Courir. Courir libère Eden, plus particulièrement quand elle est sous sa forme de prédilection, sa forme de chien. Courir.

Les pattes se posent une par une. Un. Deux. Un. Deux. Les pattes s'enfoncent dans le boue qu'est devenue le sol de la forêt après le violent orage de le veille. Un. Deux.

Eden commençait à être fatiguée. Cela faisait des heures qu'elle courrait. Ou, tout du moins, elle avait l'impression que cela faisait des heures. Alors elle finit par s'arrêter, par finalement reprendre forme humaine. Eden n'aimait pas cette forme là. Ou plutôt, elle n'avait pas l'habitude de cette forme là. En effet, la vie dans la forêt était plus facile pour un chien que pour une jeune fille de seize ans. Un chien pouvait se contenter de quelques mulots morts, pas une humaine. Un chien pouvait ne pas se laver pendant des jours, pas une humaine. Mais sous n'importe lesquelles de ses formes animales, du chien à l'oiseau en passant par la souris, Eden restait sous l'emprise des instincts et des pulsions primitives, ce genre de pulsions qui vous font courir pendant des heures sans aucunes raisons apparentes.

Maintenant, Eden avait les jambes et les bras couverts de boue. Elle observa ses membres pendant un instant,avant de décider qu'elle attendrait que ça sèche pour se rendre dans le lac qui bordait la forêt et le pensionnat. Et de toute manière, elle préférait attendre qu'il fasse nuit pour s'y rendre, pour éviter de croiser des élèves ou du personnel. Eden s'assit donc sous un arbre pour attendre que le temps passe et aussi pour se reposer un peu.

Dans ce genre de moment, ceux où elle ne faisait rien de particulier, Eden réfléchissait à sa vie. Cela faisait quatre ans qu'elle vivait dans la forêt - si elle comptait bien - et donc presque quatre ans qu'elle n'avait pas eu un seul contact avec un être humain. Les seuls qu'elle voyait été les habitants du bâtiment gris, situé au plus profond de la forêt. Mais ceux là ne lui inspirait pas confiance, et l'un d'entre eux lui faisait même peur. D'une manière générale, elle évitait leur coin de la forêt. Mais au fond d'elle, Eden aurait aimé redevenir une enfant normal. Une enfant qui dormait dans un lit, qui prenait des douches, qui mangeait des barres chocolatés et qui allait au lycée. C'est sur cette dernière pensées que la brune s'endormit...

Quelques minutes plus tard, un bruit sourd retentit. Eden s'éveilla en sursaut, aux aguets. Ce n'était pas un des bruits habituels. Ça ressemblait plus à des bruits de pas. La terreur s'empara d'Eden. Et si c'était un des élèves du pensionnat? Ou pire, un surveillant? Il arrivait qu'un ou deux d'entre eux s'aventure à l'orée du bois, mais elle n'en avait jamais vu aussi loin dans sa forêt. Dans sa forêt. Sans trop savoir ce qu'elle faisait, oubliant même de se transformer, Eden se dirigea lentement vers l'endroit d'où provenait les bruits. Elle même avait appris à se déplacer plus ou moins en silence dans son" habitat naturel" mais cela n'était certainement pas le cas de la personne qui se déplaçait en produisant un boucan aux yeux d'Eden.

Après quelques minutes de marche, elle parvint à un endroit où les arbres étaient un peu plus clairsemés.Un garçon se trouvait là, assis au pied d'un d'entre eux. En le voyant, le coeur dans la poitrine d'Eden fit un bond. Un humain! Un être humain! Comme c'était étrange d'en voir un après tant d'années! Pourquoi était-il là? Que faisait-il? Il semblait un peu triste... Ou alors c'était elle qui avait du mal à lire les émotions sur son visage?

Perdue au milieu de ses pensées, Eden oublia qu'elle était sous forme humaine et que l'inconnu pouvait la voir. Inconnu qui d'ailleurs, sentant sûrement le poids du regard d'Eden sur lui, tourna la tête dans sa direction. Quand il la vit, il laissa échappait un petit cri de surprise, cri qui sortit immédiatement Eden de ses réflexions. La joie la quitta totalement et laissa place à l'angoisse. Et comme l'angoisse n'avait rien de bon chez elle... Elle ne trouva rien de mieux que de se transformer devant le garçon en un énorme chien.

*Merde! Je suis dans la merde! Et puis pourquoi je me suis transformer moi? Quelle idiote? Et pourquoi je lui grogne dessus comme ça? Putain de pulsions à la con! Putain de merde!*

Il semblait si... apaisé sous son arbre. Ce garçon semblait tellement à sa place assis sous cet arbre, dans cet forêt, respirant le même air qu'elle. Voilà ce que constata Eden, toujours sous sa forme canine. Cet inconnu semblait avoir sa place dans cette clairière. Il était à seulement quelques pas d'elle, mais elle arrivait à entendre un infime battement de cœur, son souffle, la chaleur qu'il dégageait. Il la regardait avec étonnement, ses deux yeux marrons détaillant avec application le chien qu'elle était devenue. Eden se surprit à être triste qu'il l'a regarde comme ça. Elle se surprit à vouloir qu'il lui parle, qu'il dise juste quelques mots réconfortants, qu'il la prenne dans ses bras et qu'il lui dise que tout aller bien, qu'elle ne craignait rien, qu'il était là. Peu importe qu'elle ne l'ai jamais vu avant cet instant. Elle voulait juste être une jeune fille effrayé. Elle voulait juste être une jeune fille normale, pas un monstre capable de se transformer en animal. Mais la partie canine d'Eden continuait d'aboyer contre l'inconnu, pulvérisant avec un entrain déplorable tout ses espoirs. Jusqu'à ce que... jusqu'à ce qu'il s'approche, mains tendus, lui disant qu'il ne lui voulait aucun mal. Il s'agenouilla à sa hauteur et posa une main sur sa tête, murmurant qu'elle était... comme lui.

Les paroles de ce garçon provoquèrent en elle une confusion effroyable. Elle était comme lui? Que voulait-il dire? Pourquoi disait-il cela? Comme lui... Elle était comme lui. Les mots se bousculaient en désordre dans sa tête, dans une étrange danse où ils perdaient minutes après minutes un peu plus de leur sens. Ils s'alignaient, formaient des phrases qu'Eden ne pouvait déchiffrer. Les yeux du chien fixaient le garçon, rempli d'une incompréhension totale. Lui la regardait en souriant doucement, penchant légèrement la tête sur le côté, caressant lentement son pelage. Il était comme elle...? Elle vit ses lèvres bougeait mais elle n'entendit rien. Comment pouvait-il être comme elle? N'y tenant plus, Eden se retransforma en humaine.

Les dix doigts on ne peut plus humain d'Eden s'enfoncèrent dans le sol comme si c'était du beurre. Ses bras et ses jambes étaient couvertes de la boue sèches. Elle suffoquait, fixant le sol comme s'il pouvait lui faire oublier les paroles du jeune homme. Elle se tourna vers lui, ses longs cheveux noirs formant un rideau autour de son visage.

« Comment... comment... comment ça je suis... comme toi?»

Elle avait prononcé ses mots avec difficultés et sur un ton dur, comme si elle avait oublié comment on s'adressait à un être humain. En vérité, elle avait oublier. Elle se souvenait des formules de politesse, du "merci" quand on vous rend un service ou du "au revoir" quand on quitte quelqu'un mais elle avait oublié le ton et les intonations que les gens donnaient habituellement à leur voix quand il parlait. Oui, Eden avait oublié cette capacité qu'elle avait de parler. Durant ces quatre longues années, elle avait préféré se souvenir d'autres choses.

Le garçon l'a regarda, interloqué. Il semblait choqué de voir l'aspect de la jeune fille. C'était vrai qu'elle faisait peine à voir. Ses cheveux étaient emmêlés. Eden aurait voulue passait ses doigts dans ses cheveux, mais ils étaient couverts de boue. Elle se contenta de fixer le garçon, un peu effrayé par sa présence même.

« Pourquoi es tu ici?»

Toujours sur le même ton dur et hésitant. Les mots avaient du mal à sortir de sa bouche, à former des phrases. Le manque exercice.