L'éternité, l'immensité d'un monde... Différent. #Pv#

Un souffle hésitant, qui accélère, discret. L'obscurité d'un endroit sans lien direct avec l'extérieur, avec la lumière, baigné dans la seule ombre qu'est le monde. Je suis l'ombre. Je suis ce mal, ce mal qui croît. J'ai besoin de cette solitude. Des marches, un petit escalier derrière une porte, à peine visible. A peine discernable. Le hasard. Le silence est tel qu'on entendrait presque les plantes qui ont envahi le bassin pousser. Le bruissement de leur feuilles, même si il n'y a pas un souffle de vent. C'est comme pénétrer dans une caverne dissimulée, inconnue, dans laquelle personne ne serait entré depuis une éternité. A la recherche d'un trésor. Un « plic-ploc » régulier, comme si de l'eau ruisselait le long de stalactites. Mais non. Tout cela n'existe pas. Ce n'est pas la roche qui a prit place ici, ce n'est pas la roche qui a recouvert les murs carrelés, ce n'est pas la roche qui s'est imposé comme seul paysage. C'est la glace. La glace qui pourrait être étincelante, mais qui ne l'est pas. Elle semble dégager une sorte de répulsif. Je ne veux pas qu'on me dérange. Laissez moi. Quand on entre, c'est la première chose qu'on voit, car toute la moitié droite de la grande pièce n'est plus que glace. Stalactites, stalagmites, gouttes qui chutent régulièrement, s'écrasent sur le sol pour se glacer à nouveau, dans un cycle infini. L'éternité devrait ressembler à cela. Le rien. Le néant. Le vide du cœur et de l'esprit. Effacer sa vie, pour la reprendre à zéro. Si on s'approche encore du bassin – et qu'on ne glisse pas sur le sol gelé –, si on n'est pas rebuté par le froid presque insoutenable de cet endroit, on remarque quelque chose au fond de ce qui avait été autrefois... L'eau. Quelque chose de déformé par la glace, certes, mais qui a des allures très humaines, très... Vivantes.

Autrefois, j'étais un étudiant comme les autres. Autrefois j'étais un adolescent. Et plus tôt, encore, j'étais un enfant. Un enfant qui a vécu comme la plupart des autres enfants, avec des parents, des frères et sœurs. Ou plutôt, un frère et une sœur. Mais qu'importe. Tout cela s'est terminé lorsque je suis arrivé à Rédemption, tout cela s'est arrêté, brusquement. J'ai perdu mon passé. On l'a effacé, tous, car rares sont ceux qui ont eut le courage de survivre, et plus rares sont ceux qui ont survécu et qui se souviennent de qui ils sont. J'ai changé. Et pendant trois ans, je vécu de la cryokinésie. J'ai vécu dans la glace, me récréant un environnement de sécurité. J'ai grandis, j'ai vieillis, seul. J'ai pris soin de mon être, de mon apparence, ou plutôt, j'ai préféré mon apparence à mon âme. J'ai attendu la fin. J'ai attendu qu'on vienne me chercher, mais jamais avec une issue positive. Et j'ai eu peur. J'ai d'ailleurs tellement été détruit par la peur que je ne la ressens plus. Je ne suis plus qu'indifférence.

Il était temps, je me réveillais, doucement, la présence des nouveaux étudiants m'y aidant. Ou étant le déclencheur. Cela faisait une éternité, et pourtant, je n'avais rien perdu. Je m'étais entrainé à marcher, pour ne pas m'affaiblir, je m'étais entrainé à parler, seul, pour ne pas oublier. Je m'étais entrainé à écrire, et toutes ces choses qui font de nous ce que nous sommes. Et doucement, j'étais en train de m'étirer. De me réveiller. De ce sommeil. Trop long. Trop mort. J'étais vivant, j'étais humain, encore, un peu. Et je n'étais pas seul. Je savais que si je me réveillais, ce soir là, ce jour là c'était pour une bonne raison. Oui, il devait y avoir eu du bruit. N'importe, même un bruissement, un chuchotement, un pas, qui m'aurait – inconsciemment – réveillé. Faute d'avoir l'ouïe fine, mon oreille captait tout de même un nombre impressionnant de son, et le plus souvent de façon totalement inconsciente. Je bougeai, un bras, celui ci était un peu engourdis. Cependant, cela ne devait pas faire plus d'un ou deux jour que je dormais, alors, ça allait, je n'étais pas non plus sous l'état de loque humaine comme ça avait été plusieurs fois le cas. La glace émit un léger bruit de craquement, je ne ressentais pas le froid qui aurait dû prendre ma chair, la détruire, j'étais immunisé à cela, comme tout bon cryokinésiste. Avec le temps, j'avais construit, mis en place, diverses galeries de glace dans la piscine, celle ci conservant les aliments à merveille, tandis qu'elle m'offrait un refuge sûr. On ne pouvait pas m'approcher sans mon consentement, car aussitôt, ma protection m'aurait défendu, d'une façon ou d'une autre, et probablement violente.

Tout était sombre, mais elle n'avait pas peur. Il faisait froid, certes, horriblement froid, mais cela ne l'avait jamais dérangée outre mesure. elle ne pouvait pas contrôler son corps cependant, seulement son esprit. Et son corps tremblait, tremblkait fort, ses dents claquaient et elle ne put empêcher le réflexe de se frotter vigoureusement les bras, dans l'espoir de les réchauffer. Sans résultat. Pourtant elle ne voulait pas utiliser sa lumière pour dissiper les ténèbres et la glace, pour rendre sa traversée plus...supportable. Elle sentait qu'utiliser son pouvoir en ce lieu, en cet instant serait comme un sacrilège. Elle risquait de briser l'étrange harmonie de ce palais des glaces. De détruire l'atmosphère paisiblede ce paradis, perdu en enfer.
La pièce était grande, très grande, se rendit-elle compte au fur et à mesure que ses yeux s'habituaient à la pénombre. Les faibles lueurs qui éclairaient sa vision n'était pourtant pas blanches, comme celles qu'elle avait l'habitude de voir et de manipuler. Elles étaient d'un tout autre genre. Bleues, elles semblaient émaner du sol lui-même, de toute cette glace, et illuminaient uniformément la vaste salle.
Rose Falsey se croyait dans un autre monde. Un rêve d'enfant, où tout était parfait, et si beau. Elle avait vu des hivers, de la neige et de la glace, mais rien de comparable. Non, tout cela était différent.
Comme dans un rêve, elle se rappelait avec difficulté comment elle était arrivée jusques ici. Dans ses souvenirs confus, elle voyait seulement une jeune fille blonde aux yeux bleus la regardant, perplexe. Puis du noir, intense, un gouffre dans lequel elle tombe mais qui lui semble pourtant familier. L'oubli. Puis des escaliers qui descendent. Et enfin : La palais des glaces.
Comme dans les rêves, tout était parfait et iréel. Le silence était partout, même ses pas et les gouttes tombant de temps à autre semblaient avoir perdu leur voix. Le monde entier aurait pu disparaître, elle n'aurait rien remarqué, rien ressenti, tellement elle se sentait seule en cet instant. Et tout était beau. Si beau. De bleu et de la glace, le tout à peine distingable dans les ténèbres mais bel et bien là.
Elle avançait prudement, les yeux écarquillés, découvrant à chaque pas de nouvelles beautés époustoufflantes. Elle qui était la lumière, et la chaleur, un soleil humain, elle se sentait déplacé dans cette univers figé, où tout semblait mort. Pourtant, c'était aussi sa place. Elle se devait d'être là.

"Oh Gott !"
Son cri perça le silence et brisa la sérénité de la piscine abandonnée.
Rose avait reculé précipitament avant de tomber sur la glace. Elle avait horriblement mal et la glace lui mordait les doigts. Elle ne bougea pas.
Terrifiée.
Elle n'avait résisté, finalement. elle voulait savoir, voulait voir. Elle voulait découvrir tout les secrets de ce paradis de glace. Et sa lumière les lui avait dévoilés.
La sphère blanche flottait tranquillement au milieu de la piscine, à quelques centimètres au-dessus de la glace. Ses rayons traversaient sans peine l'eau gelée et laissaient clairement apparaître les contours d'une silhouette.
Humaine.

Mais la sphère lumineuse n'émettait pas que des ondes longitudinales à caractère lumineux. La pièce se réchauffa, sous l'effet du pouvoir de Rose, puis la glace. La jeune fille ne put bouger, des larmes commencèrent à envahir ses joues tandis que les premières gouttes d'eau enfin liquide lui coulaient entre les doigts.

Le craquement, le cri, et surtout la chaleur. C'est vrai que la température était toujours négative, et pourtant, mon corps habitué au gel me donna l'impression de cuire. Lentement, je me redressais dans ma chambre royale, de glace. J'étais proche de la surface, je le savais, me mettant debout, je posais mes deux mains contre le plafond de glace, parfaitement lisse, observant le visage qui m'avait vu. Je devais rester un secret, je n'aurais pas dû survivre. Et pourtant, j'étais là. Et... Elle était là.

Le bleu de ses yeux, si proche de celui d'un visage que j'avais perdu, oublié. Qui était elle ? Pourquoi était-elle là... ? Quelque chose m'échappait. Pourquoi est-ce qu'elle... Pleurait ? L'enfant en moi avait envie de lui proposer de jouer, mais le monstre qui s'éveillait lentement n'avait envie que de la chasser. Hélas, je ne faisais pas la différence entre la survie et le plaisir. Ainsi, je continuais de la regarder avec un air neutre, irréel. Totalement. Puis, ma voix qui s'éleva se brisa en dizaines d'échos contre les parois de la glace...

« Pourquoi est-ce que tu pleures ? »

Est-ce que je lui avais fait peur ? Est-ce qu'elle avait cru que j'étais mort ? C'était possible. Après tout, comment savoir, comment se douter qu'il y avait bien un être qui vivait dans cette caverne de cristal ? C'était impossible à savoir. Mais, il est vraiment que si elle avait porter longtemps attention à mon sommeil, elle se serait rendue compte que je respirais. Mais, j'aurais repéré sa présence avant qu'elle n'arrive à moi. Lentement, la glace contre mes mains disparue. Elle ne fondait pas, on aurait dit que mon corps l'absorbait, à vrai dire. Je chassais paisiblement le givre sur mes joues, sentant mon corps se réchauffer un peu plus à l'approche de la lumière, pourtant, c'était bien l'inconnue que je continuais de fixer.

« Arrête de pleurer... Tu es sûrement plus jolie quand tu souris. »

Ce n'était pas du charme. Enfin, sûrement un peu, si. Bah. Quand on a pas eut de contact humain depuis plusieurs années – ni animal d'ailleurs, au passage... - on est forcément un peu rouillé sur la façon de parler aux gens. Je ne voulais pas l'effrayer, surtout. Je ne savais pas pourquoi, mais ça paraissait purement stupide en y réfléchissant.

Pourquoi personne ne m'a ramené à la maison ? Pourquoi les mains ne se sont pas tendue pour me porter assistance ? Pourquoi est-ce qu'elle était la seule à me regarder, à m'apprécier, la fille aux cheveux de feu... ? Pourquoi Maman m'a regarder avec ses grands yeux bleus et m'a dit que j'allais partir ? Pourquoi Papa s'en fichait ? Pourquoi... ? Pourquoi m'a différence n'a pas joué en ma faveur ? Pourquoi m'ont-il laissé...?

Tout est bleu, tout est beau. Les doux rayons, la lumière intérieur de Rose, offerte au monde, traversent la glace, font resplendir les pics et le gel, partout. Quelqu'un de l'extérieur pourrait dire : c'est le paradis.
Au milieu il y a une petite fille. Cheveux de soie, bouche vermeille, yeux bleus et peau de porcelaine. Une petite fille perdue dans le monde de glace et qui pleure. Pourquoi elle pleure ? Car ce n'est pas le paradis.
Les morts...Les morts se réveillent ce soir. Ils jaillissent des profondeurs et s'approchent, s'approchent d'elle. Au secours ! Au secours ! Veut-elle crier. Elle est tombée en enfer.

Rose ne cria pas pourtant. Ce qui se passait devant ses yeux était effrayant, oui. C'était cependant tout aussi rassurant. Elle n'aurait pu dire pourquoi, elle n'aurait su analyser cet étrange sentiment et n'essaya pas. Tout ce qu'elle savait, c'était que cela se devait d'arriver. C'était le cours des choses, l'histoire qui s'écrivait dans la bonne direction. Tout cela était pour le mieux. Le mort qui se réveillait ce soir valait la peine d'être réveillé. Et réveillé par elle.
Elle en était sûre, maintenant qu'elle le voyait émerger de la glace. Il s'approcha d'abord de la frontière. La fontière entre rêve et réalité, entre mort et vie. Il la regarda pour ce qui lui sembla une éternité. Son coeur arrêta de battre, sa respiration cessa également. Elle fisa ses yeux dans les siens -si bleus, si beaux- et ne cilla pas un instant.
Quand il détourna les yeux, ce fut comme une renaissance. Une larme, une seule, coula sur sa joue. Une larme de joie. Tout allait bien à présent. Il était réveillé. La vie revenait dans ce monde de glace.
Partout, l'eau gouttait et coulait, formant des rivières glacées qui fillaient entre ses doigts. La lumière brillait d'autant plus que le coeur de Rose battait à tout rompre. D'où puissait-elle toute cette énergie ? Elle ne le savait pas. Elle n'avait jamais pu tirer de l'énergie ainsi, pas du rien, pas d'elle-même. Elle pouvait bien en emmaganiser en elle, mais cette énergie aurait dû disparaître à présent. Toute cette lumière, toute cette chaleur, c'était quelque chose de nouveau. Cela venait d'elle, aucun doute là-dessus...

C'est alors que la voix s'éleva. Elle vit les lèvres bleues, glacées, bouger. Et la voix apparut, épurée, celle d'un fantôme. Elle semblait venir de partout, de chaque morceau de glace, des murs et du sol. C'était une voix qui sortait d'outre-tombe et qui pourtant, contenait en elle une certaine énergie, celle de la vie.
Il était donc bien vivant. La glace commençait à disparaître. Bientôt, ses mains apparurent, puis tout son corps émergea de la glace. Il n'était plus une simple silhouette, il n'était plus une ombre dans la glace. C'était un vrai être humain qui fixait ses beaux yeux sur elle. Un être humain...Comment était-ce possible ? Tant de froid, tant d'eau gelée...Il ne pouvait avoir survivre. Oui c'était bien un être humain, mais ce pouvoir qu'il semblait avoir, le contrôle de la glace, cela semblait bien plus qu'humain. Rose regarda le jeune homme. Elle sentait son coeur battre plus que jamais, elle sentait la chaleur sur ses joues tandis qu'il la regardait encore et encore. Un moment magique.

"Arrête de pleurer... Tu es sûrement plus jolie quand tu souris."
Et Rose sourit. Elle ne put s'en empêcher.
Elle était dans un autre monde. Un monde où la peur ne devait pas exister. Un monde où elle se posait beaucoup moins de question que d'habitude. Elle ne chercha pas à comprendre, pourquoi, comment était-il arrivé là ? Peu lui importait. Même si la glace disparaissait, même si le froid n'était plus si intense, elle se croyait encore dans un rêve. Un de ses plus beaux rêve.
Le mort était revenu à la vie ! Il respirait, il parlait, il bougeait ! Elle n'en revenait toujours pas. Etait-ce vraiment possible. Elle ne voulait pas être déçue, ne voulait pas découvrir que ce n'était, au fond, qu'un songe, qu'un mensonge. Pourtant elle voulait profondément qu'il soit vraiment là, devant elle. Qu'il soit vivant...
Sans vraiment réfléchir à ce qu'elle faisait, Rose se leva tant bien que mal et s'approcha du jeune homme. Elle passa doucement une main sur sa joue rougie par le froid. Automatiquement, ses yeux revinrent se figer sans les siens. Elle avait senti sa chaleur corporelle, synonyme de vie. Elle avait senti qu'il existait vraiment. Ce n'était finalement pas un rêve...Pourtant, c'était si beau !

"J'ai...J'ai cru que tu étais mort. Mais tu vis."
Elle sourit, rapidement. Elle hésitait à lui parler. Il semblait tellement différent. Dans un autre monde. C'était peut-être quelque chose dans son regard, dans sa façon de la regarder, qui lui montrait qu'il était étranger à cette vie-là. Il y avait quelque chose qui paraissait quelque peu inhumain en lui...brisé Mais Rose ne voulait pas y penser, pas maintenant.
"Tu vis. C'est impossible...Impossible, et pourtant... "

Contact. Contact. Maudit contact. Je fus obligé de détourner un peu le visage pour ne pas qu'elle me touche plus. Elle aurait su, que le froid était vite revenu. Que je n'étais peut-être pas si humain que ça. Mais le contact était si spécial... Premier contact humain... Alors, qu'est-ce que ça fait, qu'est-ce que ça change en toi, d'être différent ? D'avoir vécu aussi reclus ? Dis moi petit princesse de mon paradis souterrain, tu entends la douce musique silencieuse ? Tu entends ton cœur papillonner, comme s'il craignait de s'arrêter à tout instant ? Tu entends tout ça, tu sens ?

« Je suis vivant. Tu vois, tu es belle maintenant. »

J'approchai ma main de sa joue pour glacer la larme qui traînait sur sa peau. Un si joli regard... Ce fut un cristal, un diamant salé qui n'aurait jamais dû geler, mais qui l'avait fait à la température de mon pouvoir. La perle glissa dans ma main, puis je la pris entre les doigts, l'observant comme un enfant qui avait trouvé un nouveau jouet. Mais mon visage était toujours fermé. Et j'observai ses yeux, son regard... Il avait vraiment quelque chose de familier, trop familier. Je n'osai pas poser la question, non, elle n'avait pas pu être à Rédemption avant maintenant, ce n'était pas possible...

« Tu n'as pas à avoir peur de moi, je ne te ferais pas de mal. »

Cela aurait facilement pu être un mensonge, j'aurais pu être violent, elle avait pénétré chez moi, sans mon autorisation, elle me mettait en danger en révélant mon existence, mais, pourtant, je ne me sentais pas la simple force de lui faire du mal. Elle était spéciale. Si fragile... Si fragile qu'on aurait dit qu'un simple courant d'air aurait pu la détruire. Ou alors je l'avais traumatisée.

C'était con, mais... Normalement je n'aimais pas les gens. Éternel misanthrope, je n'avais pas lié d'amitié dans mon court séjour officiel à Rédemption. Pas d'ami, d'amie, d'amis. Cole, le prince de la glace et du tonnerre. Lorsque j'étais arrivé ici, je n'étais encore qu'un adolescent. Quinze ans. C'est quoi ? Cette insouciance... Mais pourtant, cet instinct de survie qui m'avait poussé jusqu'à survivre, peu importe le prix, il fallait que je vive... Cache toi ! Ne sors jamais ! Ne te montre pas !

"Je sais." pensa Rose. Elle ne le dit pas, se contenta de hocher la tête, pourtant elle n'avait aucun doute. Cet homme ne lui ferait aucun mal, jamais. Il lui suffisait de se rappeler du frolement de sa main contre sa joue pour en être convaincue.

"Depuis...Depuis combien de temps es-tu là ?"
Il lui semblait clair à présent qu'il était resté dans la glace pendant très longtemps. Quelques semaines ? Quelques mois ? Quelques années ? Elle n'aurait su le dire. Tout ce qu'elle savait de lui, elle le déduisait de ce qu'elle voyait. Il avait l'air d'avoir perdu contact avec la réalité, ses beaux yeux bleus à la fois émerveillés et étrangement indifférent, comme s'il découvrait tout ce paysage pour la première et, qu'en même temps, il ne connaissait par coeur. Et cet air sur le visage de ceux qui en savent plus, qui le sont pas limités par les trivialités de la vie sur Terre...Oui, tout cela lui disait qu'il s'était éloigné du monde pendant si longtemps, qu'il en avait oublier ce que c'était de vivre.
Et puis, Rose ne se rappelait pas de l'avoir déjà croisé dans les couloirs. Un tel regard, si bleu, si profond, même elle, pourtant très indifférente vis à vis des autres élèves, l'aurait remarqué.

Rose ne savait plus où poser le regard. La remarque du jeune homme, la façon dont il penchait légèrement la tête pour la regarder, ainsi que ses yeux,la mettaient mal à l'aise. Ils étaient trop perçants. Elle avait l'impression que l'homme de glace pouvait lire ses pensées et son âme rien qu'en croisant son regard. Quant à ses paroles, à sa voix, c'était un tout autre genre de malaise...
Elle se sentait rougir, se tordait les mains, angoissée. Elle se sentait étrangement déplacée dans cet univers de glace qui, clairement, avait été créé seulement pour l'inconnu.

Etait-il là par hasard ? Pourquoi ? Avait-il décidé de s'enfermer dans le glace, loin des yeux, loin du monde ? Ou l'avait-on un jour piégé dans toute cette eau gelée ?
Il ne lui semblait pas. Après tout, il s'était libéré tout seul de sa prison. Mais...Comment pouvait-on choisir ainsi de se détourner des autres ? Rose s'était toujours sentie seule dans sa vie. Pourtant, sa situation lui semblait parfaitement supportable comparé au calvaire qu'avait dû vivre le jeune homme aux beaux yeux. Rose n'osa pas poser la question. Quelque chose lui disait que ce serait...dangereux. Une telle décision devait sûrement receler un terrible secret...Que le garçon voudrait garder à tout prix.
La jeune fille tourna la tête at regarda autour d'elle. Ce paradis sur Terre, ce palais des glaces, tout en beauté et perfection, ressemblait à présent plus à une prison. Sans échapatoire, écrasante, éternelle. Elle frissonna. Le rêve avait complétement disparu. Et la réalité était si sombre...
"Il fait si froid."

L'ombre d'un sourire, qui glissa lentement sur mes lèvres, en coin. Je ne savais pas quoi répondre à sa question, je ne savais même pas en quelle année nous étions, je ne savais même pas quel âge j'avais... C'était assez... Ballot, quand on y réfléchissait ne serait-ce qu'un instant. J'inspirai et expirai, mon souffle personnel ne produisait pas de buée, et pour cause, il avait sans doute la même température que les lieux. Elle avait froid ? … Je me sentis d'un coup responsable, même si je savais que je ne pourrais pas la réchauffer, mais la refroidir, encore, toujours. Pauvre petit oiseau bouillant...

Fermant les yeux, je laissais la glace disparaître, l'eau se glacer à nouveau pour subir le même sort. Je ne voulais pas voir ce spectacle. Pourtant, lentement je me retournais pour lui faire dos, tendant une main vers l'avant et testant si le deuxième don qui m'avait été donné fonctionnait. J'entendis un léger crépitement électrique et arrêtait immédiatement avant de perdre le contrôle. Je savais que, si je maîtrisais à la perfection la cryokinésie, pour ce qu'il s'agissait de la manipulation électrique, je n'étais vraiment pas au point, de plus, avec l'eau qui traînait encore de partout, j'imaginais mal le résultat...

« Depuis... Depuis... Depuis trop longtemps. »

Et si je ne m'étais jamais réveillé cette fois-ci ? Si mon corps était resté emprisonné de mon propre maléfice ? Si jamais cette adolescente n'était jamais venue me voir ? Alors... Je serais resté là, éternel prisonnier de la glace, de l'hiver. Alors je me retournais pour la toiser dans les yeux, avec un sourire qui ne cachait pas ma reconnaissance, je pris lentement sa main et la portais à ma bouche pour y déposer un baiser froid.

« Merci mademoiselle de m'avoir libéré de ma prison. »

Je savais pertinemment que cela aurait pu être n'importe qui et que j'étais aussi déjà réveillé avant qu'elle arrive, cependant, je ressentais le besoin de la remercier. C'était complétement stupide, mais je savais pertinemment que je ne pourrais jamais oublier son visage, qu'il était déjà ancré dans ma mémoire. Hélas, je ne pouvais rien faire contre le froid qu'elle ressentait, même si la savoir bien m'aurait sans doute fait plaisir...

Je rêve d'un courant d'air... De voir le monde... Comme jamais auparavant.
Et puis... J'irais te vendre mon âme s'il le faut.

Quand le jeune homme se détourna, le coeur de Rose se sera. Il lui fallut plus d'une seconde pour comprendre pourquoi, pour se ressaisir et recommencer à respirer. L'impression fut fugace, éphémère, mais elle était bien passée. Rose avait eu peur. Une nouvelle sorte de peur. Elle avait cru avoir froissé le garçon, l'avoir déçue, dérangée ou Dieu ne sait quoi encore. Et cela l'avait rendue triste, instantanement.
Elle avait eu peur de la perdre, cet inconnu, sorti de nul part et si mystérieux. Elle avait eu peur de voir ses beaux yeux se poser sur elle avec colère ou déception.
Oui, cela n'avait duré qu'une seconde, le temps qu'elle se souvienne qui elle était, et que la raison reprenne le dessus sur les sentiments. Pourtant, même à présent, à présent que elle ne pouvait s'empêcher de penser que son instinct avait réagit. Et l'instinct, on ne peut pas le réfuter, il a toujours raison. Peu importe pourquoi il se manifeste, il reflète notre état profond.
Et cette pensée dérangea Rose. Elle, si habituée à agir consciemment, à rester dans le rationnel, l'explicable, le tengible, ne voulait pas faire face à cet instinct qui lui ordonnait de faire des choses si stupides.
Se rapprocher, prendre sa main. Lui parler, encore et encore.

Quand il parla, Rose s'obligea à se reconcentrer. Le présent, les faits, il n'y avait que cela qui comptait. Pourtant, quand il la regarda de nouveau, son coeur fit de nouveau un bond. La jeune fille se maudit intérieurement et détourna le regard.
Pourtant, ses propres yeux, malgré elle, semblait chercher ceux de l'homme de glace. Rose fit un pas en arrière, apeurée par les sentiments qu'elle sentait naître et qu'elle voulait, à tout prix, détruire.
"Non." fut sa seule pensée quand il s'approcha d'elle. Elle avait sentit la douceur et la générosité dans la voix de l'homme aux yeux bleus. Et elle voyait à présent, comme au ralenti, sa main se rapprocher de la sienne, la prendre; l'approcher de sa bouche. Son coeur s'accéléra. Son souffle se fit court. Elle se sentit légère, heureuse, impatiente. Et effrayée. Elle n'arriva pas à parler, bredouilla seulement quelques mots sans aucun sens.
Puis elle sentit les lèvres glacées sur sa peau. Un sentiment immense, nouveau. Electrique. Au moment où la baiser glacial toucha sa main, la lumière s'évanouit.

La sphère lumineuse qu'elle avait créé quelques minutes auparavant avait tout simplement disparu. Rose avait perdu le contrôle. Elle retira vivement sa main et recula encore un peu. Ses yeux n'étaient pas encore habitués aux ténèbres et elle ne voyait rien, sinon du noir, tout autour. Le froid retomba également sur la pièce et c'est frissonnante, apeurée, tremblante de peur et d'emoi que Rose tourna sur elle-même, sans savoir où elle allait. Elle se sentait complètement perdue. Perdue par ses sentiments nouveaux qu'elle abhorrait déjà. Et perdue dans ce paradis glaciale. Elle ne savait même pas ce qu'elle voulait faire : partir, retrouver la lumière ou rester avec le jeune homme aux yeux hypnotisants.
Elle se dirigea au hasard, dérabant, glissant, puis finalement tombant sur le sol glacée, complètement désorientée.

La jolie princesse de lumière avait disparue. Dévorée par les ténèbres ambiante. Triste histoire que voilà. Mais, je la cherchais un moment du regard, vite habitué à l'obscurité, je l'observait de loin et soupirait profondément. Avec le temps qui avait passé, j'effrayais les gens ? Alors je m'approchais d'elle d'un pas lent et maitrisé et lui tendis une main qu'elle ne voyait sans doute pas. Je me penchais légèrement en avant, la toisant avec attention, elle dont je discernais grossièrement les formes.

« Tu ne devrais pas rester ici, tu vas congeler. »

Une pointe d'humour, d'esprit ? Non. Ma voix était neutre. Comme l'était mon expression. Et ce masque de glace. Si mal...Si mal au fond de mon être... Personne, non, personne ne pouvait comprendre ce qu'il se passait à l'intérieur de mon crane. Même la princesse de lumière. Après tout, même quelqu'un dans ma situation, quelqu'un qui aurait tout perdu, qui n'aurait plus rien de ses bases vouées à le rassurer ne pouvait pas comprendre. Car en plus de cela, nous étions à Rédemption. Et je savais que quelque part errait au dessus de moi le monstre tapit en ce lieu. Tournant la tête à ma droite, j'utilisai la glace pour appuyer sur l'interrupteur. Alors baissant les yeux, je vis les néons clignoter, et certains s'allumèrent, tandis que d'autres restèrent au stade incertain des lumières vacillantes.

« Calme toi... »

Je ne savais même plus quoi lui dire, jamais je n'avais espéré la terroriser, et après tout, peut-être n'était-ce pas de ma faute... Ou peut-être que si. Je ne préférais pas savoir, d'un côté. Je ne la regardais même plus, observant la fonte du palace de glace qui m'avait hébergé depuis tant de temps. Je savais que bientôt je devrais remonter à la surface, je savais que bientôt je devrais affronter son regard réprobateur, ses questions sur ma disparition. Mais je m'en fichais. J'imaginais facilement qu'il devait déjà tout savoir, et avoir quelqu'un qui avait autant de puissance dans son centre l'arrangerait. Jamais il ne me mettrait dehors.

Ils ont voulu ma mort, ils ne l'ont pas obtenu. Peut-être qu'après avoir failli à la tache de faire disparaître l'ennemi, ils comprendront qu'il vaut mieux se ranger de son côté... Peut-être trouverais-je des alliés dans ma lutte. Peut-être retrouverais-je un jour la femme aux cheveux de feu... Un jour.

Sa voix surgit de nulle part, étourdissante, ravissante. Rose ne put s'empêcher de se sentir rassurée. Même dans le noir, même alors qu'elle s'éloignait clairement de lui, il l'avait retourvée. L'homme des glaces l'avait retrouvé.
Pourtant, Rose se souriait pas. Elle détestait ces pensées qui prenait d'assaut son cerveau, ces pensées qu'elle n'arrivait pas à faire fuir. Peut-être devrait-ELLE fuit dans ce cas ? Peut-être était-ce la seule échapattoire.
Mais Rose ne bougea pas. Car cette voix était si électrisante, si attirante. Dès qu'elle l'entendait, tout le reste disparaissait. Elle avait beau ne plus le voir, elle avait beau ne pas sentir sa présence près d'elle, tous ces sens étant anestésiés par le froid terrible, la voix de ce garçon l'attirait comme un aimant.
Et Rose décida de ne pas se laisser faire par ces sentiments tout à fait incongrus. Il lui était impossible d'y résister, de les étouffer, évidemment. Mais cela, elle ne le savait pas. Il lui suffirait d'entendre encore une fois sa voix pour fondre. Il lui suffirait de croiser à nouveau son regard pour ne plus sentir le froid alentour, et seulement une douce chaleur partant de son coeur. Mais elle ne le savait pas. Rose restait ancré dans ses croyances que des années de solitude avaient forgées: la pensée triomphe toujours des sentiments. Elle se croyait plus forte que de vulgaires émmotions. Elle croyait être, elle, la dompteuse de la lumière et de la chaleur, assez froide pour supprimer ses émotions, surtout des émotions de ce genre là, et être libre.
Elle avait tellement tort.

Car quelques secondes plus tard, la lumière, artificelle, crue, horrible, s'alluma. Rose cligna des yeux plusieurs fois, éblouie. Quand elle leva la tête, il était là. Et son coeur explosa. Il était si beau. Son regard semblait vide, son visage était inexpressif et pourtant elle croyait voir en lui des choses cachées, des douleurs que même les masques les plus parfaits ne pouvait cacher. Elle croyait discerner une certaine humanité dans les traits du prince de glace.
"Calme-toi..." Dit-il de sa voix si belle, une voix qui emprisonna Rose dans un bonheur incroyable.
Pour la première fois de sa vie, Rose se dit qu'elle été sûrement plus en sécurité dans les ténèbres, là où elle ne pouvait le voir. Malgré l'éblouissante joie qu'il procurait, Rose savait bien que tout cela été voué à l'échec. Et toujours, une pointe d'espoir montait en elle. Elle tenta de l'écraser. En vain. Elle été bel et bien piégée par cet homme de glace.
Peut-être...Peut-être que si elle parvenait à s'éloigner de lui, elle reprendrait ses esprits. Mais il avait l'air si perdu. Savait-il au moins où ils étaient ? Elle ne pouvait pas le laisser ainsi, de nouveau seul...
Alors Rose se releva, sans prendre la main qu'il lui tendait toujours, même si elle en mourrait d'envie, et lui dit, d'une voix hésitante :
"Est-ce que tu voudrais remonter ? Sortir d'ici ?"

Un long moment je continuai de l'observer, sa façon de se relever sans mon aide, refusant d'ailleurs catégoriquement celle ci. Elle devait être forte. Avoir un potentiel extraordinaire... En fait, plus j'y songeais, et moins j'en doutais, il suffisait de la regarder, d'ailleurs. Pendant un court instant j'observais le plafond avec une attention feinte. Sortir d'ici ? Que pouvais-je faire d'autre qu'errer... Il fallait croire que j'étais forcé de sortir de ma cachette de toutes façons. En plus de cela, j'étais épuisé, bien que cela ne se voyait pas, je la dissimulais, cette fatigue, comme tellement de choses maintenant... C'en était devenu naturel, sûrement, quelque part. Une nouvelle fois je baissais les yeux pour la détailler, son visage, je me demandais ce à quoi elle pouvait penser... Alors, je fis le pas qui nous séparait l'un de l'autre et posa lentement mes mains sur ses épaules, ne la quittant pas du regard. Une seule fois quelqu'un m'avait regardé de si près, une seule fois une jeune femme rousse m'avait parlé, avec autant de proximité, et ça m'avait considérablement rassuré. Peut-être qu'inconsciemment, c'était ce que je voulais faire, avec elle.

« Je ne vais pas rester ici jusqu'à congeler une nouvelle fois... »

Cette fois-ci, ça avait vraiment été une pointe d'humour, rehaussée et visible par le sourire en coin qui avait naquit sur mes lèvres. Quelques secondes passèrent en même temps que le silence retomba, mais je ne bougeais pas. Statue de gel. Figé dans le temps... Chaque seconde de la grosse pendule, chaque « tic » était une torture. On aurait pu croire que je m'étais fait à cela, mais ce n'était pas le cas. La glace à tendance à insonoriser à merveilles les sons les plus désagréables. Comme les plus agréables d'ailleurs... Au fur et à mesure que l'air se réchauffait, je me sentais de moins en moins bien. De plus en plus... Humain. Je changeais, c'était palpable, même mon corps se réchauffait, et je ne faisais rien pour empêcher la transformation. Et, cette fois, je m'étais penché à son oreille en fermant les yeux, pour lui murmurer d'une voix rassurante, pour le coup :

« Tu devrais remonter avant de prendre froid. Nous nous recroiserons, sois-en certaine... »

Ces derniers mots, le « nous nous recroiserons », je ne l'avais pas inventé, ce ton, cette vibration de l'air, de l'ambiance, comme si le temps et l'espace se détraquaient... Je tenais ça de Liah. Je me souvenais qu'elle m'avait dit ça, beaucoup plus tôt, je me souvenais de tout. D'un côté, pour avoir eut très peu de souvenirs depuis cela, j'imagine qu'il était naturel que je m'en souvienne. Elle ne savait même pas mon prénom, ces lettres, ce mot, pâle reflet, pâle miroir associé à une personne.. Comme je ne savais pas le sien. C'était sans doute mon manque d'habitudes vivantes et relationnelles qui ne m'avait fait oublier de lui demander...

Dis-moi, petit oiseau de lumière, est-ce que tu me guiderais ? Est-ce que tu voudrais éclairer mon chemin, m'aider. M'aider à remonter la pente glacée dans laquelle s'est laissé transporter mon cœur, au fond de ce gouffre... Peut-être que tu découvriras des choses, peut-être pas. Peut-être que tu auras peur... Peut-être pas.

Quand il se rapprocha d'elle, se pencha si près, Rose détourna le regard. Elle entendit tout de même sa voix, rauque, et frissona. Pour la première fois depuis qu'il lui avait adressé la parole, elle se rendit compte que cette voix, si belle qu'elle fut, sonnait étrangement déplacée. Comme une voix qui revient de loin, qui a vu trop de choses et se retrouve dans un payx où tout va bien. Une voix qui a souffert et ne comprend plus comme marche le bonheur. C'était étrange de voir tout cela dans un simple éclat de voix, pourtant tout cela était clair dans son esprit. Elle ne savait rien de lui, elle comprenait simplement certaine choses. Peut-être parce qu'elle avait vécu les mêmes, ou à peu près. C'était en rêve qu'elle s'était transformée, c'était dans ses cauchemars qu'elle avait perdu sa joie de vivre. A priori, ce garçon l'avait perdu dans la réalité.

Rose tourna le regard juste à temps pour voir le sourire qui apparut furtivement sur le visage de l'homme de glace. Tout son être semblait s'éclairer. Mais cette lueur disparut aussi vite qu'elle était apparu et Rose détourna une nouvelle fois les yeux, gênée et mal à l'aise. Comme si elle avait vu quelque chose de rare et de précieux qui devait rester secret. Comme si elle avait touché un vase datant de plusieurs millénaires dans un musée.
"Tu devrais remonter avant de prendre froid. Nous nous recroiserons, sois-en certaine..."
C'était étrange de l'imaginer dans les couloirs, là-haut. Il semblait tellement dans son élément ici. Il devait être trop particulier pour se fondre dans la masse des élèves, se dit-elle. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres, juste pendant un centième de seconde avant qu'elle ne puisse le réprimer. Elle essayait toujours de garder le contrôle. Mais avec le garçon si près d'elle...C'était presque impossible.
"J'espère..."
Elle avait compris qu'à présent, il lui fallait partir. Elle ne le voulait pas, malgré le froid, malgré la peur croissante que ses sentiments lui inspiraient. Mais avant de se reculer, elle resta encore quelques secondes auprès de lui. Elle sentait son souffle dans son cou, son haleine fraîche sur sa peau. Son corps tout près. Elle s'imagina un seconde qu'elle pouvait se rapprocher encore, poser sa tête sur son épaule, fermer les yeux. Elle ne le pouvait pas. Elle garda ses distances, garda les yeux ouverts. Se concentra. La lumière faiblit, progressivement, doucement. Rose leva la main et posa sa paume illuminée sur le coeur du jeune homme. Il était froid mais sa main à elle était brûlante. Elle se demanda alors si ce n'était pas une signe, un signe qui tentait de la prévenir de l'inévitable : Ils n'étaient pas faits pour être ensemble. Lui si froid, elle brûlante. Pourtant, elle avait bien vu sur son visage la même chose qu'elle ressentait : un désir profond et un refus tout aussi fort de s'attacher, de s'ouvrir.
Ou peut-être l'avait-elle simplement imaginé. Peut-être n'était-ce qu'un rêve qu'elle projetait sur son visage car c'est ce qu'elle voulait voir. Cela lui fit mal au coeur. « Voilà exactement pourquoi je ne voulais pas tomber dans ce genre de niaiserie. » se dit-elle, amère. Les sentiments, au final, ne menaient que vers une voie : celle de l'erreur et de la tristesse.

Alors, avant de fondre en larmes, Rose se détourna et partit en courant, remonta les escaliers et couru dans les couloirs, le plus loin possible du sous-sol, de l'homme de glace, de ses émotions. Mais elle ne pourrait jamais fuir ses sentiments. Il étaient toujours là. Au détour d'un couloir, Rose s'arrêta enfin, résignée. Elle se laissa glisser au sol et pleura toute les larmes de son corps. Elle se sentait trahie. Oui, elle avait l'impression de ne plus être elle-même. Et en même temps...Elle ne s'était jamais sentie aussi vivante.

Give me a pain that I'm used to.

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