Le jour se faisait sombre et la nuit s’annonçait. Le soleil frôlait les arbres de la forêt dans laquelle je m'apprêtais à m’engouffrer. Je connaissais maintenant le chemin vers le manoir. Le mémoriser a été délicat, ma mémoire me jouait des tours et dans le noir de la nuit, je me perdais souvent. Les arbres se ressemblaient tous et les feuilles m’induisaient en erreur.
Et puis la peur du noir.
Je ne l’ai jamais dit à Sélène, que j’avais peur, mais ça me rongeait dès que je me retrouvais ici le soir. La nuit n’était pas encore tombée mais elle n’allait pas tarder.
Au lieu de me dépêcher, je m’arrêtais net pour m’appuyer contre un arbre. La peur au ventre, je n’osais pas avancer plus vite. Cette fois, ce n’était pas la peur du noir, c’était bien plus grand. Un trac, un sentiment qui me serrais le cœur. Je sentais les battements de mon sang dans mes tempes, je n’arrivais pas à me calmer. L’excitation, la peur, la conscience qui criait de ne pas faire une connerie pareille. Ah si seulement, si seulement j’écoutais ma conscience. Mais jamais je ne l’ai écouté. Au final, si je l’avais écouté, je ne serais plus avec Sélène.
Rien que l’idée, cette pensée de ne plus être avec elle me rendait malade. Pourtant je savais qu’elle allait mourir, tout le monde meurt un jour. C’était quelque chose à laquelle je n’arrivais pas à penser, l’idée de ne plus la voir, de ne plus la toucher, de ne plus être près d’elle. Et même si elle me quittait avant, ça n’aurait pas d’importance parce que je saurais qu’elle est heureuse et qu’elle est bien là. Le monde tournera sans elle mais je ne suis pas sûr de vouloir suivre le monde une fois son absence.
Je me redressais. Les mains dans mon Teddy, je quittais les sentiers menant au manoir pour m’engouffrer dans la forêt, un peu au hasard. Où j’allais avait peu d’importance, et l’idée de ne pas retrouver mon chemin soulageait mes peurs. Mais la raison me rappelait à l’ordre, il ne fallait pas que je me perdes. Alors je continuais tout droit, je ne savais pas où j’allais mais je m’assurais de savoir d’où je venais.
Plus je m’avançais à l’intérieur de la forêt, plus il faisait sombre, plus je me disais que je devais rentrer au manoir, plus j’avançais. Les arbres devinrent noir sur le contre-jour, ainsi je me rapprochais de la lumière. Je ne savais pas où j’étais, ce n’est qu’en m’avançant que je pu reconnaitre.
Je connaissais si bien cet endroit, c’était un lieu spécial, un lieu qui pour moi, avait une connotation. Cela devait faire huit mois que je n’étais pas retourné ici, depuis la disparition de Sélène enfaite, mais j’en ai gardé le souvenir. Tout me revenait, c’était l’exact reproduction de mes souvenirs mais tout était plus fort. L’odeur des blés, les épis brillant au soleil et le ciel parsemé de nuages... Un peu plus et j’aurais cru être revenu huit mois en arrière. Je m’avançais dans ce champ, plus confiant que la première fois.
De ma main, j’effleurais les épis, essayant de me souvenir de chaque sensation. Au contact, je me mordis les lèvres, tout était si clair dans mon esprit. Ma peur, mon angoisse, mes tracas, tout m’avait quitté, l’allégresse de pouvoir revivre des sensations que j’ai cru être à jamais des souvenirs. J’étais heureux, serein. Un sourire gai, ce sourire qui creusait mes fossettes s’affichait sur mon visage. Je marchais, respirant calmement sans même me soucier du soleil qui se dirigeait à ma hauteur pour disparaitre. Que faire du noir à l’instant?
Plus loin, j’aperçu une jeune fille. Brune. Elle était de dos, face au soleil. Mon sourire s'élargi. J’avançais vers elle. J’avais ce frisson du vent qui caressait ma peau. Ce n’était pas le même vent qu’en avril, cette fois c’était un vent d’automne. Mais pour moi, c’était pareil. A un mètre, je m’arrêtais. Elle ne s’était pas retournée, elle n’avait pas dû m’entendre. Je n’avais pas besoin de voir son visage pour savoir que j’allais tomber dans l’infini de ses yeux bleus. Je n’avais pas besoin de l’entendre pour que le son de sa voix raisonne dans mes oreilles et son sourire dans mes yeux. Alors que mes yeux étaient fermés, je savais que j’allais tomber amoureux d’elle. je rouvris mes yeux et je m’approchais un peu plus. Elle n’était qu’à quelques centimètres de moi mais le vent cachait le froissement des épis sur mon jean.
«Perdue ?»
Cette fois je connaissais la réponse. Elle se retourna.
Je posais mes lèvres sur les siennes sans lui laisser le temps de réagir. J’aurais pu y poser ma main.
Instinctivement, elle fit un pas en arrière mais je la retins par la taille. Je mordillais sensuellement sa lèvre inférieur. Puis j’entre-ouvris la bouche pour délecter du goût fruité de sa langue si douce.
Peut-être était-ce seulement l’amour, j’aimais tout chez elle, jusqu’à sa peau parsemée de grains de beautés sur laquelle ma main glissait lentement de son épaule à son coude. Je remontais ensuite mon pouce en effleurant son bras, caressant son cou, glissant mes doigts sous sa nuque. De l’autre main, toujours posée sur ses hanches, mes ongles jouaient dans le creux de ses reins.
Je la poussais contre moi, bassin contre le mien. Je ne voulais pas la laisser partir cette fois, je ne fuirais pas.
Nos deux corps collés l’un contre l’autre au milieu d’un champ, c’était ainsi que le monde devait s’arrêter.
Mes lèvres refermés quittèrent les siennes pour se poser contre sa joue puis sur son cou, sentant son parfum. L’odeur me montait à la tête et l’ivresse touchait le fond de mon âme.
Je relevais les yeux sur les siens et vins coller mon front contre le sien pour qu’elle ne puisse éviter mon regard qui complimentait le reflet.
« Non.
Mais je te retournes la question. Personne ne vient jamais ici.» Je souris de plus belle. Cette fois je connaissais la réponse. Et même le dialogue qui suivait. Mais peut-être aussi l’avait-elle retenu. Auquel cas il était inutile d’en réciter la suite.
Dans ce champ régnait alors une ambiance agréable de déjà-vu. Un instant du passé qu’on avait voulu immortel qui se reproduisait. Ainsi le soleil brûlait à nouveau les arbres et la lune nous apparaissait de plus en plus clair. Il faisait meilleur que sept mois auparavant, les nuages roses promettaient de grandes choses. Un futur plus supportable que le passé. Et pour Marie-Jane, je supporterais le futur pour deux.
Ma main se décolla silencieusement de son cou et vint se poser sur son autre hanche. Ainsi je la collais à moi, je me collais à elle. Lentement, les yeux joueurs, je soulevais un pied. D’après la lueur de ses yeux, elle devait comprendre elle aussi que le passé se répétais. En mieux.
Et ainsi, nous nous démarrions un slow, assez lent pour ne pas se tromper, nos pas rythmé par cette musique qui sifflait dans nos tympans, les oreilles rougit d’amour.
L’espace inexistant entre nos deux corps marquait la sensualité de cette danse plus calme que la première. Cette fois je contenais ma joie. Je connaissais la suite.
A l’instant où le soleil tira les étoiles les plus scintillantes de leur sommeil, le ciel encore clair, je m’arrêtais. Cette fois je n’avais pas peur de la forêt. Je savais que je n’allais pas m’y retrouver seul. Et si c’était le cas, alors le noir aurait été le dernier de mes soucis.
A l’instar de la dernière fois, Sélène régulait mon souffle.
Respirer pour quelqu’un, quel poète tu fais Pan! Pourtant c’était véridique. Sans elle, je ne prendrais pas la peine de respirer.
Je décollais mon front du sien. Le froid qui remplaçait sa chaleur renforçait ce sentiment de besoin. J’avais besoin d’elle.
«Je t’aime Sélène.»
Mon sourire avait disparu. Le souffle avait été si sincère. C’était la première fois que je le disais clairement. Jamais je ne lui avais déclaré, ce n’était pas faute de l’avoir pensé durant la moitié de l’année.
Mais huit mois, qu’était-ce sincèrement? Rien, même pour un être vivant. Pourtant, j’échangeais volontiers mes cent années contre ses courts instants auprès d’elle. Huit moi à l’aimer, six sans la voir.
L’amour c’est con.
Sans logique.
Et pourtant,
L’amour que je lui portais était la seule chose qui me rendait «vivant». Alors quitte à être con, bien que l’amour n’était pas nécessaire pour m’attribuer cette qualité, soyons heureux.
"Sois heureux, Sois heureux!"
Je poussais un soupir d'humiliation. Même pas avais-je commencé que la honte chauffait déjà mes joues. Mais aussi le bonheur et la peur. Car cette fois, je ne connaissais pas la réponse.
Il fallait assumer.
Peut-être encaisser.
D’un coup de tête, je dégageais mes yeux. Cette fois je voyais clairement,
aucune mèches de cheveux n’assombrissait le paysage.
«Quand on m’a dit que tu étais...» Je ne pris pas la peine de finir ma phrase. Le vent avait très bien parlé à ma place.
«J’ai cru que je t’avais perdu, que tu étais partis sans qu’on ne sache que je t’avais connu. Il suffisait qu’on oublie pour que notre relation ne devienne plus qu’un rêve et ça, ça me tuais.» Quel pauvre choix de mots.
«De savoir que rien ne liais à toi, que toi et moi n’était plus qu’un de mes souvenirs.» Ma voix s’est cassé au dernier mot. Les larmes montaient. Je n’avais jamais été aussi sérieux depuis presque quarante ans.
«Sélène, je ne veux pas te perdre une fois de plus. Savoir que tu as frôlé la mort sans que tu ne saches que je t’aimais, sans même que tu ne saches mon prénom est déjà peine supportable.» Un faible sourire marqua légèrement mes fossettes.
Je lâchais une de ses hanches pour chercher une boite noir dans ma poche. Cette fois, la valeur de ce boitier était moins grande, économiquement, que ce le bijou donné autrefois. Mais sentimentalement, il valait tellement plus. C’était même incomparable.
Cette fois c’était une bague.
Je fis un pas en arrière, baissant les yeux confus et honteux, la boite dans mes deux mains. Je la tripotais nerveusement, la passant d’une main à l’autre.
«Alors voilà, Mary-Jane. Sélène. Veux-tu m’épouser?» Je relevais les yeux vers la jeune fille soudainement inquiet, comme si elle allait disparaitre. Puis j’eu un murmure inaudible.
«Merde.» J’avais raté ma mise en scène. Je posais un genoux à terre, mes épaules arrivant au niveau des blés et j’ouvris la boite en sa direction pour qu’elle puisse voir la bague, nerveux que ça ne lui plaise pas. Le regard rieur, la peur m’avait quitté. Quitte à se jeter à l’eau, autant y aller jusqu’au bout, qu’importe la réponse désormais.
Je repris donc confiance en moi et en mon imbécilité.
En cent ans, je ne m’étais jamais marié. C’était ma première demande. Jamais je n’avais fait ça un jour et je voulais le faire bien. Parce que ça comptais pour moi.
Sélène comptait pour moi. Plus que tout les idéaux familial dans lequel j’ai été élevé. Mon sourire s'agrandit, l’image de présenter Sélène à ma famille en tête.
A nouveau, l’ivresse d’être avec elle dans un lieu qui pour moi appartenait au passé me rendait euphorique. L’instant me rendait euphorique. J’avais envie de la faire tomber et de la prendre dans mes bras, de l’embrasser, de...
Je ne pouvais rien faire de tout ça pour l’instant, peu importe sa réponse, ce souvenir nous resterais à jamais dans la mémoire, je venais de sceller le passé, il serait impossible de l’oublier. Il suffisait que je ne fasse pas de conneries.
Pour que le moment semble à jamais beau, normal et heureux. Elle n’était pas morte aux yeux du monde. Je ne lui cachais pas qui j’étais et Luke vivait avec nous, allant à l'école normalement. A mes yeux, à l'instant, le monde ressemblait à ça. Parce que l’allégresse rendait la vie d’autant plus belle. Le bonheur pouvait me rendre naïf, mais je savais une chose. La vie ne serait jamais plus belle qu’auprès de Sélène.
« C'est l'extase langoureuse, C'est la fatigue amoureuse, C'est tous les frissons des bois Parmi l'étreinte des brises » ► VERLAINE