il était vaste, qu'il avait quelque chose de différent, qu'il était nouveau et attrayant.

- Ça me fait plaisir que tu penses ça. Mais… tu es loin. Ça n’a rien de fantastique, plutôt frustrant.

Sa phrase m'avait fait redescendre sur terre, oublier ses murmures, oublier tout ce que j'avais pu penser de ce don premièrement. J'avais compris.
Il me faisait voir les côtés négatifs de son don. La tristesse qu'il semblait lui donner par conséquence. Je n'y avais pas songé. Je n'avais pas pensé qu'une personne parvenant à défier les limites de la vie soit aussi mélancolique qu'il le disait, le montrait, le pensait. Et pourtant, son esprit n'avait rien de terne, rien d'éteint. Tout au contraire. Et c'était surement pour ça qu'il me paraissait si vif.

Et ces questions... Lui aussi essayait de fouiller en moi comme je le faisais avec lui. S'en résultait tout un tas de questions auxquelles je n'avais que rarement songé, parce que j'avais sauté ces étapes, qu'elles m'étaient inutiles, superflues.
Mais il avait raison sur un point.

- Oui, j'aurais aimé. Et je suis persuadée que rien n'est impossible. Éternellement... On aura le temps d'inventer des machines pour tout voir ! Peut-être que les voyages spatiaux seront devenus plus commun qu'Internet ! Ce serait fabuleux ! Surtout pour toi, Renard géant !

Toutes ces idées, résultat de toutes ces lectures portées sur la science-fiction, cette passion des livres. Et encore, je n'avais pas évoquée cette déferlante d'idées fantastiques qui me venaient pendant ces lectures.
Je riais comme une enfant.
Je restais Mélissandre. Toujours optimiste. Toujours souriante. Je ne voyais que le bon côté des choses, et en inventait s'il était inexistant. C'était moi.

Le sais tu ?
La galaxie renferme plein de mondes distincts. Des mondes inexplorés. Des mondes fabuleux. Des mondes qui n’attendent que d’être découverts. Alors pourquoi ? Pourquoi sont-ils si durs à trouver ? A dénicher. Si leurs vies ne sont que le reflet de la patience éternelle. Eternel. Ce mot revient souvent. Trop souvent vous ne trouvez pas ? Aussi éternel que l’univers.

Le sais tu ?
Le temps, c’est de la distance. La fin de l’univers se résume à la fin de tout. Aussi loin que cela puisse paraitre, on a encore le temps d’attendre, hein David ? Oh et arrête d’hocher la tête bêtement à tout ce que je dis comme si tu étais inexorablement blasé par mes propos. (*rires*)

Le sais tu ?
La terre est si petite, si extraordinairement belle. Si lointaine de nos cœurs. On ne l’entends pas pleurer de souffrance. Elle aussi voudrait partit à la conquête de ses sœurs. Alors un jour, tu iras. Tu pourras être récompensé de ton ennui, de ta patience, du … gâchis qu’est ta vie.

Et toi Mamzelle la rouquine, le sais tu ?

Il était si discret dans ses sourires, comme si l’étirement de ses lèvres lui était interdit. Il se sentait gêné, contenant son excitation d’enfant à l’intérieur de son cœur. Un cœur prêt à éclater. Un cœur fissuré en bien des années. Il avait enfin quelqu’un à qui il avait craché le morceau. Mais analysé dans ce sens, on pourrait considérer cet apaisement, cette jeune fille, comme un simple pantin pour se libérer. Un outil. Un outil de déculpabilisation. Mais son innocence même prouvait que David ne penserait jamais comme cela d’elle. Mais il ne pensait rien. Rien d’autre. Même pas un sentiment mélioratif. Rien. Un trou noir. Comme ses pensées d’ailleurs.

Where is my Mind ?

Elle semblait vainement s’intéresser à ses propos se qui fit tressaillir le jeune homme de joie. Intérieure hein. Il aimait la voir perturbée. Il aimait la voir sourire. Il aimait ce qu’elle dégageait. Il aimait seulement l’optimisme.

« Oui, j'aurais aimé. Et je suis persuadée que rien n'est impossible. Éternellement... On aura le temps d'inventer des machines pour tout voir ! Peut-être que les voyages spatiaux seront devenus plus commun qu'Internet ! Ce serait fabuleux ! Surtout pour toi, Renard géant ! »

Renard … géant ? Il éclata de rire. Non mais vraiment. Un rire cristallin. Un rire fort et à la fois délicat. Comme un bouchon de bouteille qu’on fait voler en l’air. Comme s’il n’avait jamais rit ou alors pas depuis longtemps. Il se calma peu à peu.

« moi, un renard géant ? » Il eut un rictus moqueur. « N’importe quoi ! » et haussa un sourcil, en cours de réflexion. « Je suis bête, je ne me suis même pas présenté. Moi, c’est David. »

Il eut une approche chaleureuse. Attendant une réponse de sa part. Elle allait surement faire de même et se présenter. Ce qui est normal. Il regarda l’immensité de la pièce et se demandait s’il n’allait pas lui faire visiter, pour passer le temps.

Tout en lui. Dans ses pensées, dans l'expression de son visages, ses sentiments qu'il dégageait... Oui, tout me laissait croire que c'était un homme malheureux. Et j'avais énormément d'empathie à son égard. Car moi aussi, je l'ai été. Mais j'ai tenu le coup. D'abord parce que j'ai un caractère de cochon. Ensuite, parce que Isaac à toujours et sera toujours là pour moi quoi qu'il arrive. Puis aussi parce que Stan m'a permit de faire le tri dans ma tête, d'éclaircir tout ça, de mettre de l'ordre là où ça n'allait plus. Sans doute que je n'aurais pas le sourire sans tout cela. Sans doute que j'aurais un peu mal à la tête à cet instant. Sans doute que je me serais davantage immiscée dans son esprit.

Et son éclat de rire engendrait le mien en réponse. Je me rendais compte de la nullité de ce surnom que je lui avais donné, presque inconsciemment. Renard Géant. Il lui allait tellement bien que je ne pouvais concevoir qu'il s'appelle autrement.

- Moi, un renard géant ? N’importe quoi ! Je suis bête, je ne me suis même pas présenté. Moi, c’est David.

N'importe quoi, oui, en effet. N'importe quoi, n'importe qui, c'était moi. J'étais au summum du ridicule avec ce surnom, et le pire dans tout ça, c'était que ça ne me dérangeait absolument pas. L'habitude, surement.

- David !

Une exclamation. Comme un Eurêka. Maintenant qu'il le disait, ça lui allait presque aussi bien ! Une petite étincelle de joie dans mes yeux comme dans ma voix. J'étais heureuse que, pour une fois, on vienne vers moi et pas l'inverse. C'était rare. Surement parce que c'était moi qui devançait toujours les autres. M'enfin, tout de même !

- Enchantée ! J'm'appelle Mélissandre !

Plus qu'une simple formule de politesse. Je l'étais vraiment. Tant que je prenais les devants. Un peu trop rapidement peut être. Mais j'étais spontanée.

- Et j'aimerais bien que tu me fasse visiter, oui !

Un grand sourire, et j'aurais presque sautillé sur place tant j'étais contente. Une vraie gamine.

David n’était pas un homme pressé. Stressé peut-être ! Mais pas pressé. Il observait la dénommé Mélissandre s’exciter comme une puce à la recherche de quelque chose qui pourrait la surprendre encore plus. Pourquoi les humains étaient si facilement absorbés et absorbables ? Il en était venu à la conclusion qu’ils étaient fabuleux. Non pas pour cette raison là mais pour des centaines de raisons.

Il aimait penser à des choses qui n’avaient rien à voir avec celles qu’il venait de penser il y a quelques secondes. Il aimait créer une atmosphère de gène et de magie. Et cet endroit était parfait pour ça. Son repère, son asile. Là ou se concentrait tout son monde. Un monde invisible pour l’humain en orbite sur lui-même. Il faut voir Grand ! Grand ! Plus grand que tous le monde.

L’univers est vaste. Si vaste qu’on pourrait s’y perdre. Quoi ? Comment dites vous ? Il est infini ? certes. Aussi infini que cette salle. La salle d’Astronomie pouvait paraitre assez complexe mais tellement fascinante. Et David était bien décidé à montrer tout cela à son invité. Il était déjà tout excité, comme un enfant à qui on aurait promis une part de gâteau chocolat. Et qui de ce fait, avancerait l’heure sur l’horloge pour qu’elle sonne 16h30.

Cependant, il ne se rappelait pas lui avoir proposer quoi que soit. Mais pourtant, La demoiselle avait répondu. Il sourit. Cette jeune fille était télépathe. Sweet. Mais il n’aimait pas qu’on fouille dans son esprit. (Ou il était juste frustré qu’on l’ait devancé.) Il chopa son menton, prenant un air sévère.

« Et arrête de lire mes pensées. »

Il la fixa d’un air dur, presque méchant avant d’éclater de rire. Il aurait pu rajouter un « t’as eu peur hein ? » Mais n’en fit rien. Il se contentait de sourire avec malice. Il lui prit la main, sautant les deux marches qui faisait accéder a la grande pièce. De nombreux appareils tous plus grands les uns que les autres formaient un cercle.

« Bon .. je te présente la salle d’astronomie. Mais ça t’as du le remarquer hein … » Il détourna le regard. « Demande moi ce que tu veux. Mais attention c’est payant. » Il lui fit un clin d’œil puis se mit à rien doucement.

- Et arrête de lire mes pensées.

Un rire franc raisonnait dans la salle aux étoiles. Depuis quand un Renard Géant donnait des ordres à une télépathe ? Comme si je pouvais m'en empêcher en plus. M'enfin, ça, il était pas au courant. Il tait pourtant vrai que, si je pouvais m'en séparer quelque fois, de ce don, je me porterais sans doute mieux psychologiquement. Quoi que là, je n'en ai pas réellement besoin, mais dans le passé autant dire que le mettre de côté m'aurait été franchement utile.
Et surtout, j'aurais moins peur de l'avenir de folie qui me guettait de ses yeux exorbités emplie de démence.

Ses petites feintes pour me faire croire qu'il était énervé avaient peine à fonctionner avec moi. Le fait d'entendre ses pensées contredisaient parfaitement avec l'air qu'il s'était donné pour me faire peur soit disant. Alors j'avais encore plus ri, presque gorge déployée, comme disait l'expression, mais peut-être pas à ce point non plus. D'ailleurs, j'avais toujours trouvé cette expression étrange. Bref.

Le fait qu'il me prenne la main aussi vivement cessa mes éclats de rire qui pourtant, persistaient mentalement. Mon esprit était fait de joie, de joie et de bonheur. Ou encore de gaieté.

Demander ce que je voulais ? Certes. Je le suivais là où il m'emmenait, observant avec des yeux attentifs, les posant partout là où je le pouvais, examinant rapidement chaque objets. Et un m'avait attiré l'attention plus que les autres. Une carte que je pointais de doigt, un sourire gravé sur le visage et un air curieux qui l'accompagnait.

- Vas-y, montre moi ce qu'il y a de plus beau là dedans. Dis moi des choses fantastiques.

Je commençais sérieusement à penser que je devrais l'inviter dans ma boutique, un de ces jours.