Roxane avait vraiment mal dormi. Ne réussissant pas à trouver le sommeil avant une heure avancée, elle s'était tournée et retournée dans son lit sans parvenir à fermer l'oeil. Lorsqu'enfin elle sombra dans les bras de Morphée, ce ne fut pas de tout repos. Elle ne fit pas pour une fois la vision qu'elle avait appris à redouter depuis une semaine environ. Non, cette fois-ci c'était différent. Elle ne fit pas de vision à proprement parler. On pouvait plutôt parler d'une sorte de cauchemar. Pas un de ces cauchemar effrayant , peuplé de monstres ou de créatures en tous genre. Plutôt une vague impression de malaise, une impression malsaine. Une corde, un lac, un balcon, voilà les images qui défilèrent devant ses yeux clos.

En se réveillant, elle n'avait qu'une envie. Prendre un grand cachet d'aspirine et quitter la petite chambre exigüe dans laquelle elle ne se sentait pas très à l'aise. D'ailleurs c'est ce qu'elle fit. Une fois habillée et le cachet avalé, elle décida de sortir dans les couloirs et d'y trouver âme qui vive. Mais peut-être en raison de l'heure matinale il n'y avait personne. Continuant d'errer dans le bâtiment, elle se trouvait sur le palier du troisième lorsqu'elle entendit un bruit étrange, comme celui de quelqu'un ne sachant pas jouer du piano mais essyant tout de même.

Vu qu'elle était arrivée au Centre la veille, elle ignorait l'existence d'une éventuelle salle de musique. Localisant sans trop de mal où se situait le grand mélomane, elle passa la tête sans aucun bruit dans l'embrasure de la porte. Au fond de la salle, derrière un amas considérable d'instruments de musique hétéroclyte, elle aperçut un jeune homme penché sur un grand piano de bois noir. Un grand étui qui devait probablement contenir une guitare était posé non loin de lui. N'osant pas déranger le jeune homme qui avait un air concentré, elle resta sur le pas de la porte.

Cette scène lui rappella étrangement sa maison dans la banlieue de Londres, ou le pauvre piano d'ébène devait prendre la poussière maintenant qu'elle était partie. En effet , durant toute son enfance, ses parents l'avaient poussée pour qu'elle apprenne à jouer d'un instrument. Une des seules choses que Roxane ne regrette pas. Par contre, pour sa famille d'adoption, seul le piano ou le violon était un instrument convenable pour une jeune fille de bonne famille. Elle avait donc étudié pendant prè de neuf ans dans un conservatoire de bonne réputation.

Tirée de ses pensées par l'autre pensionnaire qui entama avec brio un remix d'au clair de la lune, elle ne put réprimer un rire ce qui trahit sa présence.

Roxane se leva du tabouret du piano, sentant à son grand désarois le rose lui monter aux joues sous les compliments chaleureux du jeune guitariste. Jeune guitariste certes, mais momentannément privé de son précieux instrument à cause d'un malheureux incident.
Très théatral, le jeune homme se présenta sous le nom de Sacha. Un sourire comme celui-ci flottait-il sur tous les visages des élèves de l'internat ? Pas sûr... Roxane profita donc de l'aura rassurante et décontractée qui émanait du jeune homme.

Pensif pendant quelques secondes, il se mit à fureter dans la pièce, une idée en tête. Son projet de retrouver un jeu de cordes valides n'était pas mauvais , mais il se heurta à l'armoire sans doute fermée à clefs. Un air résigné peint sur son visage, il se décida finalement à prendre une vielle guitare dans un coin de la salle, assez mal en point il faut dire, mais c'est toujours ça de pris. Sacha devait être bon musicien et posséder une oreille développée pour réussir à s'accorder comme il le fit, avec tant de précision.


C'est sûr il n'existait pas des masses de choses qui faisaient qu'on pouvait apprécier Rédemption. Avec ses couloirs sombres, les pièces exigües et la peinture des murs qui part en lambeaux, le Centre n'avait rien de fantastisquement attirant. Roxane s'y sentait assez mal à l'aise et un peu perdue, il faut dire. Seule la salle de musique offrait providentielement un petit havre de paix, un endroit où l'on laissait ses problèmes dehors pour se donner entièrement à la musique.

Sacha jouait sacrément bien. Le jeune homme devait posséder un assez grand nombre d'années de pratique derrière lui pour maitriser son instrument comme il le faisait. Une succesion d'accords en arpèges sortit de la caisse de résonnance de l'instrument, Sacha faisait vibrer les cordes de sa guitare à l'aide du médiator.

Décidant de l'accompagner, Rox s'assit de nouveau au piano et commença à plaquer quelques accords avec la mélodie improvisée par le jeune guitariste. Le duo qu'ils formaient était assez surprenant et ... détonnant. Les deux jeunes gens s'étaient lancés dans une composition alambiquée à l'aide de la guitare de fortune et du piano d'ébène, quand ce dernier émit un véritable couac, du au fait qu'il n'avait pas était accordé et révisé récemment, ce qui mit fin à leur petite improvisation. Roxane finit par éclater de rire devant la tête que faisait Sacha en se demandant d'où venait la fausse note.

Souhaitant mieux connaître le jeune mélomane elle lui demanda :


Assez bateau certes, mais c'est la seule chose qui lui traversa l'esprit pour engager la conversation.


[Dsl pour le retard u.u]

Alors lui aussi avait intégrer le centre il y a peu. Il n’en n’avait pas l’air vraiment ravi, à voir sa moue renfrognée. C’est drôle, elle n’avait encore rencontré personne qui semble apprécier Rédemption. Si abominable que ça alors ? Quel sombre secret pouvait bien receler cet entrelacs de couloirs mals éclairés ? Encore un bon millier de questions se pressaient sous le petit crâne de Roxane, mais au lieu d’assaillir d’interrogations le pauvre Sacha qui n’avait rien demandé, elle préféra lui répondre :

J’ai débarqué hier à peine ! Rédemption ça a l’air… étrange…

La jeune fille ne pouvait s’empêcher d’observer, un peu à la dérobée, le jeune homme qui lui faisait face. Il semblait appartenir à cette classe de personnes qui ne pouvaient jamais s’arrêter de tripoter quelque, qui ressentaient toujours le besoin de tenir quelque chose entre leurs mains. Ce tic avait le don d’agacer certaines personnes il est vrai, mais pas Roxane, cette agitation permanente ne faisait que rendre à ses yeux Sacha plus sympathique. Ce qu’elle appréciait particulièrement chez lui, c’est sa fraîcheur, sa spontanéité naturelle qui semblait le caractériser. Il détonnait dans le cadre morne et sombre du centre, un peu comme un rayon de soleil parmi les nuages noirs. Ce dernier du s’apercevoir que la jeune fille le regarder s’agiter puisqu’il s’un excusa presque, avec un air désolé peint sur le visage. C’est pourquoi elle lui répondit en riant :

T’inquiètes pas, tu n’as pas à t’excuser tu sais … Au contraire tu es le seul être vraiment vivant que j’ai pu rencontrer ici…
Sacha lui demanda ensuite depuis combien de temps jouait-elle du piano. Cette question anodine fit disparaître le petit sourire amical du coin des lèvres de Roxane. Cette simple question lui fit se remémorer ses longues années d’étude, dans un grand conservatoire bien comme il faut, où l’enseignement était plus basé sur la rigueur et la sévérité plutôt que le plaisir de faire de jouer, de s’épanouir pleinement dans un univers musical. Elle se rappellerait certainement encore longtemps de son ancien professeur aigri et sévère, M. Carrier, qui lui avait enseigné le piano depuis l’âge de six ans. Il n’hésitait pas à lui mettre parfois une tige en bambou dans le dos afin qu’elle se tienne plus droite sur son tabouret, où à lui faire recommencer depuis le début une sonate de douze pages à la moindre hésitation, tout en lui disant qu’elle était une bonne à rien qu’elle ne réussirait jamais. Au moins, cet enseignement austère lui avait permis de faire face aux critiques et à se plier à n’importe quel exercice avec une rigueur exemplaire.

Ca doit faire un peu plus de neuf ans maintenant. Mais ce n’était pas drôle tous les jours dans l’établissement où j’étais. Ils m’ont forcés à aller là-bas car c’était pour eux le seul endroit fréquentable pour une jeune fille de bonne famille. « Ils » je veux dire mes… parents.

Le dernier mot de sa phrase qu’elle avait lancée de façon ironique, mourut dans sa bouche, en bafouillant. « Parents », un mot si banal pour certains, mais il n’était absolument pas naturel pour Roxane. Espérant que le jeune homme n’avait pas remarqué son gêne elle en chaîna :

Et toi, tu joues de la guitare depuis combien de temps ?